(à propos de Luc Baranger : Dès les pâlissements de l’aube, Editions Equateur/Humensis, Paris, 2023)
Pour quelqu’un comme moi qui a toujours considéré que la grande tuerie de masse de la guerre de 14 était le premier génocide du XXème siècle, génocide de nos paysans, et qui n’a jamais compris qu’on n’utilisait pas ce terme lors des consécrations du centenaire de sa fin en 2018, je jouis bien sûr de la façon dont Luc Baranger commence son roman, dans ce style bien à lui, qui n’a rien à envier ni à Céline ni à Frédéric Dard : « Depuis quatre ans (on est en 1918), Marie-couche-toi-là violentée par les soudards des deux bords, prise et reprise, éventrée, gazée, asphyxiée, crevassée, souillée, entre deux assauts, infertile et offerte, la terre d’Argonne subissait les sempiternels défilés de morts en puissance qui montaient au feu relever les cohortes d’épargnés et d’éclopés qui en revenaient. Arme à la bretelle, les premiers progressaient à la queue leu leu, tels des bestiaux courbant l’échine sous le portique d’un abattoir géant ripoliné en rouge sang… ».
Les Américains sont venus renforcer Français et Anglais et leurs généraux ont l’air d’être aussi généreux que leurs collègues alliés pour ce qui est de sacrifier la vie de leurs soldats. Et la vie dans les tranchées aussi sinistre. Et puis voilà qu’on y rencontre un personnage étonnant, un Indien lakota, intelligent, polyglotte, déterminé, mais aussi capable de se débarrasser de ses vêtements, s’enduire de suif, et armé de son seul couteau, partir à travers le no'mansland, trucider des gardes allemands, les scalper, et puis ramener un officier allemand pour être interrogé par le Renseignement américain. Ce n’est que progressivement que l’on apprend son histoire. Et qu’on comprend que l’homme est plausible. Pourquoi pas ? D’ailleurs Cendrars raconte un peu une histoire semblable, je crois que c’est dans La main coupée, alors que tout le monde traînait dans les tranchées, comment lui, engagé dans la Légion (puisqu'il était Suisse), arrivait encore à faire sa guerre personnelle en allant derrière les lignes allemandes sur des barques flottant dans le brouillard sur l'eau d'une rivière (la Somme je suppose) trucider les Allemands et faucher leurs réserves.
L’Indien en question s’appelle Dull Dawn, ce qui veut dire aube triste car il est né le matin même du dernier grand massacre d’Indiens, à Wounded Knee où, en décembre 1890, le major Whitside et le colonel Forsyth ont fait tirer avec des mitrailleuses Hotchkiss sur 120 hommes désarmés et 230 femmes et enfants. Et parmi les 200 morts se trouvaient la mère et la soeur de Dull Dawn. Quant à lui, enveloppé dans des couvertures, il a été sauvé par ses grands-parents qui ont réussi à s’échapper. Si Dull Dawn et sa famille sont des personnages imaginés par l’auteur, le massacre, lui, est malheureusement bien historique. Comme le sont la plupart des faits relatifs aux Sioux relatés dans ce roman. Par contre je ne suis pas certain que Pershing, le général en chef de l’Armée américaine, ait vraiment été présent ce jour funeste à Wounded Knee. Alors que tout ce que fait Dull Dawn dans cette histoire, c’est dans le seul but d’être présenté un jour à Pershing, être décoré par lui et en profiter pour venger sa mère en lui enfonçant son couteau dans le ventre. Or on sait que Luc Baranger a fait un travail de documentation considérable – je crois qu’il a mis 5 ans à préparer ce roman auquel il a attaché beaucoup d’importance – donc il doit avoir raison. Même si moi, qui possède beaucoup de livres qui racontent en détail le grand génocide indien, je n’ai rien trouvé à ce sujet. Mais pour l’auteur Pershing a encore bien d’autres défauts, fourbe et arriviste, mauvais soldat et responsable de bien d’autres tueries, aux Philippines en particulier. Et voilà que j’apprends que ce salaud a des origines alsaciennes (page 168). Luc Baranger me l’avait déjà dit. Alors, j’ai vérifié : hélas, c’est vrai (voir : Norman Laybourn : L'Emigration des Alsaciens et de Lorrains du 18e au 20e siècle, Publications de l’Université de Strasbourg, 1986). Mais quand même, l’origine est lointaine. L’ancêtre, un certain Frédéric Pfirsching ou Pfoersching, est né en 1730, quelque part du côté de Strasbourg, immigré en 1749 à Philadelphie, venant de Hollande. Entre lui et son arrière-petit-fils, le salaud né en 1860, beaucoup de mariages, de mésalliances. Le bon sang alsacien a été pollué, c’est clair.
Dull se fait bien sûr remarquer d’abord par son lieutenant, fils d’un WASP, gros industriel de la Nouvelle Angleterre, écrasé par son père, et ensuite par un officier supérieur, fils d’un autre général qui a combattu les Indiens (mais s’est montré juste envers eux) et pour qui Pershing est un ennemi. Les conversations entre Dull et ses officiers sont d’autant plus plaisantes à suivre que, très clairement, elles reflètent les opinions de l’auteur lui-même. Quand l’Indien a fini de raconter au lieutenant tout ce que les Sioux ont souffert de la part des Blancs et que celui-ci lui dit : je savais que tu pouvais être cynique, mais pourquoi aussi défaitiste ? « N’as-tu jamais envisagé de mettre un soupçon d’optimisme dans ta vie ? », Dull lui répond : « L’optimisme, mon lieutenant, c’est l’espoir des cons » (page 75). Je rigole car je pense à mon jeune frère qui est tellement pessimiste pour ce qui est de l’évolution actuelle de l’humanité qu’il ne peut s’empêcher d’insulter les optimistes quand par malheur il en rencontre l’un d’eux ! On apprend aussi que tous ces Amérindiens, même ceux qui ont été engagés dans le corps expéditif américain, eux qui ont habité l’Amérique depuis des temps immémoriaux, n’ont toujours pas la nationalité américaine (page 117) (et mes livres à moi, confirment la chose ! Il a fallu attendre 1924 pour qu’ils l’obtiennent enfin). Par l’intermédiaire de Dull l’auteur exprime aussi ce qu’il pense de la démocratie américaine. Et lorsque Dull dit plusieurs fois à ses officiers que la démocratie américaine n’est rien d’autre que de l’hypocrisie, je pense à Malcolm X qu’on a vu encore récemment, dans un documentaire passé sur la chaîne Histoire, déclarer à maintes reprises et avec véhémence : « your democracy is hypocrisy ! ». Et à propos du colonialisme américain voici ce que Baranger écrit : « L’oncle Sam avait ainsi tordu le bras à Haïti et à Cuba pour que la National City Bank y fasse son beurre. Il avait purifié (dixit le major général Smedley Butler) le Nicaragua afin d’aider aux intérêts de la Brown Brothers Bank. L’année suivante il avait réduit le Honduras en esclavage pour contenter les actionnaires des trusts fruitiers avant de rejouer la même scène au Mexique au profit des groupes pétroliers et en République dominicaine à celui des compagnies sucrières » (page 120).
Quand Dull sort de la tranchée pour aller se faufiler dans les lignes ennemies, il est entièrement habillé en Sioux, en pagne, veste de peau, jambières de peau également, mocassins aux pieds, mains et visage enduits de suif noir, les tresses nouées en chignon et armé d’un « vieux Bowie-knife à manche de corne, cadeau d’un trappeur canadien français à son aïeul ». Et portant un sac de jute où est enfermé un oiseau de proie qu’il va libérer au bon moment pour distraire les gardes avant de les poignarder. Et puis il s’enfonce dans le no man’s land. Décrit par Luc Baranger dans son style particulier que j’aime tellement : « Les X des chevaux de frise lui évoquèrent de curieuses croix de guingois plantés au petit bonheur la chance par des fossoyeurs peu scrupuleux. S’égratignant déjà les coudes et les genoux sur la caillasse et traînant son sac de jute où l’oiseau bringuebalait, il se laissa aspirer par le premier cratère d’obus. Il y glissa comme une goutte d’huile dans un entonnoir. Il escalada le côté opposé. Epousant le sol, avec l’agilité d’un reptile il continua à ramper en direction de tranchées qu’il savait peu gardées. La brise peinait à gommer l’épouvantable odeur de bidoche en décomposition. De temps à autre, un croquenot, une crosse de fusil, la visière d’un casque, une main carbonisée, tendue vers on ne savait quoi, une tête de cheval ou celle d’un biffin, les yeux déjà dévorés par les rats, émergeaient du sol. C’était toujours les dents, qui reflétaient le peu de lumière, que Dull apercevait en premier… » (page 90).
Arrivé à proximité de la tranchée ennemie, il pose son sac, enlève la ficelle qui le tient fermé, l’oiseau s’agite, ce qui incite les deux gardes allemands qui conversaient tranquillement, à se lever, avoir un moment de recul quand Dull enfonce le couteau dans le premier Allemand, puis tout de suite dans le second complètement paniqué à la vue, en pleine guerre moderne, d’un Indien quasiment nu, badigeonné de suif et armé d’une lame d’acier de six pouces ! Alors, avant de continuer, Dull scalpe les deux hommes. A la fois pour compléter la collection particulière de son général que pour semer la panique dans l’armée allemande !
C’est sa grand-mère, nous apprend Luc Baranger, qui a appris la technique à Dull. Car chez les Indiens des plaines, ce sont souvent les femmes qui s’occupaient de cette tâche. « Si autrefois on utilisait une pierre taillée, depuis l’arrivée des Wasichus (les Blancs) la technique consistait à promener une lame d’acier aiguisée d’une oreille à l’autre en passant par le front de la victime, …de glisser les doigts sous le bord de l’entaille, de serrer la peau solidement et enfin de tirer un coup sec ». « Après », disait grand-mère, « il reste plus qu’à trancher le dernier lambeau de peau à l’arrière du crâne ». Moi cela m’amuse, parce que je me souviens que Richard Burton, explorateur, ethnologue et traducteur des Mille et une Nuits, auquel je me suis longtemps intéressé, justement à propos des Nuits, a décrit cette technique, rarement évoquée ailleurs, dans une note intitulée Notes on scalping et reprise par son biographe N. M. Penzer dans un ouvrage intitulé : Selected Papers on Anthropology, Travel and Exploration by Sir Richard Burton (Edit. A. M. Philpot Ltd, Londres, 1924) et repris dans ma liste 28 : Les Mille et une Nuits. On saisit la tresse de cheveux avec sa main gauche, puis on fait deux incisions avec la main droite, explique Burton, puis on tire la tresse avec ses deux mains, en s’appuyant des pieds sur l’épaule de la victime. Quand le scalp se détache cela fait un bruit comme un « flop », m’a-t-on dit, ajoute-t-il. En fait ce passage est tiré de tout un chapitre dédié aux Sioux inclus dans son livre sur les Mormons (The City of the Saints and Across the Rocky Mountains to California by Richard F. Burton, Frontier Library, Eye and Spottiswoode, 1964. Voir ma Liste 51 : Religions et Mythes). Je viens de le relire et, tout en notant que certains aspects semblent correspondre à la réalité (comme par exemple la langue sioux et la langue des signes des Indiens des Plaines), je suis plutôt déçu par Burton qui semble ici plein de certaines idées racistes du début du XIXème siècle. Même s’il critique malgré tout l’incapacité du Gouvernement américain de protéger les Indiens et prédit leur disparition programmée. Fawn Brodie, l’ancienne Mormonne qui est l’auteure d’un livre célèbre sur le créateur de la secte ainsi que d’une excellente biographie de Burton (qui se trouve également dans ma bibliothèque) (voir mon Bloc-notes 2018 : Les Mormons, les religions et l’Amérique), mentionne dans sa préface à la Cité des Saints un poème de Burton, publié anonymement et que son imbécile d’épouse a cherché à faire disparaître, intitulé Stone Talk (Λιθοφωνημα). On peut le trouver sur le net. C’est un énorme pamphlet contre la morale victorienne et le colonialisme impérialiste britannique. Voici les vers consacrés aux Amérindiens :
Of old, the Red Man in the West,
How different his lot, how blest,
How happy in his wigwam home !
By Saxon’s poisonous pox and rum
Now what a vile and ruined race !
A few years more its every trace
Will vanish clear from Earth’s fair face,
Except in books and by-gone tales
Of squaws, scalps, tomahawks, and trails.
Inutile de tout traduire, il me semble. Comme il était heureux l’homme rouge de l’ouest, dans son wigwam, avant que le Saxon ne l’empoisonne avec son rhum et sa variole, ruinant sa race et le faisant bientôt disparaître de la surface de la terre et ne survivre que dans les livres par quelques noms : sqaws, scalps, tomahawks et pistes !
Mais revenons à Dull. Après avoir trucidé les deux gardes, il entre dans la tente des deux officiers, poignarde le plus gros, plus difficile à ramener, puis oblige l’autre, plutôt paniqué, à l’accompagner jusqu’à la tranchée américaine et le livre aux autorités compétentes.
Et puis on passe à une autre époque. A partir de la page 177 on revient à l’enfance et à la vie antérieure de Dull, et, en même temps, à une certaine histoire particulièrement tragique du peuple sioux. L’enfant miraculeusement sauvé de Wounded Knee est élevé par ses grands-parents dont Luc Baranger fait un portrait touchant. Ils vivent sur un petit lopin de terre qu’on leur a attribué, essayent de faire pousser un peu de maïs, mais sans grand succès. Des fonctionnaires du Bureau des Affaires indiennes viennent expliquer au grand-père « comment devenir fermier en deux coups de fourche à fumier, comme si des nomades qui vivaient de chasse, de pêche et de cueillette depuis la nuit des temps pouvaient subitement acquérir les rudiments de l’agriculture en quelques leçons ou dans des manuels qu’ils étaient incapables de lire », écrit l’auteur (page 219). Ceci est vrai pour tous les Indiens des Plaines. Tous vivaient sur ces mêmes ressources. Leur garde-manger c’était le bison. Et c’est bien pour les détruire ou les réduire à merci qu’on a massacré les troupeaux. Le grand-père essaye malgré tout de faire passer encore un peu de l’ancienne culture sioux à son petit-fils, ses légendes, son histoire aussi. C’est ainsi qu’on saura tout, dans le moindre détail de la victoire de Little Big Horn sur Custer et le 7ème de Cavalerie (page 187), mais aussi du massacre de Wounded Knee (page 202). Je ne sais plus qui a dit, Matthiessen peut-être ou Dee Brown (voir ma note qui suit : Les Indiens dans ma Bibliothèque), que pour les Blancs toute victoire des Indiens était un massacre et tout massacre par les Blancs (Sand Creek en 1868 avant Wounded Knee en 1890) était une victoire ou un incident. Sauf que ceux que les Indiens tuaient jusqu’au dernier étaient des soldats qui les avaient attaqués et que les victimes des Blancs étaient en général des Indiens désarmés et des femmes et des enfants.
Malgré les difficultés Dull passe une enfance heureuse avec ses grands-parents quand un nouveau danger apparaît : des cavaliers noirs parcourent la plaine à la recherche d’enfants indiens à enlever pour les mettre dans des écoles lointaines à l’Est et en faire des Blancs (page 234) ! « Conscient que tant qu’ils resteraient au contact des leurs on n’en ferait que de la graine de renégats, dès la fin des années 1880, l’Etat, soutenu par des initiatives privées, avait créé des internats, doux euphémisme de bagnes d’enfants à l’usage exclusif des jeunes Indiens », écrit Luc Baranger. « La plus célèbre de ces institutions était celle de Carlisle, en Pennsylvanie. Là-bas, on avait commencé par la désindianisation de la descendance des chefs Red Cloud et Spotted Tail ». Red Cloud (comme Spotted Tail) était un personnage historique. D’ailleurs Curtis l’a photographié : la preuve.
On en parlera. Et l’auteur continue : « Tout devait être mis en œuvre pour que les enfants perdent culture, langue et traditions, jusqu’au souvenir de leurs grands-pères, héros des guerres contre les Wasichus (les Blancs). La déculturation par l’école, à coups de chapelets de je-vous-salue-Marie, de sévices sexuels et corporels, de lit fait au cordeau, de corvées, de claques dans les tympans, de suspensions par les poignets des nuits entières, de punitions par le fouet pouvant aller jusqu’à la mort, le nommé Pratt, ancien militaire l’avait rêvée, et des âmes charitables du gouvernement fédéral avaient exaucé son souhait avec la bénédiction du clergé ». Je ne sais pas s’il y avait des sévices sexuels, Luc Baranger ayant vécu longtemps au Québec, était peut-être influencé par certains scandales récents, mais sur le fond il avait probablement raison. J’ai dans ma bibliothèque le livre du fils d’un chef Sioux important, Standing Bear, devenu chef lui-même, voir : My people, the Sioux by Luther Standing Bear, Houghton Mifflin Company, The Riverside Press Cambridge, 1928, (un livre que je vais encore commenter en détail dans ma note : Les Indiens dans ma Bibliothèque). Celui-ci a été un des tout premiers élèves de l’école de Carlisle, il a été volontaire et son père était d’accord, et il témoigne dans son livre qu’effectivement on a essayé de les désindianiser, couper les cheveux, habiller en blancs, interdire de parler indien et les faire participer à l’école du dimanche dans une école protestante. Il confirme également que le capitaine Pratt était un homme dur et autoritaire, même si Luther Standing Bear semble avoir réussi à nouer des liens d’amitié avec lui (dans son livre il reproduit une photo dédicacée de Pratt, devenu général, avec son épouse, datant de 1914). Et il témoigne aussi de l’effarant taux de mortalité parmi les élèves, mentionné également par Luc Baranger, dû essentiellement aux maladies européennes contre lesquelles les Indiens n’étaient pas protégés. Mais il faut aussi se mettre à la place des chefs indiens de l’époque, me semble-t-il. On ne peut pas dire que Standing Bear, comme probablement Red Cloud et Spotted Tail, étaient des traîtres à la cause indienne. Ils étaient suffisamment intelligents pour comprendre qu’ils ne pouvaient plus résister aux Blancs. Dans le livre de Luther on entend à plusieurs reprises son père, visitant l’Est, dire à son fils : ils sont de plus en plus nombreux, comme des mouches, on est foutus, il faut donc, mon fils, que tu apprennes leur langue et que tu comprennes leur façon de faire. Comprendre ne veut pas dire adopter. C’est trouver le moyen de se défendre.
En tout cas, le grand-père de Dull, devant le danger, décide d’emmener son petit-fils, bien que cela lui fende le cœur, au Canada, chez un autre personnage historique, admiré par Luc Baranger, le Franco-Canadien Légaré (page 245). Un homme qui a reçu et nourri pendant 5 années Sitting Bull et ses 4000 Sioux alors qu’ils fuyaient l’armée américaine après leur victoire contre Custer. « Un homme providentiel qui sut les nourrir, les vêtir et négocier avec Washington, lui qui n’était que québécois, leur retour pacifique aux Etats-Unis », écrit-il dans le synoptique de son roman qu’il m’avait fait parvenir. C’est là que Dull arrive alors qu’il n’a même pas 8 ans, sera adopté par une famille de métis, va être scolarisé et apprend le français et l’anglais. Plus tard son oncle le reprend avec lui faire l’Indien dans le grand cirque de Buffalo Bill. Plus tard encore il s’engage dans l’armée américaine au Mexique avant de partir faire la guerre en France, avec un seul but : venger Wounded Knee en plongeant son Bowie-knife dans le ventre de Pershing. Mais il n’y arrivera pas, trouve une femme en France à laquelle il fera un enfant et, bien plus tard, sera rejoint par son petit-fils quand il sera en train de mourir à Wounded Knee, un Wounded Knee II, en 1973, lorsque c’est le FBI qui assiégera une troupe d’Indiens cette fois-ci, pendant 72 jours. C’est ainsi que la boucle est bouclée car, comme le dit encore Luc Baranger dans son synoptique, « la notion de cercle était primordiale chez les Premières Nations ».
J’ai beaucoup aimé le roman de Luc Baranger. D’abord parce qu’il est très agréable à lire. Baranger est un véritable écrivain. Son style est élégant et très plaisamment traversé de temps en temps de quelques traits satiriques. Et puis il éprouve une sincère passion pour le peuple sioux et son sort. Ce qui donne à réfléchir. J’en ai profité pour ressortir tous les livres de ma Bibliothèque qui en parlent des Indiens, de leur folklore, de leur culture, mais surtout de leur histoire bien malheureuse. On ne peut s’empêcher d’y penser, se demander si une autre histoire aurait été possible. Pourquoi, comme le dit Richard Burton, le gouvernement n’a pas été capable de les protéger. Le pouvait-on ? J’ai lu quelque part, je ne sais plus où, que le drame indien était d’abord le résultat d’une rencontre. Rencontre entre deux mondes, deux cultures, deux façons de voir, deux intérêts surtout. Et j’avais pensé que cela les consolera, les Indiens, de savoir que leur malheur est dû simplement à une « rencontre » ! Moi je crois surtout que Malcolm X avait raison de dire que la démocratie américaine – la nôtre aussi d’ailleurs – est avant tout une hypocrisie. Etymologiquement parlant c’est le pouvoir du peuple. Ce qui n’a rien d’éthique en soi. Le Gouvernement américain a agi selon les désirs des Américains. De quel droit a-t-on déplacé les Cherokees et les Crees de Géorgie qui avaient déjà une économie avancée, de quel droit les a-t-on privés de leurs terres et renvoyés au-delà du Mississippi ? De quel droit a-t-on exterminé les bisons ? De quel droit a-t-on poussé tous les Indiens de plus en plus vers l’ouest, leur enlevant de plus en plus de terres, leur laissant des terres de plus en plus arides ? Et de quel droit est-ce qu’on continue encore aujourd’hui à prendre leurs terres ou à les polluer en cherchant à exploiter charbon, uranium, pétrole et gaz ? La démocratie n’est digne d’être admirée que lorsqu’elle est basée sur des principes moraux et que ces principes peuvent être défendus par une justice indépendante et une presse libre. Et c'est encore vrai aujourd'hui...
Post-scriptum (1er septembre 2023) : Pershing a bien participé au drame de Wounded Knee. Luc Baranger m'a envoyé un mail après avoir lu ma note et m'a redirigé vers le site historique de l'Etat de Nebraska. On y trouve la biographie de Pershing et tous les détails de sa carrière militaire. Où l'on confirme d'abord qu'il a participé à la guerre contre les Sioux Dakotas en 1991/92 et aussi à ce que le site appelle "la bataille de Wounded Knee" et qui, en fait, n'était rien d'autre qu'un vulgaire massacre !