Voici que nous sommes entrés dans le 5ème mois de bombardement, de destruction systématique et de massacres dans Gaza. Je ne comprends pas que des gens qui ont un minimum d’humanité peuvent regarder ce qui s’y passe et puis regarder ailleurs. Le bundiste Barek Edelman, survivant du ghetto de Varsovie, avait dit : celui qui regarde sans réagir est aussi coupable que celui qui fait. Rony Brauman, l’ancien Président de MSF, est un homme de bien, un homme parfaitement équilibré et qui pèse ses mots (le Docteur Schittly, notre French Doctor alsacien et co-fondateur de MSF, l’estimait beaucoup. Voir mon Bloc-notes 2012 : Louis Schittly, Alsatian Doctor). Et voici que Brauman éclate, le 8 février dernier, sur franceinfo : « Les pays occidentaux sont en train de devenir activement complices de ce carnage et cette boucherie ». Et, à propos de l’offensive sur le sud de Gaza annoncée par Netanyahou, alors que tout le monde espérait une trêve depuis plusieurs jours et que Blinken circule pour la xième fois dans tout le Moyen-Orient et qu’il est traité comme un petit garçon, avec un mépris total, par le grand leader israélien : « Quelle que soit la direction que ces déplacés vont prendre (je rappelle qu’ils sont plus d’un million de déplacés coincés dans le sud), c’est une descente de plusieurs degrés, en plein dans la désespérance, dans l'effroi, dans le malheur, dans la promiscuité, dans la diffusion de maladies épidémiques et probablement dans la préparation de nouvelles générations habitées par la haine, par le désir de vengeance, bref par la préparation d'un avenir de violence. Donc aussi bien du point de vue de ce qui se passe présentement que de ce que l’on peut imaginer dans le futur, cette offensive rajoute une catastrophe à la catastrophe ». Et, en plus Rafah était un des derniers endroits où les humanitaires pouvaient encore travailler (le journaliste de franceinfo qui l’interviewe le rappelle). « Oui », dit Brauman, « Les quelques rares endroits où on pouvait travailler sont toujours des endroits extrêmement précaires, où on peut éventuellement travailler aujourd'hui, mais se faire tirer dessus le lendemain. On peut avoir une autorisation de déplacement, et puis des tirs de snipers vous attaquent comme des bêtes, c'est absolument atroce. Ces atrocités sont commises avec la complicité des pays qui se réclament du droit international, du droit humanitaire, de la légalité internationale, c'est-à-dire les pays occidentaux, au premier rang desquels les États-Unis. Mais avec le concours actif de pays européens dont l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France. Nous sommes en train de devenir activement complices de ce carnage et cette boucherie ». Il ajoute : « Les États-Unis et l'Europe œuvrent à une trêve de plus longue durée. C’est tout à fait souhaitable, mais pendant ce temps-là, les livraisons d'armes, de munitions, continuent à flux tendu. Tous les jours, il y a une sorte de pont aérien entre les États-Unis notamment, mais aussi l'Europe vers Israël, qui permet de tirer des milliers, des milliers et des milliers de missiles, de munitions diverses. Il y a quelque chose d'un peu contradictoire à appeler d'un côté à la trêve et de l'autre à continuer à ravitailler en armes et en munitions la partie la plus puissante, celle qui détient tous les leviers pour la décision du lendemain ». C’est bien mon avis. Quels sont les pays européens qui livrent encore des armes et munitions à Israël ? L’Allemagne ? L’Angleterre ? J’espère que ce n’est pas le cas de la France.
Et Brauman termine avec une vue également bien pessimiste des Nations Unies : « Les appels des Nations unies non seulement ne servent à rien, mais sont reçus en quelque sorte avec un bras d'honneur ou un doigt d'honneur par Benyamin Nétanyahou. Je me demande si les Nations unies vont surmonter cette épreuve. Ça renvoie un peu à ce qui s'est passé en 1935 après l’invasion de l’Éthiopie par l'Italie fasciste de Mussolini qui a signé la fin de Société des Nations. Est-ce que les Nations unies vont survivre à cette épreuve, sachant qu'un organe des Nations unies parle de génocide plausible actuellement perpétré dans la bande de Gaza et que des membres du groupe de membres permanents du Conseil de sécurité continuent de ravitailler la partie qui est exclusivement coupable de génocide ».
Pendant ce temps le Président Macron organise une cérémonie grandiose aux Invalides en l’honneur des victimes françaises du massacre du 7 octobre. Très bien. Je regrette simplement qu’il ne l’ait pas organisée tout de suite après l’évènement. Le faire alors que la vengeance continue à s’abattre sur une population innocente et qu’entretemps près de 30000 civils aient été tués, dont la moitié des enfants, et plus de 60000 blessés, beaucoup d’horrible façon, me gêne un peu. Mais il faut croire que je suis le seul. Et quand notre Président déclare que le massacre du 7 octobre est le plus grand massacre antisémite du XXIème siècle, je suis carrément choqué. L’antisémitisme est un phénomène européen. Et russe. C’est notre honte à nous, notre crime à nous, Européens et Russes. Qui a commencé au moment de la première Croisade, a continué pendant des siècles, a plusieurs fois changé de nature et a abouti à la Shoah. Ce n’est pas le crime des Arabes. Et ce n’est pas parce que l’un des acteurs du massacre a téléphoné à son père en disant : j’ai tué des juifs, que ce massacre était antisémite. Il était horrible, il était de nature terroriste, mais il était dirigé contre les Israéliens. C’était le résultat de la conjonction entre une organisation islamiste fanatique et une politique israélienne imbécile, disait Barnavi. C’était la réponse à la politique israélienne d’occupation et de siège et au refus catégorique des gouvernements israéliens successifs de trouver une solution politique au conflit, disait l’historien israélien Omer Bartov. Et pour l’historien Vincent Lamire, la cause directe et concrète de la catastrophe survenue le 7 octobre est l’emballement de la colonisation et la situation d’apartheid mise en place de facto en Cisjordanie occupée (voir mon Bloc-notes 2023 : Pauvre Israël, pauvre Gaza, pauvre Palestine). La phrase de Macron, elle, continue l’éternelle confusion qui rendait furieuse la regrettée Suzanne Citron, historienne et juive (voir mon Bloc-notes 2018 : Décès de Suzanne Citron). Là aussi suis-je le seul à le penser ?
J’avais déjà parlé dans ma dernière note du ciblage systématique des hôpitaux (voir mon Bloc-notes 2024 : Mal à Gaza). Dans le Monde daté du 24/01/2024 Clotilde Mraffko raconte : « Bien qu’elle s’en défende, l’armée semble reproduire à Khan Younès les méthodes mises en œuvre lors de ses précédents assauts dans le nord de l’enclave, en assiégeant notamment les hôpitaux de la zone. Le Croissant-Rouge palestinien a annoncé avoir perdu le contact avec ses équipes dans l’hôpital Al-Amal, bloqué par les troupes israéliennes… L’armée a également envahi l’hôpital Al-Khair, arrêtant des membres du personnel de santé, selon les autorités palestiniennes. L’étau se resserre désormais sur celui d’Al-Nasser, dont les environs ont été bombardés dans la nuit de lundi à mardi. « La situation est catastrophique », s’alarmait lundi soir le directeur de l’hôpital Al-Nasser, Nahed Abu Taima, dans un message vocal adressé au Monde, entrecoupé de lourds sons d’explosion. Son établissement, le plus important dans la bande de Gaza depuis que le complexe Al-Shifa de la ville de Gaza a été largement mis hors service par un assaut de l’armée israélienne mi-novembre 2023, tourne avec moins d’un tiers de son personnel et quasiment sans matériel. Les équipes sont aujourd’hui prises au piège dans l’hôpital, d’où elles ne peuvent ni entrer ni sortir. Tous les patients qui pouvaient encore marcher ont fui samedi et dimanche ». Léo Cans est le chef local de MSF. Joint par téléphone, il raconte : « C’est une façon de terroriser les personnels soignants, ce qui fait que les hôpitaux se ferment d’eux-mêmes. MSF n’a jamais vu ça ailleurs. Les hôpitaux sont toujours un peu sensibles, il y a toujours des attaques mais jamais de manière systématique sur l’ensemble d’un territoire ». « L’assaut (sur Al-Shifa) a été progressif, comme à chaque fois. Il y a eu des tirs de drone, puis, le 15 janvier, une bombe est tombée à 150 mètres de l’hôpital, faisant huit morts dont deux garçons de 4 et 5 ans », ajoute-t-il. « Toute la nuit (de dimanche à lundi), on a entendu des bombardements. Les murs, les fenêtres, le sol, tout tremblait. Cela indique qu’il s’agissait de bombes pénétrantes destinées à détruire des immeubles ou de potentiels tunnels. On entendait aussi les navires qui pilonnaient ».
Dans le Monde du 07 février 2024 c’est le médecin humanitaire et Professeur de Médecine Raphaël Pitti qui donne une interview au journal après avoir passé deux semaines dans le sud de la bande de Gaza, accompagné d’une vingtaine de médecins et en coordination avec l’association des médecins palestiniens Palmed, pour donner un coup de mains à l’équipe médicale de l’hôpital européen. Voici son témoignage : « C’est le chaos. D’abord par la présence de plus de 25 000 personnes venues se réfugier aux alentours. Elles s’entassent dans des abris faits de bric et de broc. A l’intérieur, il y a environ 6 000 personnes la journée et plus encore pendant la nuit, où les bombardements sont les plus intenses. L’hôpital, qui avait une capacité de 400 lits, en a aujourd’hui 900. Des blessés et leurs proches errent, désœuvrés, sous le choc. Des cadavres dans des housses sont posés contre un mur en attendant d’être enterrés… L’état du système de santé à Gaza est proche du néant. Dans le sud de Gaza, hormis l’Hôpital européen, seuls trois hôpitaux sont encore en état de fonctionnement. Pendant notre mission, l’hôpital Al-Nasser, à Khan Younès, a été encerclé pendant onze jours par l’armée israélienne, empêchant le passage des patients, avant d’être évacué définitivement. Tous les directeurs d’hôpitaux de Gaza ont été arrêtés par l’armée israélienne, interrogés et manifestement torturés sous le prétexte qu’ils sont pro-Hamas. La tension est permanente. Les bombardements se rapprochent de plus en plus. A l’Hôpital européen, on a reçu des éclats, le souffle des explosions fait sauter les faux plafonds. La Croix-Rouge internationale craint de devoir déclarer prochainement l’ordre d’évacuer la zone… La masse des patients à prendre en charge souffre de pathologies aiguës et saisonnières (dues aux conditions d’hygiène catastrophiques)… Puis, à chaque bombardement on reçoit une vague de blessés et de morts. Il y a également de nombreuses victimes par des tirs de snipers, notamment des femmes et des enfants. Elles sont le plus souvent visées à la tête, parfois à l’abdomen et arrivent encore en vie… Compte tenu de l’afflux massif de blessés, les médecins vont au plus court. On les laisse mourir. De même, il y a énormément d’amputations. Dans de telles conditions, on ne cherche plus à réparer. On coupe… Comme cet enfant de 3 ans qui a été amputé de ses deux jambes et d’un bras ». Je n’ai jamais été affronté à une telle situation, dit-il. Dans aucune zone de guerre. « Tout ce que je suis habitué à faire sur des zones de guerre est presque impossible sur ce terrain. Il faudrait réorganiser l’hôpital, améliorer le triage à l’extérieur de l’enceinte pour la médecine ambulatoire. L’espace est envahi de gens. On travaille et on opère à même le sol. Les soignants sont épuisés. En état de choc permanent. Ils sont arrivés à saturation, certains ressemblent à des zombies. Il est impossible de travailler correctement. J’ai eu le sentiment de ne pas être utile. D’être impuissant ».
Pour finir le journaliste du Monde lui demande : « L’offensive israélienne se poursuit et l’étau se resserre sur Rafah et le sud de la bande de Gaza. Environ 1,3 million de personnes y ont trouvé refuge. La zone peut-elle absorber un tel afflux de déplacés ? ». Voici ce qu’il répond : « La stratégie de déplacement massif de la population sur un morceau minuscule de territoire submerge toutes les infrastructures initialement prévues pour les 250 000 habitants de Rafah. Aujourd’hui, il n’y a plus un espace de libre, les gens vivent sur les trottoirs. Les files d’attente s’allongent devant chaque commerce. Il n’y a plus d’œufs ni de poulet. Le prix des légumes s’est envolé. Les gens mangent uniquement du pain, des boîtes de conserve. Tout est sale. Les conduits d’évacuation des eaux usées n’évacuent plus rien. L’eau stagne partout. Ces images rappellent celles du ghetto de Varsovie, les gens qui meurent dans les rues, les vendeurs ambulants, la misère, ce n’est pas bien différent. ». Il dit que la situation n’a rien à voir ni avec la Syrie ni avec l’Ukraine, sauf le niveau de destruction. Il compare avec ce que les Russes ont fait en Tchétchénie : « La stratégie russe de guerre urbaine appliquée d’abord en Tchétchénie se systématise aujourd’hui dans les conflits. Laisser entrer l’ennemi dans une ville, l’encercler, couper tous les réseaux électriques, l’eau, bombarder constamment, terroriser la population, refuser les corridors humanitaires et attendre que les gens cèdent. On l’a vu à Alep et, plus récemment, à Marioupol. La même stratégie se répète et s’étend, c’est terrifiant ».
Et quand le journaliste du Monde demande : « La Cour internationale de justice a ordonné à Israël de prévenir les actes de génocide et de prendre des mesures pour améliorer la situation humanitaire. Qu’en est-il sur le terrain ? », il répond : « Rien n’a été pris en compte. Il n’y a aucune amélioration. Pis, la situation se dégrade. Où est l’approvisionnement massif d’aide humanitaire exigé par l’ONU ? On est face à un génocide, à une volonté de supprimer une population, de l’amener dans une situation de précarité extrême, de lui retirer sa dignité, de la concentrer dans une même zone, de supprimer les structures hospitalières, sans leur laisser aucune porte de sortie. Il faut un cessez-le-feu immédiat et permanent, c’est la seule solution et c’est une urgence ».
D’après les dernières nouvelles Netanyahou a demandé à son armée à évacuer la population de Rafah ! Où ? On ne sait pas. Ils sont un peu plus d’un million à Rafah. On les a chassés du nord puis de Khan Younès. Comme un troupeau affolé de moutons. C’est du racisme à l’état pur !
Et pendant ce temps Biden trouve que la façon de faire de Netanyahou est quand même un peu excessive. Et notre super-hypocrite Macron répète qu’un Palestinien vaut un Israélien. Il sait compter ?