Le Bloc-notes
de Jean-Claude Trutt

Femmes vs Islam (suite)

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Ce n’est pas la première fois que j’évoque la façon maladive qu’a la religion musulmane de concevoir la femme. La religion ou, simplement, la coutume. Ou la façon dont la femme était considérée au temps de Mahomet. On s’en fout, de toute façon, de savoir d’où cela vient. Peut-être de l’ancienne façon, préislamique, de concevoir l’amour, l’amour bédouin, dont parlait l’érudite Musche que j’ai citée à propos du Roman d’Antar et de Leyla et Mejnoun. En tout cas, quand on étudie, comme je viens de le faire, la biographie de trois Egyptiennes remarquables qui ont essayé de faire évoluer les droits des femmes dans l’Egypte moderne (voir : Trois féministes égyptiennes) et ce qui s’est passé dans ce domaine encore plus tard, sous Sadate et Moubarak (voir : Féministes égyptiennes – suite), on ne peut que constater que chaque fois que les idées religieuses conservatrices recommencent à se répandre et se renforcer, les droits des femmes reculent. Et le premier signe du recul c’est le voile. Véritable symbole de l’asservissement de la femme et de sa domination par l’homme. 

J’ai parlé de l’Egypte, mais le problème est commun à tous les pays musulmans du monde entier. Il n’y a qu’à faire une recherche sur le net en ne prenant qu’un seul critère : la polygamie. Vous seriez étonné : deux pays, en tout et pour tout, deux pays seulement, ont supprimé le droit à la polygamie : la Turquie (grâce à Kemal Pacha) et la Tunisie (grâce à Bourguiba). Alors, bien sûr, beaucoup de pays, comme le Maroc par exemple, ont imposé un tas de conditions pour qu’un homme puisse accéder à un mariage multiple (telle que l’acceptation par la ou les premières femmes) et la pratique de la polygamie est devenue de toute façon extrêmement rare un peu partout. Il n’empêche. La polygamie qui existait ailleurs, c’est vrai, comme en Chine par exemple, a été supprimée partout dans le monde. Dans notre monde d’aujourd’hui. Même chez les Mormons où on avait essayé de le réintroduire au XIXème siècle en Occident (malgré ce qu’en dit un article de Jeune Afrique sur le sujet). Partout, sauf en terre d’Islam. 
Bien sûr, on peut penser que ce n’est pas important. Puisque, de toute façon, la pratique, même, de la polygamie a tellement reculé, à cause des mœurs, à cause des femmes qui ont, quand même, évolué et sont capables, aujourd’hui, de mener la vie dure à leurs maris s’ils voulaient les y contraindre, pour des raisons économiques aussi. Il n’empêche : c’est un symbole. 
Mais le plus important sur le plan du droit c’est tout le reste. Egalité juridique stricte entre homme et femme. Et les droits du mariage et du divorce. Et là on est surpris quand on constate que le Maroc était, à un moment donné, plus avancé dans ce domaine que l’Algérie, une République anciennement socialiste type soviétique. 
Au Maroc la législation actuelle a supprimé l’obligation d’un tuteur pour la femme l’autorisant à se marier, l’âge de mariage est passé de 15 à 18 ans, la répudiation par le mari est soumise à l’autorisation d’un juge, la femme a également droit au divorce et tout est devenu mutuel, la fidélité, la gestion du ménage ; le parent qui a obtenu la garde des enfants lors d’un divorce conserve le logement ; et la femme peut même transmettre sa nationalité à ses enfants ! 
Alors qu’en Algérie la Constitution de 1976 établissait l’égalité de droits entre tous les citoyens et que les droits de la femme (politiques, économiques, sociaux et culturels) étaient même expressément « garantis », le droit de la famille de 1984 les faisait à nouveau régresser, rétablissant la polygamie, autorisant l’homme, en cas de divorce, de conserver le logement et plaçant à nouveau la femme dans une position subalterne. En 2005 on réforme ce droit à nouveau : l’âge minimum pour la mariage est fixé à 19 ans pour les deux sexes (c’est également l’âge légal de majorité), le wali, tuteur au moment du mariage, est conservé, mais relégué à un rôle de représentant, la polygamie est limitée (handicap de la première femme, impossibilité d’enfanter et autorisation par un juge), les enfants sont confiés à la mère en cas de divorce et le père doit subvenir aux frais, la femme n’a plus besoin d’autorisation de l’époux ou du père pour se rendre à l’étranger et elle a même le droit de transmettre sa na nationalité à ses enfants. Une loi a également été votée en 2016 sur les violences faites aux femmes. Elle a le mérite d’exister, même si elle renferme une clause, dite du pardon, qui permet d’annuler toute poursuite judiciaire lorsque la femme « pardonne » à son époux (après combien de pressions familiales ?). Le problème c’est que là comme ailleurs la société reste en arrière par rapport à la législation. Les jeunes filles continuent à se soumettre à leurs familles. Et les hommes, paniqués à l’idée de perdre leur position dominante, s’allient aux forces conservatrices religieuses. 
Lors de la guerre civile, rappelle la féministe Fadila Boumendjel-Chitour dans une interview au Point, « les femmes ont été transformées en esclaves sexuelles et domestiques ». Or « ce terrorisme islamique violent a laissé des traces dans la société ». Et c’est vrai, je me le rappelle : à l’époque les émirs enlevaient les femmes, en faisaient leurs esclaves sexuelles et quand elles devenaient enceintes ils les tuaient. L’écrivain Yasmina Khadra qui était dans l’armée à l’époque a évoqué à de nombreuses reprises les horreurs dont il a eu connaissance alors qu’il était en première ligne, soit dans des articles parus dans Le Monde, soit dans son roman A quoi rêvent les loups ? (Julliard, 1999), soit dans sa trilogie policière qui mettait en scène son Commissaire Llob (Morituri, Double Blanc et L’automne de chimères, Editions Baleine, 1997/98). Quant aux conséquences d’aujourd’hui il n’y a qu’à se rappeler les terribles violences contre les femmes de Hassi Messaoud. Nadia Kaci qui a consacré un livre à cette histoire (Laissées pour mortes. Le lynchage des femmes de Hassi Messaoud,, Max Milo Editions), rappelait ce qui s’était passé en juillet 2001 dans un article du Monde en 2010 : « plus d'une centaine de femmes furent violées et torturées à l'appel d'un imam, par quatre cents à cinq cents hommes – l'une d'elles fut enterrée vivante ! Sur cette foule ayant commis ce pogrom, seuls vingt-neuf hommes ont été accusés. Parmi eux, seuls trois hommes ont réellement purgé leur peine. Les autres ont été condamnés par contumace, ou encore innocentés ! L'imam, lui, a été arrêté quelques heures et relâché sur injonction d'Alger ! ». Et voilà que cela a recommencé en 2010. Voilà ce que raconte Nadia Kaci encore : une véritable chasse aux femmes s’y est organisée à nouveau. « Ces dernières, venues des quatre coins du pays, travaillant dans des multinationales afin de subvenir aux besoins de leurs familles, se sont fait agresser régulièrement la nuit. Leurs maisons ont été saccagées et pillées par des hommes armés de gourdins, de haches, de couteaux, qui agissaient cagoulés, ou même à visage découvert. La plupart du temps, les femmes avaient beau hurler, aucun voisin ne leur venait en aide. Lorsqu'elles se rendaient au commissariat, elles devaient supplier des policiers méprisants pour que leurs plaintes soient enregistrées. Dans la nuit du dimanche 11 avril 2010, les agressions ont redoublé. Aucun auteur de ces crimes n'a été poursuivi en justice ». 

Ici je vais faire une parenthèse. Le viol des femmes est devenu une pratique courante un peu partout dans le monde. Dans les guerres africaines on viole toutes les femmes systématiquement, des vieilles aux petites filles. On se rappelle le viol des femmes allemandes lors de l’avancée victorieuse de l’Armée russe à la fin de la dernière guerre européenne. Et, s’il faut en croire le terrible témoignage de l’écrivaine italienne Margaret Mazzantini dans Venir au monde (Roger Laffont, 2010) – et je crois qu’elle s’était bien documentée avant d’écrire son roman – les miliciens serbes orthodoxes s’étaient constitué de véritables harems avec leurs prisonnières bosniaques musulmanes qu’ils traitaient de manière absolument abjecte. Mais ce qui diffère dans le cas des islamistes c’est qu’ils se servent de la religion pour couvrir leurs méfaits. Nous avons vu il y a trois jours un documentaire effrayant sur la 3ème chaîne belge (chaîne plus ou moins culturelle) qui traitait du mini-état islamique de Syrte en Lybie. L’organisation a régné pendant de nombreux mois par la terreur sur la ville et ses environs avant d’être vaincue par les milices de Misrata. Dans ce documentaire absolument remarquable on a droit non seulement aux témoignages des habitants et des intervenants de Misrata, mais encore à celui d’un imam de l’EI caché en Turquie, à des images vidéo et, surtout, à des extraits des ordinateurs récupérés sur les islamistes. On se rend compte non seulement de l’incroyable organisation à laquelle était parvenue l’EI, mais encore de sa maîtrise des techniques modernes. C’est un véritable islamo-fascisme, mais un fascisme du XXIème siècle. Qui sait utiliser à ses fins les deux moteurs du monde d’aujourd’hui, l’argent et le sexe. Pour se procurer l’argent on divise la ville en secteurs, étudie soigneusement l’activité et la richesse de chacun pour le pressuriser ensuite avec des percepteurs installés dans chaque secteur. Et en mettant en scène, bien sûr, la terreur. Avec punitions corporelles et pendaisons ou décapitations en place publique. C’est à Syrte que l’on a décapité face à la mer une douzaine de malheureux coptes égyptiens. Et puis on recrute des djihadistes auxquels on n’a plus qu’à promettre à la fois de l’argent et du sexe. Et c’est là qu’intervient l’élément religieux. Détourné, bien sûr. Mais habillé de religion quand même. L’imam retrouvé en Turquie l’explique très bien. La femme musulmane il faut l’épouser pour coucher avec. La femme non-musulmane on en fait son esclave. On en fait ce qu’on veut. La battre, la violer si nécessaire (voir les témoignages des femmes yézidies qui ont survécu). Les jeunes écolières nigérianes que Boko Haram a enlevées, on leur a offert de se convertir à l’islam mais cela n’a pas changé grand-chose à leur sort : on les a mariées quand même, sans leur demander leur avis. Dans les ordinateurs saisis à Syrte on a trouvé les certificats de mariage. Il faut croire que les filles étaient musulmanes. Tout était fait en bonne et due forme. Même la dot était indiquée. Sur l’un des certificats la dot était une kalachnikov, sur un autre un pain de plastique (une ceinture de plastique en guise de ceinture de chasteté ?). Et comme l’islam autorise l’homme à répudier sa femme, eh bien on répudie. Quand on n’en a plus envie. Ou envie de changer avec la femme du copain. On a trouvé le cas d’une fille qui a été mariée 17 fois ! 

Mais revenons au droit des femmes en pays musulman. Au Liban, pays moderne et multi-confessionnel, on pourrait penser que le droit des femmes est moderne lui aussi. Hélas, le Liban est toujours aussi communautariste, le film qu’on a vu au dernier Festival du Cinéma arabe de Fameck d’octobre dernier, Le Déjeuner, nous l’a montré. Alors chaque communauté a sa loi pour la famille. Or il y a 18 communautés religieuses au Liban et toujours pas d’âge minimum de fixé pour le mariage (Human Rights Watch demande qu’il soit fixé à 18 ans comme c’est déjà le cas pour la Jordanie, l’Irak et les EAU. Alors qu’actuellement, les tribunaux religieux libanais autorisent les filles à se marier à 15 ans. Dans un article de Figaro Madame qui vient de paraître ce mois-ci on prétend même que l’âge minimum varie de 14 à 17 ans pour les filles dans les différentes communautés religieuses musulmanes et que la situation n’est guère meilleure chez les chrétiens chez qui cet âge minimum varierait de 14 à 18 selon les communautés). Et il n’y a pas si longtemps le crime d’honneur n’était pas puni et le violeur absout s’il épousait sa victime (c’est une vieille coutume que l’on trouvait ailleurs autour de la Méditerranée : il y a une nouvelle de Pirandello, le Châle, qui le raconte dans Nouvelles pour une année : le frère de la victime oblige sa sœur à épouser son violeur. Si je me souviens bien, la fille se suicide). 
Ceci étant il faut quand même reconnaître que nombre de pays musulmans ont fait des progrès. Même si beaucoup reste encore à faire. Mais, de toute façon, tout le monde le reconnaît : c’est par l’éducation et par la place prise dans l’économie et la politique que les femmes vont finir par gagner la partie (l’Assemblée des députés algérienne comporte 30% de femmes). 

Mais que peuvent-elles faire là où règne la charia ? Le seul progrès constaté à ce jour en Arabie saoudite c’est qu’elles ont obtenu le droit de conduire. Mais la centaine de femmes qui ont manifesté pour leurs droits sont en prison depuis une année déjà et attendent toujours de passer en jugement. Et je me souviens de mon délégué pour le Moyen-Orient, le Libanais Tony Saad, qui avait assisté de loin à une lapidation à Djeddah ou à Ryad et qui me racontait quelle vision d’horreur cela avait été pour lui (on trouve une telle scène, mais filmée furtivement dans Timbuktu de Sissoko que l’on a pu revoir ces jours-ci sur TV5 International). Cette lapidation que Ramadan (lequel ? Je ne sais pas : ils sont deux, l’un est lisse et beau parleur, l’autre plus discret) a décrit un jour dans un article paru dans le Monde comme pas si grave puisque l’adultère, en droit musulman, est tellement difficile à prouver ! 
Et dans l’Iran chiite la situation des femmes n’est pas tellement meilleure. Le premier scandale est l’âge autorisé pour le mariage des filles. « En Iran, les jeunes filles sont autorisées à se marier dès l'âge de 13 ans », peut-on lire sur le net. « Avec accord d'un juge, elles peuvent même se marier, ou plutôt être mariées, plus jeunes. Selon le site d'information iranien Tabnak, 42 000 enfants âgés entre 10 et 14 ans ont été mariés en 2010 ». Le journal Marie-Claire se demande même si l’Iran ne promeut pas la pédophilie et l’inceste. Mais, au fond, le régime de Khomeiny n’a fait que reprendre une vieille tradition chère au clergé iranien. Je me souviens d’une nouvelle de Hedayat, L’intermédiaire (que l’on trouve dans son recueil de nouvelles Trois gouttes de sang, traduites par Gilbert Lazard et parues chez Phébus en 1988) où le mollah Mirzâ Yadollâh tombe amoureux d’une fillette de huit ou neuf ans qu’il achète pour trois tomans d’argent : « Elle était si petite que le soir des noces ses parents ont dû l’apporter dans leurs bras. Pour ne rien vous cacher, j’avais un peu honte de moi ». Un contemporain de Hedayat, Djalâl Aleahmad, évoque une spécialité chiite, le mariage temporaire, dans sa nouvelle La Fête des femmes (dans Nouvelles persanes – L’Iran d’aujourd’hui évoqué par ses écrivains, présentation et traduction Gilbert Lazard, Phébus, 1980). Il faut dire que le père du dernier Shah avait interdit le turban pour les hommes et le tchador pour les femmes. Alors, convoqué à une fête officielle, la fête des femmes, un religieux, ne voulant en aucun cas que sa femme se promène le visage nu, trouve la solution en contractant le fameux mariage temporaire chiite avec une femme « moderne » qu’il emmènera à la fête à la place de sa femme légitime. Dans d’autres circonstances ce mariage temporaire peut servir de prostitution, bien sûr. Le Monde des 10/11 février dernier fait la chronologie de « la vie des femmes entre foi et lois » en Iran. On apprend que le fameux décret portant sur l’interdiction du voile dans l’espace public date de 1936. 
C’est en 1979 qu’est mis en place le système politique religieux de Khomeiny. La loi de protection de la famille de 1967 qui avait réglementé la polygamie et accordé le droit au divorce à la femme est abrogée. L’un des rares droits acquis conservés est le droit de vote obtenu en 1962. La tutelle masculine qui avait déjà été mise en place dès 1972, dit Le Monde, ce qui m’étonne un peu, est bien sûr conservée : l’autorisation du mâle dominant (époux, père ou frère) est nécessaire pour obtenir un passeport, pour voyager à l’étranger et même pour travailler. Et puis j’oubliais : le témoignage d’une femme ne compte que pour la moitié de celui d’un homme (si je compte bien il faut donc trois femmes pour accuser et, éventuellement, faire condamner un homme). Sous Ahmadinejad on va même jusqu’à annuler certaines réformes obtenues permettant de relâcher le code vestimentaire et on impose des quotas à l’Université pour certaines filières. Car c’est là que réside l’espoir en Iran : les femmes s’instruisent en masse et occupent des postes de responsabilité dans la société et l’économie. En 2018 84% des femmes étaient alphabétisées, 17% avaient un niveau universitaire et 60% des étudiants étaient des femmes. Elles sont souvent ingénieures, il y a des femmes cheffes d’entreprises importantes dans le pétrole et l’aviation, il y aurait même une femme ambassadrice. Cela c’est l’espoir. Mais ce qui est désespérant c’est que le régime est solidement établi, que ceux qui ont le vrai pouvoir sont les ultra-conservateurs et qu’ils peuvent s’appuyer en plus sur les Gardiens de la Révolution qui ont toutes les ressources financières, militaires et sécuritaires. C’est bien triste. Et ce n’est pas la politique de Trump qui va pousser les choses dans la bonne direction. Quant aux Iraniens de l’étranger, « ils ont le blues » écrit Le Monde (10/11 février 2019). 
Alors il y a les cinéastes. Les plus célèbres ont l’interdiction de tourner. Or ce sont eux qui nous parlaient des femmes iraniennes. Comme dans le film Séparation d’Ashgar Farhadi par exemple : Une femme (Simin) quitte son mari, celui-ci engage une aide-soignante (Razieh) pour son père malade ; or elle est enceinte et a accepté ce travail sans avoir demandé l’accord de son époux. On y étudie plusieurs problèmes, l’émigration, le divorce (quand le mari de Simin refuse d’émigrer, elle le quitte et demande le divorce, le juge ne l’accorde pas), les préceptes religieux (Razieh ne sait si elle peut laver le vieux qui s’est uriné dessus, on découvre qu’il existe une assistance religieuse téléphonique pour ce genre de problèmes, etc.). Il y a aussi Nahid (problématique du divorce et de la garde des enfants) de la réalisatrice Ida Panahandeh, « un portrait acide de la femme en Iran », écrit Olivier de Bruyn dans les Echos. Il y a surtout Au Revoir de Mohammed Rasoulof, un film bouleversant sur une femme qui veut quitter l’Iran (une avocate interdite d’exercer) et Trois Faces (une actrice cherche à venir en aide à une jeune fille recluse dans un village isolé aux traditions conservatrices) de Jafar Panahi. Ces deux cinéastes ont décidé de rester en Iran malgré toutes les difficultés (prison, interdiction de tourner). D’autres comme Ashgar Farhadi et Abbas Kiarostami tournent alternativement en Iran et à l’étranger. 
C’est donc surtout par le cinéma que se traduit la résistance – courageuse – des intellectuels et des artistes. Mais il y a aussi celle des femmes ordinaires. Des citadines de Téhéran. Celles qui osent enlever leur foulard. Mais surtout toutes celles qui laissent passer leurs cheveux. Car une femme est mal voilée, écrit Le Monde, dès que ces fameux cheveux dépassent, ou si elle est trop maquillée ou si ses vêtements sont trop ajustés. Alors là, heureusement, il y a une brigade spécialisée, la police des mœurs, qui veille ! Gare aux contrevenantes ! Et encore ces femmes peuvent se considérer comme privilégiées : elles ont le droit de montrer leur visage et leurs mains. Chez Daesh on ne doit voir que les yeux. Et pas les mains (voir la scène de Timbuktu où les vendeuses de poissons doivent mettre des gants !). Et je ne parle même pas de la musique, du droit de chanter (en Iran – on l’a vu dans un documentaire – les femmes ne doivent chanter qu’en chœur, pas de femme qui chante en solo : cette voix haute perchée risque d’exciter l’homme. Et comme on sait, si l’homme est excité, c’est la femme qui est responsable, la femme est lubrique !). 

Pour finir je vais de nouveau retourner en Egypte. Vous parler d’un livre. Un livre extraordinaire qu’il faut lire à tout prix, celui qu’Alaa el Aswany, l’auteur du bestseller mondial, L’Immeuble Yacoubian, a écrit à la gloire de la Révolution du printemps 2011 : J’ai couru vers le Nil (Actes Sud, 2018). L’Immeuble Yacoubian était extrêmement plaisant à lire, une description du peuple cairote dans toute sa diversité, une description tendre tout en étant une belle critique de toutes les tares de la société, un livre qui fut un véritable événement à l’époque (Benny Ziffer, mon Israélien levantin, raconte qu’il se trouvait au Caire quand l’édition anglaise a paru aux Editions de l’Université américaine et qu’elle fut épuisée en une journée !). Alors quand on lit le premier chapitre du dernier livre d’el Aswany, où un général commence la journée à faire l’amour avec sa grosse dondon en regardant un film porno (pour faciliter la chose), puis va à la prison où l’on torture un rebelle et demande qu’on cherche sa femme, la mette nue et menace le prisonnier de la faire violer devant lui par tous les garde-chiourmes de la prison, on se dit que cette fois-ci la satire va être un peu plus dure. Et puis, en continuant la lecture, on se rend compte que ce livre n’est pas un simple pamphlet mais un véritable brûlot ! Et que le général Sissi fait bien d’en interdire la distribution en Egypte. Mais vous qui vivez dans un pays libre il faut que vous le lisiez, car ainsi vous apprendrez de quelle façon cruelle on a écrasé la révolution : pas seulement en tirant à balles réelles sur les manifestants mais en leur roulant dessus avec des chars (et c’est El Aswany qui l’assure : or il était tous les jours sur la place Tahrir et il l’a vu de ses propres yeux. Quand je pense qu’on a condamné Moubarak pour avoir tiré sur eux ! Le pauvre, il n’y était probablement pour rien ; ce sont ses généraux. Remarquez, de toute façon, sa condamnation c’était de la frime. Aujourd’hui il vit tranquillement dans un hôpital de luxe avec vue sur le Nil et repas fournis par un traiteur). 
Il faut aussi le lire parce qu’il montre la puissance et la solidité de l’oligarchie en place quand elle ne s’appuie pas seulement sur l’armée et les organes de sécurité, mais encore sur la famille du Président (son fils Gamal) et sur l’organisation patronale qui, à son tour, finance la propagande, télé et journaux. Au moment où je finis cette note a éclaté la révolte du peuple en Algérie (la momie Bouteflika se présente pour la 5ème fois). Or, en Algérie, le peuple est en face de la même oligarchie, formée de l’Armée et de la Sécurité, de l’entourage familial, le jeune frère de Bouteflika, et du patron des patrons c’est-à-dire le pouvoir économique. Dans le cas de l’Algérie l’oligarchie s’appuie même sur le patron du syndicat officiel ! 
Et il faut lire ce livre parce qu’il montre aussi le jeu étrange qui se joue entre Armée et Frères musulmans. On se tient par la barbichette. El Aswany est formel : les généraux ont fait un deal avec les Frères au moment de la révolution de la place Tahrir. A aucun moment ils n’y ont participé. Et en échange ils ont eu le droit de participer aux élections qui allaient suivre. Qu’ils ont gagnées. Et quand Morsi devient Président il nomme Sissi qui était à la tête des Renseignements militaires Ministre de la Défense. On se demande même, écrit Robert Solé dans Ils ont fait l’Egypte moderne (Editions Perrin, 2017), s’il n’est pas un Frère caché. Mais dès que Morsi touche aux prérogatives de l’Armée, il est balayé et les Frères avec lui. 
Et puis il faut lire le livre d’el Aswany pour une dernière raison : pour la description de l’incroyable hypocrisie des religieux et de ceux qui affichent leur ferveur religieuse. Et pour le voile. Et pour ce qu’il signifie : la soumission de la femme. A Dieu, en apparence. A l’homme, en réalité ! 
On trouve dans ce livre un portrait à gros traits d’un cheikh. Un cheikh autoproclamé comme cela est possible chez les sunnites, un saint homme, un Tartuffe à côté duquel celui de Molière est un petit garçon. C’est le cheikh Chamel qui a consacré sa vie à la prédication divine. Il a trois Mercedes, preuve des bienfaits que Dieu a répandus sur lui. Il a trois épouses qui habitent trois étages de sa luxueuse villa. Le quatrième étage est réservé à la vierge qu’il épouse puis qu’il répudie, toujours dans le respect des commandements divins. C’est que le cheikh a une grande passion : il aime déchirer les hymens… 
Et voici son sermon sur le voile (la traduction est de Gilles Gauthier) : 
« Je vous parlerai aujourd’hui du voile, que l’ensemble des théologiens et des croyants s’accordent à reconnaître comme une obligation pour toute femme musulmane à partir du moment qu’elle a ses premières règles. Le voile est dans la religion une obligation reconnue à propos de laquelle il ne devrait pas être besoin de discourir, mais ce qui me pousse à en parler est cette campagne enragée de la part des laïques, valets du sionisme et de l’Occident des croisés. Grâce à Dieu en premier lieu, puis grâce à nos cheikhs clairvoyants et sincères, le voile s’est répandu et est devenu prépondérant chez les femmes musulmanes, ce qui, pour les laïques, a été un grand coup qui les a fait tituber avant de les entraîner dans la danse de la mort. Ces laïques ligués contre notre nation ne supportent pas de voir une femme musulmane embellie par la chasteté et la pudeur… 
Mes sœurs dans l’islam, répétez après moi cette invocation et apprenez-la par cœur : Mon Dieu, fais que les femmes et les filles des musulmans soient saintes, pieuses, soumises et pénitentes. Fais-leur aimer le voile et le hijab… ». 
Soumises et pénitentes. Notez bien ces mots. C’est cela la signification du voile. Et chaque fois que l’on revient au voile en terre d’islam, il y a retour sur les droits des femmes. Il y a quelques jours a éclaté l’affaire du hijab pour joggeuse de Décathlon. Qui a fait bien des vagues. Finalement Décathlon a reculé craignant une campagne de boycott. Aussitôt des voix se sont élevées, parlant d’islamophobie, de libération par le sport de femmes attachées à leur religion, etc. Pour moi c’est évident : on ne peut interdire à une femme de porter le foulard islamique mais ce n’est pas à une enseigne sportive de le promouvoir. Les intégristes religieux s’en chargent déjà suffisamment. Même en France.