Le Bloc-notes
de Jean-Claude Trutt

Poutine et Zorglub

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Vous vous souvenez probablement de ce qui s’est passé lors de la réunion à Saint Pétersbourg en décembre 2022 des dirigeants des pays qui font partie de la grande Communauté des Etats indépendants liés à la Russie lorsque Poutine a offert à chacun des huit dirigeants un anneau en or, se réservant à lui-même un neuvième. Ce qui a immédiatement fait réagir tous les spécialistes internationaux qui ont tous pensé aux anneaux de la grande épopée de Tolkien (voir Le Monde du 22 décembre 2022). D’ailleurs Poutine s’en est moqué lui-même. Il ne déteste pas, de temps en temps, de passer pour Saurien, le Seigneur du Mal qui veut devenir le Maître du Monde. Les Ukrainiens le savent aussi, eux qui appellent les soldats de Poutine les orques, comme dans le Seigneur des Anneaux. Cela montre également que Poutine n’est pas aussi inculte que certains veulent le croire. S’il n’a pas lu le livre il a au moins vu les films qu’en a tirés le Néo-Zélandais Peter Jackson.
Mais aujourd’hui je peux vous révéler que la culture de Poutine est encore plus étendue que cela. Qu’il est également un grand bédéphile. Admirateur de la BD et des auteurs belges du 9ème Art en général et du plus grand d’entre tous, de Franquin. Et en même temps je suis fier d’avoir enfin réussi à percer un secret que personne n’avait réussi à percer à ce jour. La signification de ce Z qu’on a vu apparaître dès les premiers jours de l’invasion sur les blindés et les camions russes. C’est grâce à ma fille qui vient de m’apporter à Luxembourg un livre qui avait paru en décembre, juste avant Noël, mais avait aussitôt disparu de toutes les librairies, la réédition des fameux entretiens entre Franquin et le grand spécialiste de la BD, Numa Sadoul, intitulés Et Franquin créa la gaffe (Glénat, 2022) et publiés une première fois en 1986. Et c’est en parcourant cet énorme bouquin de près de 500 pages, abondamment illustré, qui pèse des kilos et que ma fille a déniché, grâce à l’internet, chez un libraire paumé quelque part dans le département de l’Oise, que l’évidence m’a soudain frappé. J’aurais d’ailleurs dû m’en rendre compte bien plus tôt puisque je connaissais parfaitement ces deux albums de Franquin : Z comme Zorglub et l’Ombre du Z :


Mais c’est quand j’ai découvert que Zorglub, déjà, décorait d’un Z ses camions, ses fusées, et ses Coléoptères (esquisses de drones) que le déclic s’est fait et que j’ai tout compris : Poutine se mettait à la place de Zorglub ! Poutine se prenait pour Zorglub.



Cela devient encore plus évident quand on découvre cette case de la dernière aventure de Spirou dessinée par Franquin, Panade à Champignac, où l’un des derniers fidèles de ce Zorglub, que le savant Comte de Champignac avait neutralisé et rendu à l’enfance, cherche à sauver son Maître et finit par le ramener dans son repaire. Et là vous voyez bien : le Z est partout, au mur, sur une petite figurine de fusée, sur un modèle réduit de drone pendu au plafond et même sur la tunique du soldat fidèle dont le costume est en aussi piteux état que les uniformes des soldats de Poutine…


Je sais bien que beaucoup de grands spécialistes de la Russie, de grands experts poutinologues, ont essayé de résoudre l’énigme de ces fameux Z qui ont accompagné l’invasion de l’Ukraine. On a dit que cela symbolisait le mot Zapad qui veut dire Ouest en russe. L’expansion vers l’Ouest de l’Empire russe, la guerre contre l’Occident. D’autres ont parlé de za pobedy, qui signifie vers la victoire. D’autres encore ont prétendu que cela signifiait sus à Zelensky, l’homme qui empêchait une conquête rapide et dont il fallait tordre le cou. Un plaisantin a même pensé à un hommage à notre Zemmour qui avait soutenu Poutine lors de l’élection présidentielle française. Ridicule tout cela. Non, la seule explication valable c’est la mienne. Et je suis bien content de pouvoir contribuer à mieux faire comprendre ce qui se passe dans la tête de cet homme redoutable. Grâce à la psychologie de Zorglub que Franquin et son ami Sadoul analysent finement dans leurs entretiens.
« Il a des tendances dominatrices affirmées. C’est un dictateur dans l’âme », dit Franquin lorsque les deux amis commencent à évoquer le personnage de Zorglub. Mais, dit Sadoul, « sa soif de puissance est peut-être le fruit d’une jeunesse malheureuse, incomprise. C’est un revanchard qui veut faire payer ce qu’il a subi ». « Peut-être », répond Franquin, « mais cela entraîne chez lui un goût du commandement, une mégalomanie galopante ». « Il rate ce qu’il fait. Mais chaque fois qu’il rate quelque chose, il se vexe et rumine d’autres sombres revanches ». Et Franquin cite Zorglub lui-même : « J’ai réuni une puissance scientifique qui m’assure dorénavant la propriété de toutes les planètes du système solaire ! ». Et lorsqu’il a inventé la zorglonde, cette arme secrète qui permet de transformer tous les êtres vivants en statues inanimées, il va s’en servir.


Comme Poutine qui a hérité de tous ces poisons, ces armes chimiques et toutes ces bombes atomiques de l’ancien Empire soviétique, étant ce qu’il est, il est normal qu’il veuille s’en servir…