La trilogie libanaise de Paulin, tome 2
(à propos de Frédéric Paulin : Rares sont ceux qui échappent à la guerre, Agullo, 2025)
Je viens de lire d’une traite le deuxième tome de la trilogie que Frédéric Paulin consacre à la guerre civile libanaise et à ses répercussions chez nous (le troisième tome paraîtra en août). Et j’y trouve les mêmes faiblesses et les mêmes qualités déjà notées à la lecture du premier tome. Pour ceux qui s’intéressent encore à cette triste histoire je leur recommande de se reporter à ma note de mon Bloc-notes 2024, intitulée : Paulin et les guerres de religion modernes. J’y analyse à la fois le premier tome de sa trilogie libanaise : Nul ennemi comme un frère, Agullo, 2024 et sa trilogie qui concernait les 10 années noires algériennes et leurs suites en France (celles qu’il est interdit d’évoquer en Algérie sous peine de prison et que Daoud vient de rappeler magistralement dans son dernier roman. Voir mon Bloc-notes 2024 : La grande colère de Kamel Daoud).
Mêmes faiblesses : les histoires d’amour inintéressantes et invraisemblables de ses personnages de fiction. Le conseiller Kellermann est toujours amoureux de celle qui a été secrétaire à l’Ambassade de France au Liban et qui continue à jouer un rôle essentiel au Hezbollah terroriste. Et la fille d’un politicien véreux niçois qui était marié à l’un des trois fils de la famille libanaise Nada (celui qui a choisi la France), qui a ensuite eu une histoire avec le chef des services secrets français au Liban, Christian Dixneuf et se marie finalement avec le responsable de la section antiterroriste des RG, Caillaux. Alors qu’elle est elle-même juge anti-terroriste. J’ai aussi du mal à croire que l’un des deux frères Nada restés au Liban, après avoir trempé dans le trafic de la marihuana de la Bekaa, comme ses adversaires chiites, se soit mouillé dans celui de la cocaïne et ait été assassiné par des Colombiens !
Mêmes qualités aussi : les faits qui sont authentiques comme les personnages historiques cités. Paulin a fait un travail de documentaliste remarquable. Qu’en ai-je retenu ?
D’abord la longue série d’attentats d’Action Directe. Que j’avais oubliée comme, certainement, la plupart des Français. J’avais aussi oublié que Mitterrand avait fait libérer Jean-Marc Rouillan et, plus tard, Nathalie Menigon. Pourquoi ? Pour avoir la paix ? Ou pour faire plaisir à l’extrême-gauche ? Comme il a accueilli les anciens de l’extrême-gauche radicale italienne et refusé de les livrer à la justice italienne, sauf ceux qui avaient du sang sur la main. Pourquoi Paulin évoque cette histoire ? Quel lien avec ce qui se passe au Liban ? A mon avis il y a plusieurs raisons. D’abord Paulin veut montrer l’incapacité des politiques à comprendre la gravité des faits. Leur irresponsabilité, même. En particulier, plus tard, lorsque Chirac et Mitterrand cherchent à utiliser les otages pour des raisons bassement électoralistes. On y reviendra. Montrer aussi l’incapacité de nos services secrets, intérieurs et extérieurs, à protéger les Français, d’abord par manque de moyens. Le manque d’efficacité aussi, de nos juges, par défaut d’organisation. De l’inexistence d’un pôle unique anti-terroriste. Et puis il y a encore un autre aspect : le fait que l’assassinat de Besse, le patron de Renault, par Action Directe, a peut-être été télécommandé par l’Iran. Car Besse était aussi, ce que j’ignorais, le patron fondateur d’Eurodif. Cet assassinat a eu lieu en novembre 1986. Or le tome 2 de Paulin finit avec l’attentat de la rue de Rennes (magasin Tati) de septembre 1986. On peut donc supposer qu’il y reviendra dans le troisième tome.
Ensuite il y a certains aspects de la guerre civile au Liban que Paulin rappelle qui m’ont frappé. Amin Maalouf, dans les Désorientés, fait dire à l’un de ses personnages que ce n’est pas leur religion que les différents adversaires défendent mais leur clan. Leur quartier, a dit un autre. Mais Paulin montre que le cas des Chiites est peut-être différent. Et il a probablement raison. C’est surtout le cas de l’un des partis chiites, le Hezbollah, qui est sous l’influence de l’Iran, alors qu’Amal est influencé par la Syrie (Hafez el-Assad ne voulant pas que les Palestiniens s’installent au Liban, de peur que les Israéliens arrivent jusqu’à sa frontière, pousse Amas à les combattre). C’est au sein du Hezbollah que sont formés les premiers kamikazes prêts à mourir pour la religion et ainsi rejoindre le Paradis d’Allah (on pense, bien sûr aux Haschischins du Maître de la Montagne qui régnait dans l’ancienne Perse dans la montagne qui s’élève au-dessus de Qazvin, l’endroit où nous avions créé notre filiale). Le fanatisme religieux est probablement plus présent chez les Chiites que chez les Sunnites. Peut-être à cause de l’infinie tristesse qui baigne cette religion depuis l’assassinat de Hussein à Kerbela. La religion devient alors un moteur effectif de la guerre civile libanaise. Effectif et efficace.
En tout cas, à l’époque, les politiques de l’Iran et de la Syrie n’étaient pas parfaitement alignées. Comme elles le sont devenues plus tard avec Bachar el-Assad et l’axe chiite créé par l’Iran. Mais les deux régimes étaient ennemis de la France et de l’Occident en général. Pour Paulin il semble établi que si la Syrie était derrière l’assassinat de l’Ambassadeur de France Delamare, c’est bien l’Iran qui était responsable du massacre du Drakkar. Dans ma note de 2024 j’avais cité l’article du Monde dont l’auteur, analysant le premier tome de la trilogie, avait écrit : « Paulin aime avant tout explorer la lente déchéance d’un ancien Empire, la France, qui s’accroche à ses dernières zones d’influence dans ses anciennes colonies ». Et qui insiste systématiquement sur « le rétrécissement de la France ». Voire. Quand on est pris dans une poudrière on est forcément perdant. La puissante Amérique a été frappée encore plus durement au Liban que la France. Et en est partie la queue basse (comme elle est partie d’autres endroits et d’autres guerres, en perdante honteuse, d’Iran, du Vietnam, d’Afghanistan, de Somalie). Non, ce qu’on peut surtout reprocher à la France, ou plutôt à ses responsables politiques, c’est leur maladresse. Leur interférence avec les professionnels du contre-espionnage. Les Prouteau et Barril chez Mitterrand. Et les anciens barbouzes gaullistes chez Pasqua (encore que Paulin semble avoir une certaine admiration pour le Corse Marchiani, son culot surtout). Les intérêts bassement électoraux, s’opposant carrément à l’intérêt général, celui de la France. Quand les négociateurs envoyés par Mitterrand en Iran, sous la direction d’Eric Rouleau (l’ancien journaliste du Monde, un homme intègre dont je me souviens très bien), pour obtenir du patron des pasdaran la libération des otages détenus par le Hezbollah au Liban (et accessoirement l’arrêt des attentats en France), un groupe d’envoyés de l’opposition (Chirac) négocie dans une pièce voisine, raconte Paulin. Et fait monter les enchères (l’Iran demande le remboursement du prêt Eurodif du Shah, la libération d’Anaïs Naccache qui avait essayé d’assassiner Shapour Bakhtiar et l’arrêt de la livraison d’armes à l’Irak). Car l’opposition préfère retarder la libération jusqu’après les élections qui doivent la ramener au pouvoir. Minable, diront certains. Moi je dirais plutôt : carrément criminel. Si c’est vrai, bien sûr. En tout cas l’un des otages, le chercheur Seurat, a le temps de mourir en attendant. Il n’a pas été exécuté, nous apprend Paulin, mais est probablement mort, dans d’affreuses souffrances, d’un cancer du pancréas.
Il y a aussi l’éternelle question : faut-il dialoguer avec ceux qui ont assassiné, en masse, des citoyens, des représentants, des soldats français ? Remarquez : il y a eu bien pire plus tard. Sarkozy dépasse tous ses prédécesseurs en matière de cynisme. C’est lui qui invite Bachar el-Assad au défilé du 14 juillet en 2008. C’est lui aussi qui autorise Kadhafi à planter sa tente dans les jardins de l’Elysée et nous morguer en plein Paris. Et lors du procès contre Sarkozy qui vient de se tenir on apprend que l’envoyé spécial de Sarko, Claude Guéant, a rencontré à Tripoli celui qui avait organisé l’attentat contre l’avion de la compagnie française UTA en septembre 1989 tuant les 170 passagers et membres d’équipage. Le procureur a même accusé Sarkozy d’avoir touché une grosse somme d’argent de l’affreux dictateur pour sa campagne électorale (mais les preuves semblent un peu minces et c’est tellement gros qu’on a du mal à y croire). Il y a des gens qui ont trouvé scandaleux que l’on aille serrer la main au puissant Premier Ministre d’Arabie Saoudite, mais Mohammed ben Salmane n’a fait découper en petits morceaux qu’un de ses opposants saoudiens, mais aucun Français, ni aucun autre Européen !
Je crois qu’aujourd’hui plus grand monde en France ne se souvient de l’affaire Eurodif. La société avait été créée pour exploiter un procédé d’enrichissement de l’uranium par un procédé de parois poreuses. C’est sous Giscard d’Estaing, en 1974, qu’on a signé un accord avec le Shah qui a accordé 10% de la société à l’Iran et la livraison de 10% de l’uranium enrichi contre un prêt de l’Iran à la France d’un milliard de dollars. En plus la France devait construire plusieurs centrales nucléaires en Iran. Une folie qui s’explique par l’admiration que nos gouvernants avaient à l’époque pour celui qui régnait alors sur un pays dont la richesse pétrolière semblait sans limites ! Encore un dictateur que l’hubris allait perdre ! (y a-t-il dans l’histoire de l’humanité un dictateur qui n’a pas été perdu par son hubris ?). Alors quand Khomeiny est arrivé au pouvoir il a immédiatement annulé l’accord et demandé le remboursement du prêt. Je suppose que Paulin reviendra à cette histoire dans le troisième tome de sa trilogie qui devrait paraître en août. Notons simplement que c’est Chirac, en 1988, qui va rembourser finalement la totalité du prêt. Mais il me semble évident que c’est cette histoire qui a donné l’idée aux chefs de la République islamique de se lancer dans l’aventure de la bombe. D’autant plus qu’un autre procédé plus simple d’enrichissement, par centrifugeuses, allait voir le jour que les Iraniens allaient maîtriser rapidement.
En conclusion, je crois qu’il est bien utile de rappeler toute cette histoire aujourd’hui. Et, donc, que Paulin a eu raison de s’y atteler. Il y a d’ailleurs un autre auteur de « romans politico-policiers », comme les appelle Eric Mestre dans un article du Monde du 4 avril 2025, intitulé Années de plomb, version française, Benjamin Dierstein, qui a commencé à consacrer une trilogie aux attentats et aux politiciens de la période 1978 – 1984, voir Bleus, blancs, rouges, Flammarion, 2025 (deux autres tomes vont paraître en automne 2025 et début 2026 : L’étendard sanglant est levé et 14 juillet).
Ainsi on se rend d’abord compte combien la France a souffert de tous ces attentats qui ont débuté dans les années 80 (Action Directe et Drakkar en 1983) et ont fini (provisoirement ?) en 2015 (Charlie et Bataclan). Plus de trente ans de bombes et aussi d’enlèvements (et la pratique des otages continue d’ailleurs, aujourd’hui en Iran même).
Mais les souffrances ont été encore bien plus grandes au Moyen-Orient. Et d’abord au Liban, un pays que beaucoup de gens (dont moi-même) considéraient comme un paradis, entièrement détruit aujourd’hui. Et si on considère, comme beaucoup, que tout a commencé avec la présence dans le pays des réfugiés palestiniens, on est bien forcé à revenir une fois de plus à la question israélo-palestinienne. D’autant plus qu’après l’attentat horrible du Hamas du 7 octobre 2023 le gouvernement israélien actuel continue à écraser sous les bombes (américaines) la totalité de la population gazaouie, raser Gaza et mettre définitivement en cause la survie de la Cisjordanie et, plus généralement de la Palestine arabe. Alors que nous sommes en mai 2025, 80 ans après la fin de la deuxième guerre mondiale et la reconnaissance de la Shoah. Le problème c’est que ce sont les Européens qui, après avoir très souvent persécuté les Juifs depuis l’époque de la première croisade, ont commis ce crime monstrueux de l’élimination de six millions de juifs et que ce sont les Arabes qui en sont innocents, qui sont punis. Ce que je veux simplement dire par là c’est que les Européens ont une responsabilité qu’ils ont toujours refusé d’endosser, depuis le début : celle de trouver un arrangement entre les Israéliens et les Arabes concernés. C’était à eux, et non aux Américains qui sont bien loin d’Israël et de la Palestine, à régler le problème. Or si l’accord d’Oslo a bien débuté en Norvège, c’est à Washington qu’il a été conclu. Mal d’ailleurs, comme l’a dit Elie Barnavi. Et, aujourd’hui, c’est le Washington de Trump qui va siffler la fin de l’histoire palestinienne, lui qui ne connaît rien de l’histoire, qui ne connaît d’ailleurs rien à rien !
Alors que les Européens ont de nombreux leviers pour agir, puisque Israël est considéré comme un pays européen dans presque tous les domaines, sportif (championnats européens), culturel même (voir le concours Eurovision de la chanson par exemple) et surtout commercial (l’Europe est le principal client d’Israël).