L'Anthropocène et le Néganthrope
(Jean Vioulac : Métaphysique de l’Anthropocène – Nihilisme et totalitarisme, Presses universitaires de France, 2023)
J’étais pourtant prévenu : le collaborateur du Monde des livres, David Zerbib, qui en parlait, débutait son article avec cette question : « Pourquoi ouvrir un livre de philosophie dont chaque mot du titre semble exiger à lui seul un livre d’explications ? » (voir : Oser penser le vide abyssal qui s’ouvre sous nos pieds, Le Monde du 7 juillet 2023). Alors bon, l’Anthropocène je savais plus ou moins ce que ce mot signifie : la dernière période géologique caractérisée par l’effet de l’homme sur la planète. La définition même laissait déjà prévoir que cela ne pouvait que mal se terminer ! Mais le néganthrope c’est quoi ça ? C’est nous, c’est l’Homme. Un animal désanimalisé selon Nietzsche, un « animal renégat, qui dénie son origine naturelle et renie son animalité » (dixit Vioulac), une puissance de négation telle qu’il faut le définir ainsi, d’où le terme néganthrope. Moi qui ne suis pas philosophe j’ai toujours pensé que l’homme était simplement un animal qui avait mal tourné. Mais si on suit Vioulac on se rend compte que c’est bien plus grave que cela. La vérité « essentielle » de l’histoire de l’humanité, dit-il, c’est qu’elle est « apocalyptique ». Or c’est là que ce philosophe m’intéresse même si je n’arrive pas à suivre ses considérations sur une « métaphysique de l’anthropocène ». Car l’Apocalypse j’y crois depuis longtemps.
Je viens de relire la note que j’avais consacrée dans mon Bloc-notes 2015 à la vision de l’Apocalypse par Karl Kraus et l’auteur autrichien Nestroy : Franzen, Kraus et l’Apocalypse. On y trouve déjà tout. Ma propre vision de l’Apocalypse qui est plus ancienne et que j’avais formulée pour la première fois lors de la folle crise financière de 2008 (folle par la façon dont elle avait démarré : les aigrefins qui vont voir les propriétaires, leur disant que la valeur de leur maison avait augmenté à cause de l’inflation et donc qu’on pouvait leur prêter plus, folle par les financiers qui ont fondu leurs hypothèques douteuses dans des fonds titrisés, folle parce que les banques du monde entier ont acheté ces fonds titrisés sans chercher à savoir ce qu’ils contenaient, ou en être de toute façon incapables, folle parce que les Etats ont sauvé ensuite ces banques ou ont été obligés de les sauver avec l’argent du contribuable). Alors dans ma vision mon premier des quatre cavaliers de l’Apocalypse qu’avait inventée Saint Jean était le Cavalier blanc de la Finance (qui était parti de Chicago, bien entendu), le deuxième le Cavalier vert de la nature (déjà. On était pourtant bien loin encore de ce que ce Cavalier nous a déjà apporté cette année-ci, en 2023, les 40 degrés dépassés pendant des semaines à Lyon et Paris, le plus grand incendie, historique, en Grèce, un incendie au Canada qui a ravagé une surface égale au quart de la France, une ville soufflée par une tempête de feu en quelques heures à Hawaï, les glaciers alpins qui rapetissent et auront définitivement disparu en une ou deux décennies, les ouvriers qui travaillent au soleil, coupeurs de cannes ou travailleurs de chantiers qui meurent, déshydratés, reins foutus, et au moment même où j’écris, ceci : une inondation géante en Lybie qui a peut-être provoqué 10000 morts), le Cavalier noir de la Religion (à l’époque c’était surtout les attentats islamistes, depuis lors ce sont les femmes qu’un certain Islam écrase littéralement en Iran et surtout en Afghanistan. Et les évangélistes ne font pas mieux : la Cour suprême américaine approuve l’interdiction de l’avortement). Quant à mon dernier, le Cavalier rouge c’était celui de la déculturation. Dans ce domaine-là on n’a fait que continuer à s’enfoncer de plus en plus. Grâce à un phénomène dont je n’avais pas encore compris l’importance qu’il allait prendre dans la propagation de la bêtise et la crise de la démocratie (et Kraus encore moins, même si Franzen, plus tard, aura compris, lui) : les réseaux sociaux.
L’une des deux études de Karl Kraus que Franzen allait commenter s’intitulait Nestroy et la postérité. Et concluait sur le fait que nous nous dirigions vers une civilisation qui ne pouvait avoir de postérité. De futur. Ce qui rejoint les conclusions auxquelles arrive Vioulac. De toute façon il y a dans l’essai de Kraus plusieurs idées qui, me semble-t-il, correspondent à celles du philosophe. Car autant vous le dire tout de suite il y a beaucoup de réflexions de Vioulac que je ne comprends pas parce qu’elles me dépassent. Comme cette histoire de négation. Que l’homme ait dès l’origine cherché à dominer la nature, les chasseurs la faune, les agriculteurs la flore, c’est connu, bien sûr. Mais est-ce nier la nature ? Et est-ce que c’est cette négation qui entraîne la destruction de la terre comme de l’humanité ? Ou est-ce l’esprit de l’homme, la façon dont il fonctionne ? Ou n’est-ce pas la même chose ? Voici ce qu’écrit Kraus : « Cela fait déjà 50 ans que fonctionne la machine où l’esprit entre à un bout pour en sortir à l’autre bout comme imprimé, diluant, se répandant, détruisant… » (l’essai de Kraus devait être un hommage à Nestroy à l’occasion du cinquantenaire de sa mort). Ou, toujours à propos de la machine : « la machine continue à tourner parce que son conducteur a oublié le mot ! ». Et puis il y a ce mot magnifique qui permet de tout justifier, comme les 10 millions de morts de la Grande Guerre (le patriotisme, dit Vioulac) ou toutes les horreurs du régime stalinien (Vioulac cite nihilisme et totalitarisme) : « la fin est le moyen pour oublier les moyens ». Kraus a encore eu d’autres réflexions qui n’intéressent peut-être pas Vioulac mais que je trouve tellement pertinentes encore 100 ans plus tard, comme quand il décrit un monde qui semble bien être celui d’aujourd’hui : « un monde où chacun a une individualité et tous ont la même, et c’est l’hystérie qui est la colle qui tient l’ordre social ensemble ». Ou : « leur mémoire ne dure pas plus que leur digestion. Appliquer leur esprit à quelque chose qui est sortie de leur mémoire dérange leur digestion ».
Et puis Kraus est aussi l’un des rares Autrichiens qui avaient compris toute l’horreur qu’allait être cette grande guerre dont nous parle Vioulac au début de son livre. Or Kraus n’a pas cessé de combattre la guerre, de la manière la plus déterminée possible, bien avant qu’elle ne se déclenche et encore tout le long de la guerre dans la mesure où la censure le lui permettait. Et dès 1919 il a écrit ce véritable monument qu’est sa fameuse pièce de théâtre, les derniers jours de l’Humanité. Une pièce injouable au demi-million de personnages, mais qui était nécessaire pour qu’on comprenne au moins a posteriori toute l’absurdité et l’horreur de cette guerre, mais aussi pour en rechercher les responsables, pour qu’on les punisse ou, au moins on les mette au pilori. Ce qu’on n’a toujours pas réussi à faire même en 2018 quand on a célébré le centenaire de sa fin ! Mais Vioulac vous dirait peut-être que cela ne sert à rien d’en chercher les responsables puisque c’est la faute au Néganthrope, à l’esprit humain lui-même !
Vioulac, nous dit David Zerbib dans son commentaire du livre, « y voit le terrible triomphe, par le feu et l’effroi, de l’idée totalisante et totalitaire de l’un qui sacrifie le multiple ou de l’universel de l’esprit qui sacrifie le particulier ». Est-on déjà en face d’une idéologie, comme toutes celles du XXème siècle postérieur qui ont toutes écrasé ce particulier ? Oui, pourquoi pas ? Le patriotisme que Vioulac cite à un moment donné, n’était-il pas, déjà, une idéologie ?
Dans son long chapitre consacré à la Guerre de 14-18 et intitulé Apocalypse de la modernité Vioulac, après avoir cité un autre prophète de l’horreur, Romain Rolland, qui notait dans son journal le jour où l’Allemagne envahit la Belgique : « Je suis accablé. Je voudrais être mort. Il est horrible de vivre au milieu de cette humanité démente », écrit : « la guerre a immédiatement imposé sa logique propre de montée aux extrêmes, et a conduit à un niveau, une ampleur et une durée de violence et de destruction qu’aucun état-major n’avait anticipé, déchaînement d’une puissance d’anéantissement illimitée que personne n’était plus en mesure de dominer ». Le premier million de morts est vite atteint. Au total, dit Vioulac, 10 millions de militaires tués, 9 millions de civils et 21 millions de blessés. Ernst Jünger parle d’« orgie de destruction », de « spectacle apocalyptique », d’un « cauchemar infernal », d’un « abîme de l’épouvante ». De Cendrars j’ai affirmé qu’il avait écrit trois chefs d’œuvre, Bourlinguer, La Main coupée et l’Homme foudroyé. J’ai probablement eu tort de négliger le Lotissement du Ciel où il demande : « Des générations de morts vivants en bordure du no man’s land, peut-on concevoir un tableau synthétique plus absurde et plus logique de cette grande fadaise qu’est la vie humaine sur terre, une meilleure illustration du néant de la vie spirituelle de l’homme ? ».
Mais ce sont surtout les nombreuses citations de Céline qui m’ont frappé dans l’ouvrage de Vioulac. « A partir d’octobre la grêle devint de plus en plus épaisse, plus dense, mieux truffée, farcie d’obus et de balles. Bientôt on serait en plein orage et ce qu’on cherchait à ne pas voir serait alors en plein devant soi et on ne pourrait plus voir qu’elle : sa propre mort ». « Etais-je donc le seul à avoir l’imagination de la mort dans ce régiment ? ». Il constate tout-à-coup que son colonel est un « monstre ». Il voit le « délire » partout. Les journaux « délirants d’appels aux sacrifices ultimes et patriotiques ». L’homme, « lapin ici, héros là-bas », ne pense plus. « Tout ce qui est vie ou mort lui échappe. Même sa propre mort il la spécule mal et de travers ». C’est l’effroi : il se sent seul, « perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu’aux cheveux ! ». Mais sa lucidité prend le dessus : « Je refuse la guerre et tout ce qu’il y a dedans… Je ne la déplore pas moi… Je ne me résigne pas moi… Je ne pleurniche pas dessus moi… Je la refuse tout net, avec tous les hommes qu’elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec elle. Seraient-ils neuf cent quatre-vingt-quinze millions et moi tout seul, c’est eux qui ont tort, Lola, et c’est moi qui ai raison, parce que je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne veux pas mourir ».
Vioulac constate que Céline inverse les valeurs, les valeurs officielles. Car pendant toute la durée de la guerre « toutes les institutions, Etat, Armée, Justice, Eglise, Université, Ecole, Partis, Syndicats… ont collaboré à l’anéantissement en justifiant le sacrifice et en y incitant chacun, pendant quatre ans la civilisation a exhibé ses entrailles barbares », écrit Vioulac. Ce qui me rappelle Fauconnier, l’auteur de Malaisie, quand il revient en Asie après la guerre et qu’il s’étonne du nombre de missionnaires présents sur le bateau : « Est-ce qu’ils n’ont pas assez à faire en Europe ? Je voudrais le christianisme plus modeste après le bain de sang qu’il vient de s’offrir ». Et son frère Charles qui lui écrit : « Quelle horreur – quel dégoût. Je proteste de toutes mes forces, à tous les instants, sans plus rien y comprendre. Je proteste contre la laideur de cette humanité qui a perdu la raison. Au moment où l’on sent autour de soi le bel effort de vie de toute la nature, ce désir, cette volonté de tout détruire est si monstrueuse. Je voudrais être un sauvage dans un kampung solitaire ; ne rien avoir, ne rien savoir, vivre seulement ». Il me semble qu’en écrivant cela il est proche de la thèse de départ de Vioulac, l’homme en niant la nature nie la vie.
Moi j’ai toujours prétendu que la guerre de 14 était un génocide. Vioulac cite le député Pierre Brizon qui, dans un discours à la Chambre, en 1916, parlait de « guerre d’extermination ». Et le chef de l’Etat-major de l’Armée allemande, Erich von Falkenhayn, présente comme objectif du combat de Verdun le fait de vouloir « saigner » l’armée française (soit dit en passant, ce qui se passe en Ukraine actuellement ressemble de plus en plus à ce qui s’est passé en 14-18 : la saignée de l’autre voulue par chacun des deux. Et Poutine n’a rien à envier à Staline dans ce registre. Et nous, nous poussons l’Ukraine à saigner et à faire saigner également. Or ils sont moins de 40 millions et les autres 140. Ne serait-il pas temps de penser aux hommes dans toute cette histoire. Il fut un temps où les jeunes Allemands manifestaient aux cris de lieber rot als tot. Plutôt rouges que morts).
L’historien John Keegan trouve que dans la bataille de la Somme qui fait 3120 morts par jour, « il y a quelque chose qui rappelle Treblinka ». Et Cendrars, toujours dans le Lotissement du Ciel, parle d’holocauste : « La condition humaine en général que je voyais foulée aux pieds, pilonnée, asphyxiée, saignée, offerte en holocauste sur l’autel féroce et vorace des patries, le pavillon couvrant l’ignoble marchandise offerte à l’encan, sacrifiée pour rien ».
Les patries ! Important ce mot ! Car il faut bien en venir aux explications. Comment tout ceci a été rendu possible ? Comment ? Vioulac parle de totalitarisme. D’un « absolutisme de la guerre qui imposait sa subordination à un commandement unique par rapport auquel tout devait être hiérarchisé ». D’ailleurs la mobilisation générale qui est un « phénomène sans précédent dans l’Histoire » est déjà une manifestation de ce totalitarisme pour Vioulac. Mais ensuite c’est « l’unanimisme politique » qui s’impose, la censure, la propagande, la mobilisation des enfants (école et église) et la mobilisation des femmes (dans les usines). Et qui impose tout cela ? Un homme, un tyran ? Non. Une idée, une idéologie, une idéocratie. Car le patriotisme, le nationalisme, ne sont rien d’autre que des idéologies ! Sur ce point-là je suis entièrement d’accord. En France cette idéologie a imprégné l’enseignement de l’Histoire dans les écoles dès le XIXème siècle (un jour je disséquerai le livre lumineux de l’historienne Suzanne Citron : Le Mythe national – L’Histoire de France revisitée, Editions de l’Atelier/Editions Ouvrières, Paris, 2019). Et en Allemagne elle a eu d’autres racines, telles que le mouvement völkisch. Et Céline, toujours lui (cité par Vioulac), parle de « religion drapeautique ».
J’ai toujours eu du mal à croire que ce ne sont pas des individus qui font l’Histoire mais, suivant ce qu’on a en général considéré comme une explication marxiste de l’Histoire, les mouvements sociaux ou économiques ou idéologiques (?). Ainsi il m’avait semblé que la guerre de 1870 avait été causée par des individus. Par Napoléon III, pour son insistance à obtenir encore plus une fois la candidature prussienne au trône d’Espagne retirée. Par Bismarck et Moltke trafiquant la réponse prussienne par la fameuse dépêche d’Ems. Et que le premier responsable était en réalité Napoléon Ier qui avait humilié la Prusse (interdiction de commercer avec l’Angleterre, enlèvement d’un morceau de la Westphalie, obligation de participation à la guerre contre la Russie), ainsi que l’Autriche, provoquant une haine anti-française (voir le souvenir d’Andreas Hofer en Autriche) dans ces deux pays qui étaient justement les deux Etats allemands militarisés parce que situés sur les Marches, face aux pays slaves. Et que la décision de Bismarck d’annexer l’Alsace était à nouveau la cause principale de la guerre de 14 ! Mais Vioulac explique comment fonctionne ce qu’il appelle la « dynamique de la totalisation ». « C’est cette puissance qu’il s’agit de penser, le totalitarisme ne saurait donc s’expliquer par le profil moral et psychologique de tel ou tel individu peu recommandable, mais par la puissance que cet individu fait passer à l’acte ; en d’autres termes, l’individu n’est jamais la cause efficiente et totale, il n’en est que la cause occasionnelle ». J’entends bien ce qu’il dit. Mais peut-on vraiment dire que sans Hitler la Shoah aurait quand même eu lieu ? Que sans Staline on aurait quand même eu les procès de Moscou, le Goulag et autres monstruosités soviétiques ? Oui, peut-être, à cause de l’institution de la dictature du prolétariat (qui a tout de suite fait hurler Rosa Luxembourg déjà emprisonnée). Oui, mais qui a eu cette idée ? N’est-ce pas un homme, Lénine ?
Ceci étant, il est vrai que je me suis toujours méfié des idéologies. Comme, dans notre monde moderne, l’idéologie de la finance de l’Ecole de Chicago et l’idéologie islamiste. Or, comme par hasard, après l’exemple amplement traité de la grande guerre, Vioulac ne passe pas au fascisme, au nazisme et au communisme soviétique. Non, il s’intéresse à une institution religieuse, à l’Eglise médiévale !
Mais avant cela il en venait à ce qui a permis à l’idéologie patriotique de s’imposer lors de la grande guerre : l’Etat moderne tel que l’avait analysé Karl Marx : « c’est une superstructure juridique établie au-dessus des gouvernés, mais aussi des gouvernants, organisation anonyme et impersonnelle qui fonctionne au moyen de fonctions assumées par des fonctionnaires interchangeables – la bureaucratie - , dotée de sa rationalité propre – la raison d’Etat – et indissociable de la comptabilité et de la statistique – c’est-à-dire de la numérisation du champ social – l’Etat n’est pas le pouvoir d’un homme particulier, d’une caste ou d’une classe particulière, mais d’une abstraction, structure formelle régie par l’universalité abstraite d’un système du droit, un appareil dont la logique est celle de l’appareillement », écrit Vioulac. « L’Etat est une abstraction », aurait écrit Karl Marx. Une abstraction qui permet à une autre abstraction de produire un génocide d’êtres humains. C’est ma propre interprétation de la pensée du philosophe Vioulac. Une formule qui s’applique autant à la grande guerre qu’aux totalitarismes fascistes, nazis et soviétiques, à la Shoah et à tous les goulags. Et qui met d’abord en cause le fonctionnement de l’esprit humain…
Et puis Vioulac fait encore un tour par la Grèce antique. Les philosophes (mais je ne comprends pas grand-chose à ce qu’il en dit) et puis les dramaturges. Le mythe (tel qu’on le trouve dans la poésie épique d’Homère) est une pensée de l’immanence de l’homme à la nature, dit-il. Alors que « la pensée tragique est l’expression terrifiée de la dislocation de cette immanence ». Peut-être. Mais les citations qu’il fait de l’Antigone de Sophocle et des Choéphores d’Eschyle me semblent un peu tendancieuses par leurs traductions. Ainsi il affirme que Sophocle reconnaît en l’homme « ce qu’il y a de plus effrayant », parce qu’il « s’est appris lui-même la parole et la pensée vive comme le vent » et qu’il est un être « doté d’un savoir dont les moyens techniques dépassent toute espérance ». Le mot effrayant ne figure ni dans la traduction de Leconte de Lisle ni dans celle de la Pléiade (Jean Grosjean). « Rien n’est plus admirable que l’homme », dit Leconte de Lisle. Et encore : « Il s’est donné la parole et la pensée rapide… ». « Plus intelligent en inventions diverses qu’on ne peut l’espérer, il fait tantôt le bien, tantôt le mal… ». Il y a donc l’idée, déjà, que les inventions humaines peuvent être un bien ou un mal (c’est aussi l’idée de « la langue » d’Esope), ce qui est terriblement vrai à notre époque, mais « l’effroi » n’y est pas. Voyons la Pléiade : « …rien qui n’est plus merveilleux que l’homme ». « La parole, le souffle de la pensée et les passions civiques il s’en instruit… ». « Avec son savoir ingénieux qui passe toute attente, il progresse vers le mal ou le bien ». Quant à Eschyle, Vioulac traduit : « Qui dira l’arrogance de la pensée de l’homme ? », alors que Leconte de Lisle écrit : « Mais qui dira l’aveugle audace de l’homme et de la femme, ce qu’ils osent tenter… ». Et le traducteur de la Pléiade : « Mais qui dira quelle âme téméraire a l’homme… ». Téméraire et audacieux ne signifient pas arrogants. Même si l’idée de transgression est bien présente. Et que ce sont bien les Grecs qui ont inventé le mot hybris. La folie du pouvoir.
Ceci étant, les vers de Sophocle qui célèbrent la domination de la nature par l’Homme sont très beaux (traduction Leconte de Lisle) : « Il est porté par le Notos orageux à travers la sombre mer, au milieu des flots qui grondent autour de lui ; il dompte, d’année en année, sous les socs tranchants, la plus puissante des Déesses, Gaia, immortelle et infatigable, et il la retourne à l’aide du cheval ».
« L’homme, plein d’adresse, enveloppe, dans ses filets faits de cordes, la race des légers oiseaux et les bêtes sauvages et la génération de la mer ; et il asservit par ses ruses la bête farouche des montagnes ; et il met sous le joug le cheval chevelu et l’infatigable taureau montagnard, et il les contraint de courber le cou ».
« Il s’est donné la parole et la pensée rapide et les lois des cités, et il a mis ses demeures à l’abri des gelées et des pluies fâcheuses. Ingénieux en tout, il ne manque jamais de prévoyance en ce qui concerne l’avenir. Il n’y a que le Hadès auquel il ne puisse échapper, mais il a encore trouvé des remèdes aux maladies dangereuses ».
Sophocle pouvait difficilement prévoir que la puissante Gaia allait se révolter un jour (voir : James Lovelock : The Revenge of Gaia (why the earth is fighting back), Allen Lane/Penguin, Londres, 2006).
Les tragiques grecs nous parlent de l’homme. De ses erreurs, de son sort tragique, de ses passions, de ses crimes comme de ses héroïsmes. De la cité aussi. Et c’est là qu’on revient à Vioulac puisque celui-ci estime que la fameuse « dislocation de l’immanence » (voir ci-dessus) est liée à l’avènement de la Cité (suite à « l’effondrement de la royauté mycénienne »). Et on revient aussi à Antigone puisque toute la pièce est basée sur l’opposition entre Créon, maître de la Cité et Antigone, la rebelle aux lois de la Cité. Mais là encore je ne suis pas entièrement d’accord avec Vioulac. Il dit qu’Antigone s’oppose à la loi de la Cité en choisissant une autre loi, celle du deuil. Un deuil que les législateurs des cités grecs essayeraient de contrôler parce qu’il « déchirerait » la « positivité de la communauté » par « la négativité pure » de ce deuil. Or pour moi (et je crois que c’est aussi la position de Raphaël Dreyfus, l’auteur de l’introduction et des notes de la publication de la Pléiade : Tragiques grecs, Eschyle, Sophocle) Antigone ne veut qu’une chose : éviter que le cadavre de son frère ne pourrisse au soleil et soit la proie des chiens et des vautours. C’est une loi éternelle, dit-elle. Ce n’est rien d’autre, pour moi, que de l’humanisme (le seul isme qui vaille). Car respecter les hommes morts c’est respecter les hommes vivants. Voir mon Voyage autour de ma Bibliothèque, Tome 5 : Henri Bauchau et Antigone.
Vioulac commence son étude du christianisme dans l’Histoire par celle du Christ lui-même et s’appuie pour cela sur l’œuvre d’un certain John Paul Meier, Jésus, les données de l’Histoire, dont le 5ème volume a paru, en anglais, en 2016. Un 6ème volume était prévu mais Meier, prêtre catholique et universitaire américain, professeur de théologie à l’Université Notre Dame dans l’Indiana, est décédé en 2022 sans arriver à l’achever. J’avoue ma surprise quand j’apprends qu’on peut encore éditer 5 volumes (et presque 6) sur un homme dont Renan dit dans sa fameuse préface à la 13ème édition de sa Vie de Jésus : « Si l’on s’astreignait, en écrivant la vie de Jésus, à n’avancer que des choses certaines, il faudrait se borner à quelques lignes. Il a existé. Il était de Nazareth en Galilée. Il prêcha avec charme et laissa dans la mémoire de ses disciples des aphorismes qui s’y gravèrent profondément. Les deux principaux de ses disciples furent Céphas et Jean, fils de Zébédée. Il excita la haine des juifs orthodoxes, qui parvinrent à le faire mettre à mort par Pontius Pilatus, alors procurateur de Judée. Il fut crucifié hors de la porte de la ville. On crut peu après qu’il était ressuscité » (voir mon Bloc-notes 2015 : Paul et la divinisation du Christ).
Mais, bon, que ce Christ ait été un rebelle à son époque, rebelle contre la loi religieuse et les autorités, toujours religieuses, de son époque (mais pas contre l’Etat ou autres institutions sociales dont il n’avait rien à cirer, voir son : Donnez à César ce que vous devez à César) tout le monde en conviendra. Que son enseignement principal était l’amour du prochain. Qu’il proclamait même l’amour de l’ennemi qui signifie, selon Vioulac, la compassion, l’indulgence, la pitié. « L’amour évangélique est la bienveillance pour la personne d’autrui, en sa faiblesse, sa misère, et sa fragilité… ». Soit dit entre parenthèses – car il faut toujours revenir à l’actualité – il y a quelques jours c’est le chef de cette Eglise qui a tellement oublié et faussé cet enseignement christique qui, à Marseille, n’a cessé de proclamer dans tous ses sermons la nécessité absolue d’assister les migrants, d’avoir de la compassion pour eux, de les aider et les sauver de la mort. Et ce sont tous ces catholiques qui se disent chrétiens et qui votent pour Zemmour, Le Pen et Ciotti qui engueulent ce chef et lui demandent de ne pas se mêler de politique. Fermons la parenthèse.
Donc pour Vioulac, le Christ, en étant pour l’amour, est pour la vie. Et voilà qu’apparaît l’Eglise qui en est la négation. Vioulac commence par citer de nombreux passages de Nietzsche, extraits de son Antichrist, mais aussi de ses Fragments posthumes. Des jugements sévères par ce fils de pasteur protestant : « l’avènement de l’Eglise a universalisé le sacrifice au Moloch de l’abstraction ». Il conçoit l’histoire du christianisme, écrit Vioulac, comme celle de « l’incompréhension progressive et nécessairement toujours plus grossière d’un symbolisme sublime : à chaque expansion du christianisme dans des masses plus larges et plus frustes, qui restaient inaccessibles aux instincts originels du christianisme, une histoire de légendes, une théologie, une fondation d’Eglise sont apparues ». Puis Vioulac évoque la façon dont Saint Augustin conçoit l’amour, sa théorie de la libido (et certaines de ces considérations me permettraient de compléter mon étude sur la relation entre monothéisme et sexualité, ou plutôt négation de la sexualité. Encore une négation de la nature humaine par le néganthrope, voir mon Bloc-notes 2021 : Monothéisme et sexualité. J’y trouve même la terrible misogynie de Tertullien qui voit dans la femme « la porte du Diable » et chez Saint Jérôme qui estime qu’elle est « la cause et la source de tous les maux parce que c’est par elle que la mort est entrée dans le monde… »). C’est ainsi que dans l’esprit de Saint Augustin « la charité ne consiste plus à faire le bien d’autrui, de façon désintéressée, mais elle consiste à être bon aux yeux de Dieu, et ce dans l’angoisse très intéressée de son salut », écrit Vioulac, suivant en cela la réflexion de Sartre (Cahiers pour une morale).
Mais le plus important pour notre philosophe, c’est que c’est « un deuil qui est à l’origine de la religion chrétienne ». L’origine historique de la religion chrétienne n’est pas la rébellion du Christ, mais sa mort ignominieuse. La religion est devenue une religion de la mélancolie, mais surtout une religion de la négation de la vie. Personnellement cela me fait penser à une autre religion triste, la chiite, qui elle aussi est entièrement tournée vers la mort de Hussein, et basée, elle aussi, sur un deuil. Vioulac fait également de larges citations de Freud, extraites de Tabou et Totem, et, surtout, de cette œuvre qui m’a toujours parue essentielle, le Malaise dans la culture. Freud, dit Vioulac, voit l’individu osciller entre « les crises d’angoisse que lui impose la confrontation avec le réel, et une fuite dans l’hallucination délirante… ». C’est ainsi que lorsqu’ « un assez grand nombre d’hommes s’engagent en commun dans la tentative de se créer une assurance sur le bonheur et une protection contre la souffrance par un remodelage délirant de la réalité effective. C’est comme un tel délire de masse que nous devons caractériser les religions de l’humanité ». Et d’abord les religions monothéistes. Le philosophe Derrida trouve que l’Eglise a institué le Christ en « archi-fantôme » et que « le spectre des spectres est le Christ ». Et de ce spectre, dit Vioulac, la papauté a fait son sceptre. Et a imposé à l’Europe l’hégémonie de ce spectre et la culture de la pulsion de la mort. Tout le contraire de l’enseignement du Christ. Ce qui est magnifiquement illustré, rappelle Vioulac, par l’histoire que raconte Ivan Karamazov à son frère Alexeï : Le Christ revient en Espagne alors que l’Inquisition bat son plein, que crépitent les bûchers des hérétiques. Il prêche, fait des miracles, est arrêté et condamné. Le pire de tous les hérétiques. Alors le Grand Inquisiteur vient le voir dans sa cellule : « Pourquoi es-tu venu nous déranger ? Car tu nous déranges, tu le sais bien ». Et il lui reproche son message de « libre amour ». Or les hommes sont des esclaves, trop bêtes pour comprendre la liberté, qui ont peur de la liberté, une notion intolérable pour l’homme et la société (voir : Dostoïevski : les Frères Karamazov, La Pléiade, 1959). C’est pour cela que nous avons supprimé la liberté et ainsi rendu l’homme heureux, dit le Grand Inquisiteur.
Le jeu de mot spectre-sceptre est plaisant mais il me semble que le Dieu unique et jaloux est suffisant pour rendre la religion « totale », selon la formule de Jan Assmann, voir mon Bloc-notes 2021 : Religion totale.
Vioulac ne dit pas grand-chose des autres totalitarismes du XXème siècle. A part ces amusantes formulations : Lénine fut à Marx ce que Paul fut à Jésus. L’Union soviétique fut au Manifeste communiste ce que l’Eglise catholique fut aux Evangiles. Staline fut l’Innocent III du communisme soviétique. Et dans les deux cas on a institutionnalisé une vérité qui imposait à chacun de renoncer à l’exercice même de la pensée « pour se soumettre entièrement au Parti-Eglise, monstrueuse bureaucratie qui s’est nourrie du sacrifice de ceux qu’elle prétendait sauver ».
Et Vioulac ne dit rien de l’écologie…
J’avoue être resté un peu perplexe après avoir achevé la lecture de son livre. Il se termine un peu bizarrement, sans conclusion évidente. Du moins pour moi qui, je l’ai déjà dit, ne suis pas philosophe. Et qui ai toujours autant de mal à comprendre pourquoi cet « être naturel qui se retourne contre la nature », cet « animal qui renie et dénie son animalité » devient un être qui « se trouve défini par le néant », « l’homme d’une déchirure ». Or toutes ces formules sont de Hegel. Et qui suis-je pour discuter de Hegel ?
Ceci étant je suis malgré tout content d’avoir parcouru ce livre. Car je partage entièrement sa conviction : notre avenir est forcément l’Apocalypse ! Et je crois que n’importe qui, sans être philosophe pour autant, est capable de réfléchir sur l’esprit humain et sur le sort de l’humanité.
Même si le fonctionnement de cet esprit humain reste bien énigmatique par certains aspects.
Tant que l’homme ne faisait que survivre par la chasse et la cueillette comme d’autres carnivores, herbivores et omnivores rien de fâcheux ne pouvait arriver. C’est lorsqu’il s’est servi de son intelligence pour chasser avec plus d’efficacité et devenir éleveur et agriculteur que sa domination sur le monde a débuté. Une domination qui devait logiquement, à un moment donné, conduire à l’extinction d’autres espèces animales et végétales et à la prolifération incontrôlée de sa propre espèce. Mais si cette domination est aussi devenue destruction c’est à la particularité de son fonctionnement cognitif que cette évolution est due. C’est du moins ainsi que je vois les choses.
Dès mon adolescence j’ai été horrifié par la cruauté de l’homme que l’on ne trouve chez aucun autre animal. Je ne sais plus qui m’avait offert un livre qui passait en revue toutes les tortures inventées par l’homme dans toutes les régions du monde. Une imagination inimaginable ! Qui est d’abord basée sur une violence, propre à cet animal humain, et, ensuite, à sa capacité non seulement d’être conscient de lui-même (conscience que d’autres animaux possèdent) mais conscient de l’autre, des souffrances qu’il va subir, dans la torture à laquelle on va le soumettre.
J’ai toujours été frappé par ce que disait Freud dans son Malaise dans la culture (voir : Sigmund Freud : Abriss der Psychoanalyse – Das Unbehagen in der Kultur, postface de Thomas Mann : Freud und die Zukunft , Fischer-Taschenbuch, 1972). La violence est en chacun d’entre nous, expliquait Freud. La tendance à l’agression est profondément ancrée dans la nature humaine et la culture ou civilisation est le principal obstacle au déploiement de cette agression. On est heureux, lorsque cela devient autorisé, justifié même, de revenir à un état d’homme primitif parce que cela signifie libération de tout lien, toute contrainte. Le retour à l’état de primitif fait sauter toutes les règles morales qu’on s’était imposées. Et cela sera toujours ainsi. Mais si je me souviens bien, il me semble que Freud ajoutait aussi que cela était peut-être nécessaire pour permettre la création…
C’est aussi cette ambivalence de l’esprit humain qui m’a toujours frappé. Nous assistons actuellement à des performances inouïes de l’intelligence humaine. Je pense simplement à l’astronomie. Que cet animal qu’est l’homme ait été capable de poser le pied sur la Lune, envoyer un véhicule explorer Mars et connaître plus ou moins exactement la date de l’origine de l’Univers, est absolument vertigineux, difficile à croire. Et, pourtant, c’est la même intelligence qui permet de construire des complotismes, inouïs eux aussi, des millions de fake-news auxquels des millions d’humains croient grâce aux réseaux et autres supports (je crois que c’est Musil qui disait que la bêtise l’emporterait toujours sur la vérité, parce qu’elle est capable de s’habiller de vêtements plus chatoyants). Et c’est la même intelligence qui fait croire une large part de l’humanité à des dieux et autres mirages du Ciel.
Quand je me suis intéressé à la naissance de l’écriture je me suis aperçu que l’un des aspects les plus évidents de cette intelligence qui nous a fait dévier de la nature des autres animaux est notre capacité d’abstraction. Qui est déjà apparent dans les inscriptions rupestres du monde entier (45 millions sur 70000 sites répartis sur 5 continents). Voir les Carnets d’un dilettante : L’Homme et l’abstraction. Cela commence par la représentation de la femme par un triangle pubien et cela finit par les idéologies dont nous parle Vioulac (une fois de plus : la dualité de notre processus cognitif). Des représentations rupestres qui montrent d’ailleurs également notre religiosité (mais ce n’est pas pour cela que les dieux existent, c’est pour cela qu’on les a inventés).
La génération à laquelle j’appartiens a vécu une phase importante de la marche de l’Humanité vers sa fin. Dans ma jeunesse nous étions deux milliards à vivre sur cette Terre. Aujourd’hui nous sommes huit milliards ! Dans ma jeunesse personne ne savait ce qu’était l’écologie. En cette année 2023 nous avons vécu pour la première fois et, peut-être enfin compris, ce que cela signifiait vraiment, le réchauffement climatique (j’en ai parlé au début de cette note). Dans ma jeunesse on croyait encore au progrès (du moins certains, pas tous), à la culture, à la fin des guerres, à la démocratie. Aujourd’hui on constate que le progrès nous a apporté, pêle-mêle, la reconnaissance faciale et la géolocalisation (les Ouïghours vous en remercient), un monde de plus en plus virtuel, métavers et intelligence artificielle, un monde smart, quoi. Aujourd’hui la guerre a recommencé en Europe, les stocks d’armes nucléaires dans le monde sont plus importants que jamais et permettraient de détruire la Terre des dizaines de fois, de nouveaux Etats s’y mettent, un Poutine menace de s’en servir, avec des missiles plus rapides que la lumière (dit-il). Aujourd’hui la Terre est recouverte d’autocraties, dans les quelques démocraties qui restent, les extrêmes ne cessent de monter, les nationalismes aussi, les réseaux dénigrent la politique, faussent les élections et celle qui avait été longtemps considérée comme la plus grande démocratie de toutes a élu Président un pur imbécile, cynique, immoral et malade de son ego (et ils sont prêts à le réélire). Aujourd’hui la culture se réduit souvent à sa première syllabe, les smart-phones ont remplacé les livres et l’Art était représenté il y a quelques années par un homard doré de Jeff Koons suspendu dans la Chambre du Roi à Versailles.
Alors il n’y a plus qu’à baisser le rideau…