Un Levantin israélien (Benny Ziffer)
(à propos du livre de Benny Ziffer : Entre nous, les Levantins – Carnets de Voyage, traduction Jean-Luc Allouche, Actes Sud, 2014)
Cela fait déjà plusieurs années, en 2015 je crois, que j’ai acheté et lu ce livre. Interpellé par le titre. Comment, me suis-je dit, un Israélien qui se dit Levantin, cela existe donc ? Y-a-t-il encore des gens en Israël qui se souviennent que des juifs avaient fait partie de ces Moyen-Orientaux originaux qu’on a appelés Levantins, Français, Italiens, Grecs, Arméniens et autres métèques, dont le monde couvrait ce pourtour de la Méditerranée orientale, gouvernée par la Sublime Porte, qui allait d’Athènes à Alexandrie en passant par Istanbul et Beyrouth, et auquel Israël, visiblement, tournait le dos ? Et puis, au fur et à mesure que je progressais dans ma lecture mon étonnement ne faisait que grandir. Qui est cet homme ? Me disais-je.
Au début on ne sait pas grand-chose de ce Benny Ziffer. L’éditeur nous le présente comme un écrivain, mais surtout un journaliste, couvrant la rubrique littéraire du Haaretz. Et lui-même, dans sa préface, nous apprend que son père était d’origine viennoise et sa mère d’origine turque. Plus tard on verra qu’il est comme chez lui à Istanbul et qu’il y a encore de la famille. Il nous apprend aussi qu’il se veut écrivain voyageur (il a deux modèles, Bruce Chatwin et l’Irlandais Colm Toibin), mais qu’il a une conception plutôt originale du métier d’écrivain-voyageur (et qui ne plairait probablement pas à notre Le Bris, créateur de la grande manifestation annuelle des Ecrivains-Voyageurs) : il ne voyage que dans les pays qu’il connaît bien, et tout particulièrement dans les villes du Caire, d’Istanbul, d’Amman et de Paris.
Et puis, en l’accompagnant dans ses visites des vieux quartiers du Caire (et plus tard ce sera Alexandrie, le delta, les libraires d’Amman, enfin Istanbul), et qu’on le voit fouiller dans des tas de vieux livres français, rencontrer encore d’anciens Levantins survivants, se faire accompagner par un autre Israélien, vieux Cairote, parfaitement à l’aise dans la langue égyptienne, mais qui est peut-être un personnage fictif car il s’appelle Niemand (ce qui veut dire Personne en allemand) et qui symbolise peut-être l’Israélien moyen qui estime que tous les Arabes sont de toute façon hostiles et traîtres, mais surtout quand on découvre son incroyable érudition, sa connaissance non seulement de l’Histoire, des monuments, de l’art et des artistes et des écrivains contemporains, arabes et turcs, on est carrément effaré. Quel homme !
Alors j’ai décidé non seulement de relire son bouquin, ce que je viens de faire, mais aussi me renseigner sur les nombreux écrivains et livres qu’il cite et, au demeurant, essayer de me procurer ceux qui semblent les plus intéressants pour les lire à mon tour.
Le premier livre qu’il cite (page 63) est un roman d’Albert Cossery, Les couleurs de l’infamie. Il va le chercher au Centre culturel français, dans la rue Falaki, ce qui nous vaut une description pittoresque de la vie cairote, « l’odeur du falafel frit », « les pitas gonflés de farine grossière et brune » et « entassés sur des plateaux tressés », un tapissier qui répare un fauteuil par le dessous comme si c’était une voiture, un vendeur de sacs en plastique de toutes les couleurs, un autre qui vend des infusions d’herbes… Et puis le Centre culturel français est fermé. Une institution typiquement juive à ses yeux. A cause du « lien profond, et parfois tragique, qu’entretenaient les juifs d’Orient d’antan avec la culture française ». Ah, bon, eux aussi ? Comme les Chrétiens d’Orient ? Et voilà que les employées égyptiennes du Centre l’informent de la fermeture « dans ce français au r roulant qui provoque en moi un véritable plaisir parce qu’il me rappelle le français de mes grands-mères turques », dit-il. Ah oui, je me le rappelle aussi, cet accent. Notre agent à Istanbul, Ahmed Kapanci, et sa sœur célibataire qui m’avait initié aux artichauts à la turque, l’avaient aussi. Et Kapanci, formé chez les Frères Saint Joseph, nous écrivait des lettres dans un français merveilleux, un français de l’ancien temps.
Alors, quid de Cossery ? Ziffer a trouvé le roman qu’il cherchait dans une vieille librairie, Les Livres de France, qui se trouve au bout de la rue Kasr-al-Nil qui part de la célèbre place Talaat-Harb. Il espérait y trouver encore la patronne, « une femme despotique », Yvette Farazli, qui régnait sur la librairie depuis 1947, mais, hélas, elle était décédée. C’étaient ses nièces qui dirigeaient maintenant le magasin et la librairie avait maintenant un site internet…
Albert Cossery écrit en français mais il est né en Egypte (en 1913) et ses romans évoquent presque toujours le Caire, « bien que l’écrivain ait vécu dans un anonymat complet à Paris », dit Ziffer. Et c’est vrai : il était originaire d’une famille syrienne grecque-orthodoxe qui s’était installée au Caire et qui devait avoir suffisamment de revenus puisque ni son père ni lui-même n’ont jamais travaillé ! Et puis il a découvert Paris en 1945, à 32 ans, et y resté jusqu’à sa mort à 94 ans. Tout en vivant très modestement dans une petite chambre d’hôtel. « Il avait fait de la paresse et du dénuement une philosophie et le sujet de ses romans », écrivait le Monde au moment de sa mort en 2008. J’ai la première partie de l’édition de ses œuvres complètes par Joëlle Losfeld (qui était son amie) dans ma bibliothèque. Malheureusement le roman que cherchait Ziffer se trouve dans le deuxième tome. Mais l’œuvre avec laquelle ouvre le premier, Mendiants et Orgueilleux (qui date de 1955), est un vrai chef d’œuvre. Je me souviens que j’avais eu bien du plaisir à le lire. Plus que cela : ce fut une vraie jouissance. Dès l’ouverture, Gohar, l’un des héros de l’histoire, se réveille couché dans l’eau et se rend compte que c’est l’eau avec laquelle on a lavé le mort d’à-côté. Il fuit les pleureuses, « vision d’un tas de grosses femelles vêtues d’amples mélayas noires, accroupies en cercle sur le sol, le visage et les mains peints au bleu de lessive, se frappant la poitrine en poussant leurs cris démoniaques ». Puis rencontre un mendiant avec lequel il a toujours des conversations passionnantes et qui lui raconte l’histoire d’une élection dans le sud où les paysans ont tous voté pour l’âne du village, préférant un vrai – et qu’ils avaient l’avantage de bien connaître – à un âne à deux pattes inconnu ! Sur le net on fait le rapprochement entre le thème de ce roman et celui de Crime et Châtiment de Dostoïevski. C’est évident et je ne comprends pas comment cela avait pu m’échapper !
Je me demande quand même si je ne vais pas acheter le deuxième tome de ses œuvres. Parce qu’il contient un roman (qui date de 1948) et qui serait largement autobiographique (une famille au Caire où tout le monde s’efforce de ne rien faire) : Les Fainéants dans la Vallée fertile.
En attendant, retournons au Caire avec Ziffer. Voilà qu’il nous amène dans la boutique de souvenirs Mamluk du quartier de Zamalek, rien que pour avoir le plaisir de rendre à nouveau visite aux « deux matrones revêches » qui règnent sur leur bric-à-brac, trônant sur leur canapé, devant leur éternelle table à café et qui continuent, malgré leur « splendeur fanée » et « leur voix épaissie », à essayer de « tenir leur rang de grandes dames européennes ». Et, une fois de plus, Ziffer fond de plaisir « en entendant le français de ces deux Cairotes, un français chantant avec le r oriental, bercé de mots hors d’usage depuis belle lurette dans les dictionnaires, mais toujours d’actualité ici, comme des bijoux défraîchis ». Et c’est le moment qu’il choisit pour nous parler de ces livres qu’il a cherchés partout dans le monde et qu’il a finalement dénichés ici au Caire (page 73), comme « le récit de voyages Hommage à Barcelone du merveilleux et sombre écrivain irlandais Colm Tóibín » qui a aussi écrit un roman d’horreur, dit-il, Histoire de la nuit. Les romans d’horreur ne m’intéressent pas, mais je vois sur le net qu’il s’agit d’une histoire de la guerre des Malouines (cela a paru en français chez Flammarion en 1997). Ce qui peut être piquant du moment que la guerre est décrite par un Irlandais !
Et puis autre découverte, le Turc Sait Faik, auteur de nouvelles, « le Tchekhov de la Turquie », dit-il. En fait il s’agit de Sait Faik Abasiyanik (1906 – 1954). Ce qui est remarquable c’est que plusieurs de ses recueils de nouvelles ont été publiés en français dans une petite maison d’édition appelée Bleu autour, située à Saint Pourçain-sur-Sioule : Samovar (2011), Un homme inutile (2007), Le café du coin (2013) et Un serpent à Alemdaf (2007). J’ai commandé les deux derniers, publiés peu de temps avant sa mort. J’ai lu des extraits sur le net qui me plaisent. Encore un promeneur désenchanté et sensible. Le dernier recueil semble même tendre un peu vers le fantastique. Je crois que je vais aimer…
Et puis Ziffer parle de l’Immeuble Yacoubian d’Alaa El Aswany (né en 1957) paru aux Editions Actes Sud en 2006 (page 75). Un livre qui se trouve bien sûr dans ma bibliothèque. C’était « le plus grand bestseller du monde arabe de tous les temps », dit-il. Ziffer se trouvait au Caire quand l’édition anglaise a paru et que « le tirage fut épuisé en une seule journée ». L’immeuble existe réellement, dit-il, à quelques centaines de mètres de la place Talaat-Harb où se trouve un autre immeuble célèbre, l’immeuble Belher, du nom d’un hôtelier suisse, Charles Belher, qui avait construit toute une série de maisons de style parisien à la fin du XIXème siècle autour des principales places du centre-ville.
L’Immeuble Yacoubian avait été publié par les éditions de l’Université du Caire. Comme l’est le roman La Porte ouverte de l’écrivaine féministe Latifa al-Zayyat qui est née à Damiette dans le Delta en 1923 et décédée en 1996 à 73 ans. Une écrivaine pas seulement féministe, dit Ziffer (page 83), mais aussi « révolutionnaire par l’utilisation novatrice de l’arabe populaire ». Son roman raconte « l’éveil sexuel et émotionnel d’une jeune Egyptienne, en même temps que son sens de la justice et sa sensibilité devant l’oppression », dit-il. Il ne semble pas avoir été traduit en français. Alors je me suis procuré la traduction anglaise (The open Door, édit. Hoopoe – American University to Cairo Press, 2017) et suis en train de la lire. La traductrice Marilyn Booth évoque, dans une courte postface, sa vie et les difficultés qu’elle a rencontrées dans sa carrière littéraire. Elle a été professeure à l’Université Ain Shams au Caire. Le récit très vivant, par ses nombreux dialogues, commence en 46 lorsque l’héroïne, Layla, a 11 ans et que Le Caire vit sa première et déjà sanglante manifestation de masse contre les Anglais et finit dix ans plus tard, en 1956, lorsque Nasser nationalise le Canal.
Et lorsque Ziffer prend le taxi avec son ami fantôme Niemand (page 95), il se rappelle les « 58 discussions avec des chauffeurs de taxi du Caire que l’écrivain égyptien à succès Khaled Al Khamissi a recueillies et éditées dans son best-seller Taxi ». Encore un livre publié en français aux Actes Sud (2009). Moi qui trouvais que depuis la disparition de l’éditeur Jean-Claude Lattès et de l’absorption de Sindbad par les Actes Sud la littérature arabe était mal représentée par l’édition française ! Sur le net je constate même qu’un autre roman d’Al Khamissi qui est né en 1962 a été publié par Actes Sud (en 2012) : L’Arche de Noé.
Réel ou pas, c’est en tout cas Niemand qui recommande à Ziffer l’ouvrage de Cynthia Nelson : Doria Shafik, une féministe égyptienne (page 131). Pour une fois le récit de Ziffer manque de précision. En fait (d’après Wikipédia) Doria était née dans un village du Delta en 1908 (encore une féministe née dans le Delta !), avait étudié dans une école missionnaire d’Alexandrie, obtenu le baccalauréat français à 16 ans, puis poursuit ses études à la Sorbonne où elle obtient un doctorat en philosophie et passe deux thèses. L’une de ses thèses porte sur La femme et le droit religieux de l'Égypte contemporaine. Intéressant, non? En rentrant en Egypte en 1940 on lui refuse un poste d’enseignant à l’Université du Caire (trop moderne !). C’est finalement la première épouse de Farouk qui lui offre le poste de rédactrice en chef de la Revue francophone La Femme nouvelle. Puis elle crée un mouvement de militantes, les Filles du Nil, en 1945, et un magazine pour les femmes en arabe, La Fille du Nil, en 1948. Elle organise des manifestations de masse, en 1951, puis en 1952 après la révolution. Naguib lui promet de tenir compte du droit des femmes dans la nouvelle constitution. Et, effectivement, les femmes obtiennent le droit de vote dans la Constitution de 1956, mais à condition qu’elles soient alphabétisées ! Avec Nasser cela se passe mal. En 1957 elle est arrêtée, entame une grève de la faim, puis est assignée à résidence pendant 13 ans jusqu’à l’arrivée de Sadate en 1970 et, finalement, se suicide en se défénestrant de son appartement en 1975. Je ne crois pas qu’il existe une traduction française de sa biographie par Cynthia Nelson. Je vais essayer de me procurer l’anglaise : Doria Shafik, Egyptian feminist, a woman apart, University Press of Florida.
Une autre fois Ziffer visite Le Caire avec un poète turc, Özcan Durmaz, autre grand amoureux de la ville (page 150). Amoureux de Hafiz aussi et de l’Iran qui incarne pour lui « un pays de culture par excellence et non le monstre que l’on dépeint en Occident ». Je partage un peu cette opinion. Alors, attablés au café Naguib Mahfouz au souk du Caire, Khan al-Khalili, ils évoquent Hafiz et Durmaz raconte que c’était aussi le poète favori de l’Allemand von Platen qui aurait été « le premier à faire connaître en Europe les poèmes de Hafiz dans un habillage germanique de gazelles aux pattes agiles ». Ce qui m’étonne un peu puisque je sais que c’est l’érudit von Hammer qui a été le premier à le traduire et que ce fut un coup de foudre pour Goethe qui allait l’inciter à aller à la découverte de toute cette poésie persane et aussi arabe, turque, indienne et même hébreue, et publier son West-östlicher Divan à 70 ans (en 1819 : on en fêtera le bi-centenaire l’année prochaine). Alors les deux amis évoquent la fameuse bataille verbale entre Heine et Platen, Heine traitant Platen de pédé, et Platen traitant Heine de sale juif ! Et Durmaz signale qu’il y a un ouvrage récent qui raconte cette histoire, les Marginaux de l’Allemand Hans Mayer. Encore un qu’il faut que je me procure : Les Marginaux. Femmes, Juifs et homosexuels dans la littérature européenne, Albin Michel, 1994. J’ai déjà étudié l’apport des juifs à la littérature de langue allemande, pourquoi ne pas étudier aussi celui des homosexuels !
Ziffer visite aussi le delta, Port Saïd, Suez, Ismaïlia, le lac Amer, la Rosette de la fameuse pierre. Et finalement Alexandrie où il fulmine contre la mégalomanie européenne qui a financé la fameuse bibliothèque (son architecte était venu nous voir à Luxembourg pour étudier comment faire pour laver l’immense toit vitré : un problème insoluble !). A la bibliothèque (page 174) il est reçu par deux charmantes hôtesses, nommées Dina et Dalia (il adore), qui l’amènent voir « le masque mortuaire de Constantin Cavafy, datant de 1933, avec à côté, le manuscrit d’un poème en grec et un chapelet ayant appartenu à ce poète immense et triste, mort dans un semi-anonymat au cœur de cette ville indifférente qui, désormais, en tire sa réputation et entend se glorifier de son poète », écrit-il. Et il nous apprend que c’est grâce à E. M. Forster (et aussi un peu grâce à Lawrence Durrell) que ce grand poète a pu être publié et a été sauvé de l’oubli. Forster avait découvert en lui une âme sœur. Faut-il être homosexuel pour apprécier un poète homo ? Car c’est encore une écrivaine homosexuelle, Marguerite Yourcenar, qui présente son œuvre et traduit ses poèmes avec l’aide d’un Grec, Constantin Dimaras (voir la publication dans la série Poésies de Gallimard qui date de 1958 et qui se trouve dans ma bibliothèque). Il est vrai que certaines expériences sont communes aux deux formes d’homosexualité, comme celle décrite par ce début de poème de Cavafy cité par Yourcenar :
Leur plaisir défendu s’est accompli. Ils se sont levés du lit et s’habillent hâtivement sans parler. Ils sortent furtivement de la maison, et, comme ils marchent un peu inquiets dans la rue, ils semblent craindre que quelque chose sur eux ne trahisse à quel genre d’amour ils viennent de se livrer.
En tout cas, je le sais maintenant : Benny Ziffer, aussi, est homosexuel. Lui aussi est un marginal. Ce qui explique peut-être pourquoi il est si différent d’un Israélien « normal »…
Il est impossible de se rendre à Alexandrie sans penser au fameux Quatuor de Lawrence Durrell. Et je pense comme Ziffer que cette œuvre est responsable du « mythe de bulle enchantée brodée autour de cette cité ». Je suis d’accord parce que j’ai eu cette déception profonde en découvrant la ville d’aujourd’hui dans toute sa crasse et sa population grouillante. Où étaient passés les Balthazar, les Justine, les Mountolive et la pauvre Cléa ? Où est la ville dans laquelle ils ont vécu ?
Parmi les autres livres qu’il cite et qui font revivre la ville il nomme un roman de Mahfouz que je ne connais pas : Miramar, et qui a été publié en français par Gallimard en 1993. Un « roman mélancolique », dit-il, « sur une propriétaire de pension décadente d’Alexandrie ». C’est Nasser qui a détruit la ville, dit Ziffer. La ville et son mythe.
Et puis Ziffer retourne une dernière fois au Caire et rend visite à la Bibliothèque de l’Université américaine. Et tombe sur une revue qui parle de littérature libyenne. Eh, oui, cela existe, dit-il. Hisham Matar : Anatomie d’une disparition. Le livre existe effectivement en français (publié une première fois sous le titre Disparition, chez Denoël en 2012) mais Matar est anglo-libyen, né à New-York (en 1970) et écrit en anglais (Anatomy of a disappearance). Son histoire personnelle est assez dramatique. Sa famille a trouvé refuge en Egypte après la chute du Roi, quand son père est enlevé et ramené en Libye. Matar a 19 ans. Quand Khadafi tombe en 2011 le peuple prend d’assaut les prisons et libère les détenus. Matar retourne en Libye, remue ciel et terre mais ne retrouvera jamais son père disparu à jamais. C’est l’histoire de cette quête et la méditation sur la perte du père qui fait l’objet d’un livre paru chez Gallimard en 2017, intitulé La Terre qui les sépare. Mais j’ai l’impression que c’est déjà le thème de l’Anatomie d’une disparition, sauf que dans ce dernier livre la réalité avait été transformée en fiction : les noms sont changés, l’enlèvement du père se fait devant sa maîtresse, la mère meurt mystérieusement, le fils est amoureux de la deuxième femme du père, etc. Je crois qu’il est préférable de lire la chronique du réel (La Terre qui les sépare). Et on apprendra, en plus, pas mal de choses sur l’histoire du pays…
Mais le plus éminent des écrivains de la Lybie moderne, nous affirme Ziffer, est Ibrahim Al-Koni. Et il cite son roman La Poupée, traduit en anglais : The Puppet. En fait Al-Koni, né en 1948, est de culture touareg et le désert est une figure mythique de ses romans dont beaucoup ont été traduits en français. On trouve sur le site de l’Université Lumière Lyon 2 une magnifique thèse intitulée : l’Univers mythique touareg chez Ibrahim Al-Koni par un certain Ben Meftah Tahar ben Ali. Elle contient également une bibliographie complète. Son œuvre est considérable. La poupée ne semble pas avoir été traduite en français. Mais beaucoup d’autres de ses livres l’ont été : Poussière d’or (Gallimard, 1998), L’Herbe de la nuit (L’Esprit des Péninsules, 2001), Le Saignement de la pierre (L’Esprit des Péninsules, 1999), L’Oasis perdue (Phébus 2002), Les Mages (Phébus, 2005), Comme un appel du lointain (Michel de Maule, 2009), Ange qui es-tu ? (Aden, 2010). Comment choisir ? J’ai commencé par télécharger la thèse. Qui a pour épitaphe ceci :
Quand les oiseaux s’envolent, à leur saison, chaque homme fait retour sur lui-même, pour vaincre sa nostalgie, la nostalgie de cet ailleurs d’où il est venu un jour, sur les ailes des oiseaux.
J’ai l’impression qu’avec Al-Koni Ziffer a mis la main sur un très grand écrivain arabe. Exilé comme de bien entendu, en Suisse. Erudit, pas seulement homme du désert mais profondément imprégné de ses mythes et légendes. Celle de l’oasis secrète, celle de la Loi du désert, celle de la Loi des Nomades : ne restez jamais plus de 40 jours au même endroit sinon vous seriez esclave de la terre.
Et puis Ziffer visite la Jordanie. Avec son épouse. Effectivement, il est marié. Quand même. Et leur première visite ils la rendent à la citadelle de Machéronte, l’ancien palais du Roi Hérode Antipas devant qui Salomé avait dansé sa fameuse danse des sept voiles et qui allait, pour la récompenser, faire décapiter Jean le Baptiste. Un « magnifique palais du désert, au sommet de la citadelle de Machéronte, face aux monts pelés d’Edom et à la rive orientale de la mer Morte ». Moi je n’en ai jamais entendu parler de Machéronte. J’ai pourtant visité Amman, pour le boulot il est vrai, et j’ai même fait la route jusqu’à Akaba. Mais Ziffer avait une raison spéciale pour visiter l’endroit. La nouvelle de Flaubert qui raconte l’histoire, Hérodias. A cause de la fin, quand trois disciples de Jean viennent à la forteresse pour emporter la tête « posée sur un plateau » et repartent pour l’enterrer en Galilée. Et surtout à cause de cette phrase que Ziffer trouve sublime : « Comme elle était lourde, ils la portèrent alternativement » !
Mais, bientôt, Ziffer revient à Amman et visite les librairies. Et dans le Centre du Livre jordanien, voilà qu’il tombe sur le livre d’un Israélien, Simon Louvish, le Silencieux. Un Israélien banni des librairies israéliennes. Et pour cause. Il n’y a qu’à aller sur son blog et lire, entre autres, son texte intitulé : Repetition – Gaza – War – Context. En fait il est né en Ecosse en 1948, vit en Angleterre, écrit en anglais et est extrêmement critique de la politique israélienne. Même s’il a participé, comme cameraman, à vingt ans, à la guerre de 1967 contre l’armée égyptienne. Louvish est quelqu’un d’intéressant. C’est un satiriste. Il a créé un type farfelu, Avram Blok, un Israélien, et un autre, un journaliste Joe Dekel, qui est le héros du livre mentionné par Ziffer, The Silencer (Emerging Voices, 1991), qui suit une conférence de paix israélo-palestinienne, et est suivi par un mystérieux personnage qui travaille ou pour l’extrême-droite israélienne ou pour les évangélistes américains, on ne sait trop… Mais il a aussi fait des études de cinéma et a écrit de nombreuses biographies cinématographiques, surtout sur les amuseurs, Fields, Marx Brothers, Charlie Chaplin, Mack Sennett, etc.
Et puis Ziffer se rend chez le libraire Farouk al-Jabari dont les rayonnages « recèlent encore six mille ouvrages rares dont des éditions anciennes de grandes œuvres classiques », mais qui lui affirme : « il n’y a pas de littérature jordanienne » (mais il y a une littérature arabe). Et c’est pourtant là que Ziffer trouve le livre qu’il cherche : Histoire d’une cité : une enfance à Amman d’Abdul Rahman Mounif (1933 – 2004) (publié par Sindbad-Actes Sud en 1996 sous le titre : Une ville dans la mémoire : Amman). Mounif y raconte ses années d’enfance entre 1930 et 40, dit-il, et sa grand-mère irakienne qui avait rapporté de Bagdad sa théière arborant le portrait du roi Ghazi tué dans un accident automobile. Son grand-père était saoudien, ce qui l’incite probablement à raconter toute l’histoire moderne de l’Arabie Saoudite dans une vaste fresque de 5 volumes, les Cités de Sel, dont, semble-t-il seul le premier, L’Errance, a été traduit et publié par Sindbad en 2013. L’ouvrage n’a pas dû plaire dans le Royaume : il y est interdit ! Mounif était nationaliste, adhérent du parti Baas et a fait un doctorat en économie pétrolière en Yougoslavie.
Amman a ses sept collines comme Rome et au centre il y avait un amphithéâtre romain. La Jordanie manque de ressources mais reste encore aujourd’hui un pays de culture. Ziffer admire les nombreuses galeries d’art, le Musée des Beaux-Arts, avec sa bibliothèque d’art, créé par un magnat palestinien (oui, cela existe) et découvre que la Jordanie est aussi la gardienne des traditions artisanales palestiniennes. C’est ainsi qu’il rend visite, rue du Roi-Tahal, à la boutique de l’Arménien Kokozian qui importe les verreries décorées à la main de Hébron, alors que « l’art antique des souffleurs de verre a disparu des marchés de la ville », dit-il avec regret. Et au commerce d’antiquités Al-Aïdi dont la Présidente, Mme Widad Kawar, sauve de l’oubli « les derniers lambeaux de l’artisanat palestinien par excellence : l’art de la broderie qui… ornait les robes des femmes palestiniennes en Terre d’Israël » et qui possède « l’une des plus grandes collections de l’art de l’aiguille locales », dit-il encore. Ziffer a l’air de s’y connaître dans cet art. Il nous parle longuement de la Suissesse Marguerite Skinner qui a publié en 2007 un ouvrage intitulé Motifs de la broderie palestinienne : trésor de points de croix, 1850 – 1950. Elle a travaillé toute sa vie pour la Croix Rouge et l’Unwra dans les camps de réfugiés et a incité les femmes à broder en groupe car elle y voyait une valeur thérapeutique. C’est ainsi qu’elle a accumulé une somme de connaissances sur les styles et motifs des différentes régions, cactus, chameaux, scorpions, fleurs, cyprès, etc. Et les « deux cités royales de cette broderie », dit Ziffer, « étaient Ramallah et Hébron ». Marguerite Skinner appelle cet art « la pharmacopée de l’âme palestinienne », dit Ziffer. Mais, hélas, aujourd’hui « l’ère de la broderie est révolue » (comme partout) et tout le monde s’en fout !
Et puis Ziffer visite encore les nombreuses autres librairies qu’on trouve toujours à Amman. Dans l’une d’elles il a encore déniché un auteur jordanien : Ibrahim Nasrallah et son livre Terres de fièvre. C’est un écrivain, poète et peintre né en 1954 à Amman. Il ne semble pas avoir été traduit à ce jour en français. L’édition anglaise du livre remarqué par Ziffer est publiée sous le titre Prairies of Fever par un éditeur américain appelé Emerging Voices. Le roman raconte les tribulations d’un instituteur jordanien en Arabie saoudite (il a lui-même enseigné pendant 5 ans dans le Royaume).
Et pour finir Benny Ziffer nous entraîne à Istanbul, la ville de son enfance. Sa mère ne voulait pas qu’il y retourne, de peur de se voir obligé de faire son service militaire. Finalement c’est en 1991 qu’il visite la Turquie pour la première fois. Et il ne cessera plus jamais d’y retourner. Comme ce sont surtout les écrivains de ce cercle du « Levant » auxquels je m’intéresse je ne vais pas parler de ses souvenirs, de sa famille, leurs amis encore vivants, ni de la peinture, ni de la musique (encore qu’il faudrait parler du rebétiko, cette musique populaire grecque née dans les années 1920 en Asie mineure, donc en Turquie, et que Ziffer écoute même à Jérusalem quand il roule dans sa voiture), je vais tout de suite passer aux écrivains et aux œuvres cités par notre voyageur cultivé.
Le premier est un écrivain juif, Mario Levi, né en 1957. Et son premier livre : Istanbul était un conte (page 274). C’est sous ce titre que le livre a paru en français en 2011 chez Sabine Wespieser. Je l’ai commandé et je me réjouis à l’avance de pouvoir déguster ce pavé de 700 pages qui raconte la vie quotidienne de trois générations de juifs stambouliotes du siècle passé. Des centaines d’histoires qui auraient pu faire l’objet de centaines de romans, peut-on lire sur un blog littéraire. Et quand on parle de vie quotidienne c’est bien de cela qu’il s’agit : façons de parler, histoires d’amour, recettes de cuisine, tout, y lit-on encore. Même si le roman se fait aussi l’écho des conflits du monde qui frappent les membres de la communauté. Comment pourrait-il y échapper ? Ziffer rencontre Mario Levi chez lui et ils se parlent en français, leur langue « maternelle, familiale ». Mais sa langue d’écriture est le turc. Quand Ziffer lui demande s’il avait pu émigrer en Israël, il lui répond : oui, mais je ne serais jamais devenu un écrivain. Et il ajoute : « la langue turque est ma véritable patrie ». Même s’il aurait aussi pu écrire en français ou en ladino. Si Levi est moins connu que Pamuk ou Kemal c’est qu’il ne passe pas pour un rebelle, dit Ziffer. Et pourtant il était aussi pourchassé comme intellectuel et gauchiste dans sa jeunesse. Et il le raconte dans Où étiez-vous quand la nuit est tombée ? (page 322). Mais je n’ai pas trouvé de traduction française (juste une allemande chez Suhrcamp, en 2011 : Wo wart ihr als die Finsterniss hereinbrach ?). C’est aussi un hommage à la Turquie cosmopolite, disent les critiques allemands sur le net, avec comme décor la dictature militaire des années 70. Mais encore plus un retour mélancolique sur leur jeunesse pleine de rêves et d’idéalisme d’un groupe d’amis turcs, grecs et juifs, qui avaient tous été éduqués dans une école française et qui se demandent s’ils n’ont pas raté leur vie. L’atmosphère doit être cette mélancolie si particulière aux Stambouliotes, déracinés ou pas, dont parle Ziffer et qui s’appelle, paraît-il, hüzün.
Ziffer a également rencontré (interviewé) un autre écrivain remarquable et qui est en même temps chanteur et compositeur (un très grand) : Zülfü Livaneli (page 308). C’est lui qui a composé la musique des films Yol, la permission et Le Troupeau du réalisateur turc d’origine kurde, Yilmaz Güney. « Une voix profonde et simple à la Brassens », dit Ziffer qui a été particulièrement touché par son interprétation de ce que Ziffer considère comme la plus belle déclaration d’amour à Istanbul, J’écoute Istanbul, les yeux fermés, du poète turc Orhan Veli. Livaneli a également eu une carrière politique (son père a été Président de la Cour Suprême de Turquie), toujours opposé à la dictature et défenseur des droits de l’Homme. Celui de ses livres qui a eu une répercussion mondiale, surtout grâce au film qui en a été tiré s’intitule Bliss en anglais et a été traduit en français avec le titre Délivrance par Gallimard en 2006 (le film a été réalisé par Oguz Abdullah). C’est l’histoire de Meryem violée par son oncle. Qui ne sera bien sûr jamais inquiété alors que Meryem est souillée pour toujours. Histoire connue. Mais il faut quand même du courage pour la raconter. D’après ce qu’en dit Ziffer, ce livre est passionnant. Il faut que je me le procure. Myriam et son cousin chargé de la tuer (crime d’honneur !) s’échappent et traversent toute la Turquie pour se rendre à Istanbul. Beaucoup de thèmes viennent s’y ajouter : la répression des Kurdes, l’esprit arriéré des fondamentalistes, l’homosexualité, etc. De toute façon beaucoup de réflexions de Livaneli lors de l’interview m’ont frappé. A propos de la montée de l’intégrisme : nos grands-mères sont plus modernes que leurs petites-filles. A propos de la mauvaise réputation des Turcs en Europe : ce sont les immigrés turcs les responsables, paysans à moitié nomades, ayant toujours vécu dans un cadre tribal, pas un intellectuel sur un million. A propos des Arméniens : bien sûr, c’était un génocide ! D’ailleurs son dernier roman en parle explicitement. Je ne suis pas sûr qu’il ait été traduit en français. La version anglaise porte un titre en allemand : Serenade für Nadja (2013). Probablement parce que l’un des principaux protagonistes du roman est un Professeur allemand, Maximilian Wagner, qui a trouvé refuge en Turquie pendant la guerre pour échapper aux Nazis.
Puis Ziffer continue à fouiller dans les librairies. Il cite deux romans d’Orhan Pamuk, le prix Nobel, Le Château blanc (Gallimard 1999) et Le Musée de l’Innocence (Gallimard 2011), mais ce que j’ai déjà lu de Pamuk ne m’a pas inspiré. En cherchant le dernier roman de Pamuk dans le quartier de la rue Istiklal, Ziffer tombe sur un roman policier qui se passe chez les transsexuels qui se prostituent – et, visiblement cela l’émoustille – et qui porte le beau titre de : Hécatombe chez les élues de Dieu (Le Masque, 2008). Lors de mon prochain séjour à Paris j’irai voir chez L’Amour du Noir s’ils l’ont. L’auteur s’appelle Mehmet Murat Somer (né en 1959).
Ziffer nous parle encore d’autres écrivains turcs, comme Nedim Gürsel installé en France, d’une anthologie de poésie mystique musulmane, La Voie des soufis, d’Idris Sah, et, à propos des mystiques justement, de celui du XIIIème siècle, Jalâl al-Dîn Rûmî, et de son grand amour Shams de Tabriz (la légende raconte que les deux amants sont « restés cloîtrés dans une cellule sans en sortir pendant six mois »). Ce Shams mis à mort par une foule déchaînée à Damas. Est-ce cette malheureuse histoire qui incite Ziffer à se rendre à Konya où Rûmî avait fondé l’ordre des derviches tourneurs ? Et quand il revient du spectacle des derviches en extase, il se pose la question : comment expliquer qu’un mythe homosexuel amène ici des dizaines de milliers de pèlerins musulmans pour « voir les adeptes de ce pédé danser en l’honneur de leur guide monté au ciel il y a sept cent trente ans ». Oh, Benny, on se calme ! Il ne faudrait pas oublier que ce vice que l’on dit grec était tout autant turc. Il n’y a qu’à lire Istrati ou Andritch pour savoir que les Ottomans emmenaient tous les ans des cargaisons de jeunes garçons des provinces chrétiennes de leur Empire jusqu’à Istanbul pour en faire de futurs combattants et bons musulmans et y sélectionner les plus mignons pour les plaisirs du Sultan et de ses grands et petits vizirs.
Lors de son dernier jour à Istanbul Ziffer tombe sur un chauffeur de taxi laze et qui écoute le chant triste d’un poète laze. Et Ziffer connaît les Lazes et sait tout sur eux. Le chauffeur en est tout ébahi : vous les Juifs vous savez vraiment tout ! Les Lazes sont un petit peuple de pasteurs montagnards du Nord de l’Anatolie, peut-être venu de l’antique Colchide, partie chrétiens, partie islamisés, avec quelques bribes païennes, Dieu du Soleil et déesse mère, dit Ziffer. Une culture entièrement orale appelée à disparaître. Comme beaucoup d’autres. Mais c’est toujours triste.
Ziffer termine son tour du « Levant », comme il se doit, à Athènes. Par une visite plutôt courte. Où il s’intéresse d’abord à la musique. Et au fameux rebétiko. Et on apprend que, comme le tango, il s’agit d’une musique née dans des endroits mal famés. Et c’est par le rebétiko qu’il en vient à l’écrivain Costas Tsaktsis (1927 – 1988). Parce qu’il en a parlé, de ses origines, des cafés et des bouges, du haschich que fumaient les « Rebètes » et que les chansons célébraient. Or ce fameux Tsaktsis, dont certains livres ont été traduits en français (Le troisième anneau, Gallimard, 1981, et le recueil de nouvelles, La petite monnaie, Seuil, 1990), était un travesti et un homosexuel et a été étranglé un jour dans son appartement par un homme, on ne sait pas qui, qu’il a fait monter chez lui. Mais nous arrêterons là. Assez d’invertis !
Il n’empêche, je reviens à ce que j’ai évoqué au début de cette note. Je suis bien sûr en grande admiration devant l’érudition de Benny Ziffer, devant l’incroyable connaissance qu’il de toute cette culture de ce Levant, tout l’art, la peinture, la musique, l’histoire, le folklore et surtout la littérature arabe et turque d’aujourd’hui. Mais je me dis surtout, comme Ziffer l’exprime d’ailleurs à plusieurs reprises directement ou non : quel affreux gâchis ! Quel malheur que la population israélienne, dans son immense majorité, non seulement ignore la culture de ses voisins, mais ne veut même pas en entendre parler. Pense peut-être qu’Israël n’est entouré que de peuples barbares et arriérés. Or Israël est bien situé au Moyen-Orient, ses voisins immédiats sont le Liban, la Syrie, la Jordanie et l’Egypte. La géographie ne va pas changer, même dans 100 ans ! Une bonne partie de sa population a ses origines au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord. Vingt pourcent des citoyens d’Israël sont des Arabes. Et s’ils continuent leur politique actuelle qui conduit à un Etat unique ils seront bientôt obligés de cohabiter avec 5 millions d’Arabes. Mais Israël préfère de loin ses liens avec l’Europe (commerciaux et sportifs) et, encore plus, avec l’Amérique. Or Israël pouvait nouer des liens avec ses voisins. Aujourd’hui il y a toujours des liens diplomatiques avec l’Egypte et la Jordanie. Israël avait d’excellentes relations avec la Turquie avant l’incident du bateau turc qui voulait briser le blocus de Gaza. L’Iran était un grand ami d’Israël au temps du Shah. Je me souviens d’avoir aidé notre agent israélien de Haïfa à exporter certains de ses produits en Iran. Et je me souviens même avoir trouvé en Syrie des chemises fabriquées en Israël. La Ligue arabe a offert la paix en échange de la reconnaissance d’un Etat palestinien. Ziffer est toujours bien accueilli partout, que ce soit en Egypte, en Jordanie, en Turquie.
Le gâchis c’est bien sûr toutes ces années perdues depuis les accords d’Oslo. Comment a-t-on pu accepter que l’assassin de Rabin gagne la partie ? Or le temps n’a pas joué en faveur d’Israël et ne jouera pas en sa faveur à l’avenir. Et du côté arabe les islamistes ont profité de la plaie ouverte en Palestine pour en faire un combat religieux. Voyez ce qu’en dit Daoud : on en a fait une cause panarabe et une cause de messianisme islamique et cela n’aide pas les Palestiniens. Mais en Israël aussi ceux qui gouvernent aujourd’hui en ont fait une cause religieuse intégriste. Mais passons. Ce qui est certain c’est que tant que le problème palestinien n’aura pas été résolu Israël restera toujours un corps étranger au Moyen-Orient, une greffe qui n’a pas pris…
En attendant je remercie chaleureusement Benny Ziffer. J’ai déjà commandé beaucoup des livres qu’il m’a fait connaître. Et ce n’est pas fini. Il a fallu un Israélien pour me montrer que l’édition française n’est pas devenue aussi nulle que je le pensais pour ce qui est de la littérature arabe…
Post-scriptum (2019) : J'ai fini par lire certains des livres cités par Ziffer. Voir pour Livaneli mon Bloc-notes 2018 : Découverte de l'écrivain turc Livaneli, voir aussi la relation entre écrivains turcs et Istanbul (Levi, Faik, Pamuk et Kemal) sur mon Bloc-notes 2019 : Les écrivains turcs et Istanbul. Je parle aussi de Latifa al-Zayyat et de Doria Shafik sur mon Bloc-notes 2019 dans : Trois féministes égyptiennes. J'en ai même profité pour revenir plus longtemps à Yachar Kemal, sa Tchoukourova adorée et la poésie épique turque (et kurde), voir sur mon Bloc-notes 2018 : Kemal, Tchoukourova et poésie épique.