Turing et les androïdes
Il y a un écrivain de science-fiction que j’admire énormément, c’est Philip K. Dick. J’en parle longuement au Tome 2 de mon Voyage dans une note intitulée : science-fiction et fantastique. Or il se trouve que Dick a été l’un des premiers à mettre en scène des robots tellement perfectionnés qu’ils ressemblent à des humains, des androïdes. Ils sont même tellement perfectionnés que l’on n’arrive plus à les distinguer des humains. Un de ses romans des années 60, intitulé Do Androïds dream of electric sheep?, a été porté à l’écran sous le nom de Blade Runner (d’où le titre de la plus récente traduction française). Les fabricants, ai-je raconté dans ma note, sortent des modèles de plus en plus perfectionnés. Certains s’échappent et vont vivre une vie indépendante. Il faut les éliminer. C’est le rôle des Blade Runners. Oui, mais comment les reconnaître? Comment éviter une bavure? La belle Rachel p. ex., femme ou androïde? Et c’est là, ai-je ajouté, qu’intervient le mathématicien Turing qui a, heureusement, étudié le problème et inventé le test qui porte son nom et qui permet de distinguer l’homme de l’androïde: un test basé sur l’empathie (c'est-à-dire la faculté de ressentir).
Je ne savais pas alors qui était ce fameux Turing. Je viens seulement de l’apprendre. Parce que le 10 septembre dernier Gordon Brown a présenté, au nom de son gouvernement, ses excuses pour « le traitement effroyable » que son pays lui avait réservé. Car Alan Turing était homosexuel et avait été condamné en 1952 à deux ans d’emprisonnement et à un traitement aux hormones qui revenait à une castration chimique (c’est Le Monde du 15 octobre 2009 qui raconte l’histoire). Alors, en sortant de prison, deux ans plus tard, Alan Turing s’est suicidé en croquant, comme Blanche Neige, une pomme trempée dans du cyanure.
Or Turing était un génie en mathématiques, avait étudié à Cambridge en Angleterre et à Princeton aux Etats-Unis quand Einstein y enseignait encore, a été un des pères de l’informatique, dit Le Monde, co-inventeur de l’ordinateur et véritable visionnaire de l’intelligence artificielle. Et son plus grand titre de gloire a été d’avoir construit, en 1939, une machine capable de briser le secret d’une autre machine tout aussi formidable, celle qui gère le fameux système de codage Enigma de l’Allemagne nazie. C’était simple : juste une incroyable puissance de calcul. Et sa machine faisait tourner plusieurs centaines de milliards de clés possibles jusqu’à trouver un message qui ait du sens. Ce qui finit par se réaliser en 1941. Il suffit alors de quelques heures pour décrypter toutes les communications de l’Etat-major allemand. « Il n’est pas exagéré d’affirmer », aurait dit Gordon Brown, « que, sans sa contribution exceptionnelle, l’histoire de la guerre mondiale aurait pu être très différente ». Turing avait postulé l’existence théorique d’une machine programmable, capable de faire, à des vitesses vertigineuses, toutes sortes de calcul. C’est la première affirmation, dit encore Le Monde, qu’une machine « peut effectuer toutes sortes de tâches à condition d’être programmée pour cela. Elle porte aussi l’intuition que des mécanismes peuvent se montrer aussi intelligents que l’homme s’ils reproduisent son activité mentale ». Je suppose que c’est là qu’est intervenue sa théorie que les auteurs de science-fiction ont appelée Loi de Turing. Alors est-ce possible ? C’est l’empathie qui ferait la différence entre un homme et une machine ? Il faut croire alors que ceux qui l’ont condamné étaient des machines…
Il faudra que je tire l’affaire au clair. En lisant le livre de son biographe : Andrew Hodges : Alan Turing et l’énigme de l’intelligence, édit. Payot, 1998.
PS : On raconte, mais c’est paraît-il faux, ce serait pourtant une jolie légende, que Apple aurait choisi son logo, une pomme croquée à moitié, en hommage à l’informaticien de génie suicidé.
PS-2 (décembre 2013): Quatre ans après les excuses de Mister Brown, voilà qu'on accorde la grâce royale posthume à Alan Turing. Cela lui fera une belle jambe dans son tombeau!