Le Bloc-notes
de Jean-Claude Trutt

Suicide assisté (2)

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Nouvelle prise de position aujourd’hui dans Le Monde (il y en aura encore beaucoup d’autres) sur la question de l’ «euthanasie» par le Médiateur de la République, Jean-Paul Delavoye. Une fois de plus on a affaire à quelqu’un qui cherche à louvoyer. «La question de la fin de vie ne peut se résumer à une réponse binaire», dit-il. Droit sacré à la vie, d’un côté, droit à mourir dans la dignité, de l’autre. Il pose pourtant la bonne question : «ne peut-on pas se prévaloir d’un droit, dont est titulaire chaque individu, de disposer librement de son corps ?» Et donc de disposer de sa vie ? Mais sa conclusion est bien décevante. «Ne pourrait-on pas déclarer pénalement irresponsable, compte tenu d’un état de nécessité ou de contrainte que des circonstances particulières pourraient justifier, toute personne conduite à procéder à une euthanasie active ?» Et il rappelle la fameuse définition de l’exception d’euthanasie telle qu’elle était contenue dans l’avis donné en 2000 par le Comité consultatif d’Ethique. Une exception juridique qui est «la latitude accordée de mettre fin à toute poursuite judiciaire…». Quelle garantie pour le médecin ? D’autant plus que l’on ajoute : «en fonction des circonstances… pour les cas où la douleur n’est pas maîtrisée…» On tourne en rond. On tourne autour du pot.
Si je mentionne néanmoins cet article c’est que M. Delavoye dit quelque chose d’intéressant et qui m’interpelle. Il constate d’abord que «notre société, empreinte d’une morale essentiellement chrétienne, ne laisse aucune place à la légitimité d’un droit à mourir». Et il ajoute aussitôt : «La maxime : tu ne tueras point… ne permet pas non plus d’obtenir une aide extérieure…». Je ne sais pas si notre société est toujours empreinte d’une morale essentiellement chrétienne, mais ceux qui nous représentent, en particulier dans ces comités d’éthique, le sont indéniablement. Mais en réalité ce n’est pas le 4ème commandement qui est en cause. L’Eglise a toujours composé avec les nécessités de la Société, la guerre, la peine capitale, et elle-même, à une certaine époque, n’a pas hésité à envoyer les hérétiques au bûcher (et je ne parle même pas du coupable silence de Pie XII devant le génocide juif). La raison est ailleurs. Et curieusement c’est en discutant avec mon ami Ghozzi, propriétaire de la librairie arabe Abencérage, Boulevard Montparnasse, que la vérité m’est brusquement apparue. Je ne sais plus pourquoi j’ai parlé du problème, peut-être parce que cela devient pour moi une idée fixe, et puis j’ai posé la question à l’un de ses amis qui était assis à son bureau et qui nous écoutait : Au fait, que dit l’Islam de ce problème ? Ah, l’Islam interdit le suicide formellement, s’est-il aussitôt exclamé. Oui, me suis-je dit en moi-même, sauf si c’est pour la bonne cause. Et tout haut : oui, bien sûr : tous les monothéismes sont pareils. C’est Dieu qui nous a donné la vie. Il n’y a que lui qui peut nous la reprendre ! Se la prendre soi-même est un sacrilège !
Et voilà pourquoi on n’est pas prêts de disposer du suicide assisté en France. Il faut croire que la morale chrétienne imprègne plus la France, ex-fille aînée de l’Eglise, que la Suisse, la Belgique et la Hollande. Je suis curieux de voir ce qui va se passer ici au Luxembourg. La loi sur le suicide assisté est passée avec une voix de majorité (celle d’une courageuse députée du parti chrétien) en première lecture. Mais le Conseil d’Etat a fait de la résistance (encore un de ces corps constitués de gardiens de la bonne éthique). Il faut une deuxième lecture qui devrait avoir lieu d’ici deux mois au plus. Entre-temps l’Evêque qui contrôle le principal groupe de presse ici (principal quotidien, plus grande imprimerie, édition, hebdomadaires, stations de radio, 800 salariés) fait sa campagne…