Le Bloc-notes
de Jean-Claude Trutt

Le fascisme du XXIème siècle

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A Luxembourg nous sommes abonnés à un quotidien francophone (le seul du pays) qui porte le nom très original de… Le Quotidien, et qui est, comme beaucoup de quotidiens français, de plus en plus maigre. Dans le temps il était composé de quatre cahiers. Aujourd’hui il est réduit à un seul cahier et les pauvres Lorrains qui sont nombreux ici sont dans l’incapacité de connaître le sort de leur équipe favorite, le FC Metz. Car sur le plan sportif on se limite aux sports et aux sportifs luxembourgeois. C’est à cause du COVID, ils m’ont dit. Et, bien sûr, pour ce qui est de la politique internationale, c’est le strict minimum !
Or voilà que lundi dernier, 5 septembre, deux articles ont attiré mon attention et m’ont amené à réfléchir. Le premier rendait compte d’un film documentaire analysant un vieux film fasciste italien qui mythifiait la Marche sur Rome des chemises noires de Mussolini d’octobre 1922. Le titre de l’article (non signé) : Un documentaire sur le fascisme italien qui tombe à pic. « Dans ce documentaire présenté hors compétition au festival (la Mostra de Venise) », écrit le journaliste, « le réalisateur nord-irlandais Mark Cousins se concentre sur la manière dont le fascisme déforme la vérité, manipule l’opinion publique et promeut son propre récit ». Le film documentaire s’appelle La Marche sur Rome et le film fasciste qui y est analysé est le film A nous qu’Umberto Paradisi a réalisé en 1923. On sait l’importance que cette marche sur Rome a eue dans l’histoire mussolinienne. Le peuple m’appelle, alors me voilà ! A faire des fascistes d’avant Rome les fascistes d’élite ! Or les marcheurs étaient bien moins nombreux que décrits et Mussolini n’y avait même pas pris part ! Mark Cousins montre également dans son film des dirigeants populistes contemporains, soulignant ainsi, dit le rédacteur de l’article, « que Mussolini n’a été qu’un précurseur dans l’utilisation d’images pour mobiliser les masses à travers un message promouvant le patriotisme, la force et l’héroïsme, à la différence qu’aujourd’hui ce sont les réseaux sociaux qui ont pris la place des films ». Et Cousins nous met en garde : attention, le fascisme peut prendre plusieurs formes. « Le fascisme s’adapte de manière quasi darwinienne pour coller à son nouvel environnement ». Il peut aussi fasciner de différentes manières. Je pense aux films de la Riefenstahl filmant ou même mettant en scène les grands rassemblements hitlériens. Leur donnant un aspect sacré, mystique. Filmant aussi les discours de Hitler me donnant pour toujours le rejet viscéral de tout orateur démagogue emportant ses auditeurs et lui-même dans une hystérie de paroles (comme Mélenchon). Je les ai encore entendus dans mon enfance et gardé toujours présent à l’esprit l’effroi de ma mère entendant une Allemande de notre immeuble s’écrier : « Einmal dem Führer in die Augen schauen und dann sterben ! » (Regarder une fois le Führer dans les yeux et ensuite mourir).
Cousins semble avoir été particulièrement frappé par la pratique du mensonge par le fascisme. Or, aujourd’hui, dit-il, « la désinformation se répand encore plus vite et plus largement… à cause d’internet. On ne pouvait pas atteindre un million de personnes en trois jours autrefois, mais aujourd’hui on peut ! ». C’est vrai mais quand j’entends les énormités que sortent Trump et Poutine, je me demande quelquefois si Hitler et Mussolini auraient osé les mêmes. Dans le même numéro de mon Quotidien paraît un article sur Trump intitulé : Trump : c’est celui qui dit qui est. Trump répond dans un grand meeting populaire à Biden qui l’accusait d’être un ennemi de l’Etat. « C’est lui l’ennemi de l’Etat », dit Trump. « Le prétendu président des Etats-Unis » (il n’a toujours pas accepté le fait d’avoir perdu l’élection). « Prenez les cinq pires Présidents de l’histoire des Etats-Unis et mettez-les ensemble, ils ne pourraient avoir fait le mal que Joe Biden a fait à notre pays en moins de deux ans » (sans expliquer, bien sûr). Il parle du « raid honteux » et de « la descente dans ma maison de Mar-a-Lago » comme étant une « parodie de justice », de l’ « exemple le plus frappant des menaces très réelles qui pèsent sur la liberté des Américains » (quelle liberté ? Celle de conserver de manière illégale des documents confidentiels de la Maison blanche ?). Quant aux mensonges de Poutine ils sont encore plus fous : le juif Zelensky néo-nazi, génocide des russophones du Dombass, massacres et tortures et bombardements de civils ukrainiens réalisés par les Ukrainiens eux-mêmes rien que pour accuser les Russes, etc.). De toute façon les mensonges et fake-news sont devenus un tel fait de société dans notre XXIème siècle que les dictionnaires ont inventé et adopté le mot post-vérité. Mais est-ce vraiment une caractéristique du fascisme ? Remarquez : pour moi je n’ai aucun doute sur le fait que Trump et Poutine soient des fascistes. Peut-être d’un type nouveau. Mais fascistes, pour sûr. Les journalistes allemands du Spiegel qui s’y connaissent mieux en fascisme que les journalistes français l’ont écrit à propos de Trump avant même qu’il ne soit devenu Président. Voir ma note Le cauchemar Trump sur mon Bloc-notes 2016 et ma note, publiée après sa victoire, Ubu Roi… d’Amérique de mon Bloc-notes 2017.

Mais il ne suffit pas de l’affirmer, il faut encore le prouver. Alors je reviens à la définition donnée par le grand spécialiste américain du fascisme, Robert Paxton (voir : Robert O. Paxton : Le fascisme en action, édit. Seuil, Paris, 2004). J’en parle dans ma note intitulée : Les trente honteuses, 1914-1945, au tome 4 de mon Voyage autour de ma Bibliothèque, à propos de Mussolini justement. L’idéologie fasciste, dit Paxton, est partiellement implicite. Beaucoup de ses idées ne sont pas forcément publiques. Elles relèvent plus du domaine de l’affect et des sentiments, mais elles sont « mobilisatrices ». Voici ces idées selon Paxton, telles que je les ai citées dans ma note :
1) Primauté du groupe : l’individu lui est subordonné, ses devoirs envers le groupe sont supérieurs à ses droits.
2) Danger - Crise. Sentiment d’une crise tellement forte que les solutions traditionnelles ne peuvent en venir à bout. Le groupe est une victime, il doit donc se défendre contre ses ennemis extérieurs et intérieurs par n’importe quel moyen et sans aucune limitation morale.
3) Déclin. Le groupe risque le déclin sous l’influence de 3 facteurs essentiellement : individualisme, conflits de classe, influences étrangères.
Crise et déclin sont clairement mis en avant tant par Trump que par Poutine. Chez Trump le slogan Make America great again le montre à l’évidence. Quant à Poutine il n’arrête pas de regretter la puissance et la grandeur de l’Empire soviétique perdu et de clamer que ce sont les Occidents qui sont la cause du déclin.
4) Renforcement du groupe : par intégration forcée, par purification (c. à d. épuration et exclusion).
Trump est du côté des WASP, accuse les Mexicains d’être des voleurs et des violeurs, il faut les expulser, quant aux Noirs, ils sont violents, il faut les mater. Et Poutine est pas mal influencé par ces idéologues qui pensent que les Russes devraient régner sur le monde slave et même un peu plus. Les Ukrainiens, en particulier, sont des Russes, il faut les purifier et leur enlever de la tête ces idées occidentales qu’il baptise – c’est un comble – de néo-nazies !
5) Culte du chef : besoin d’autorité exercée par des chefs naturels (masculins bien entendu), besoin d’un super-chef, incarnation de la destinée historique du groupe. Supériorité de l’instinct du chef sur la raison.
6) Violence et volonté : « Beauté de la violence et efficacité de la volonté quand elles sont consacrées à la réussite du groupe ».
7) Peuple élu : droit de dominer les autres, sans contrainte (ni morale, ni religieuse, ni humaniste). C’est un combat darwinien, donc conforme à la nature. Seul critère : la réussite.
Trump, dans ses télé-réalités, n’arrêtait pas de clamer : you are fired ! Le journaliste et écrivain Michael d’Antonio qui avait publié une biographie de Trump en 2015 déjà (Never enough – Donald Trump and the pursuit of success), raconte que les Trump sont tous persuadés, Donald lui-même comme son fils Donald junior, de leur « supériorité génétique ». Quant au journaliste new-yorkais George Packer qui avait écrit un livre intitulé la Dissolution (The Unwinding : an Inner History of the New America, 2013) et qui était le premier à parler de fascisme à propos de Trump, écrit : « Trump offre aux citoyens déboussolés la vision d’un homme fort qui résout tous les problèmes, lui tout seul, sans tenir compte des règles démocratiques » Quant à Poutine ses portraits d’homme viril, sportif, guerrier, sont tellement nombreux et extrêmes qu’ils font rigoler nos dirigeants occidentaux. Ils ont tort.

Mark Cousins, à la fin de son film, revient encore sur ce qui lui paraît le plus dangereux dans ce nouveau fascisme, la désinformation, la compare à un incendie qui devient impossible à éteindre quand il fait rage et dit : « Nous qui croyons à la démocratie et l’égalité et aux droits des minorités… nous pouvons éteindre l’incendie et nous avons le devoir de le faire ! ».
Vœu pieux !

PS (15/09/2022) : Hier soir on a eu les résultats définitifs des élections législatives suédoises et appris que le bloc des droites et de l'extrême-droite a gagné contre le bloc de centre gauche, non pas par un écart d'un député mais de trois : 176 contre 173. Quant à l'extrême-droite elle a eu plus de 20% des voix. Dans un pays qui a été si longtemps le modèle de la social-démocratie pour tant de socialistes réalistes et d'abord pour Michel Rocard ! Et pour moi... Mélenchon, comme d'habitude, a tout faux : vous voyez : la social-démocratie n'est pas un rempart contre l'extrême-droite, il faut se radicaliser ! Or il est évident que la faute n'est pas à la social-démocratie mais à une certaine gauche naïve, gauchiste. Pendant longtemps le peuple suédois était très homogène, à part les Lappons (ou Samis). Et puis tout-à-coup cela a été la ruée : Arabes, Africains, Kurdes, Afghans. Trop pour certains. Trop voyant.
Et d'ici quelques mois c'est l'Italie qui aura un gouvernement non seulement soutenu par l'extrême-droite, mais dont le Premier Ministre sera directement issu d'un Parti d'extrême-droite...
L'incendie est bien parti...