Panama Papers. Ha, ha, je ris...
Une véritable onde de choc, ces Panama Papers. Le Monde sort ses révélations jour après jour. C’est le suspense. Quant au monde politique, il fait l’étonné, le scandalisé. Il ne savait pas. Les medias non plus. Ils ne savaient pas. Elise Lucet sur France 2 s’y engouffre à son tour. Je l’aime bien, Elise, mais vouloir entrer à tout prix chez l’avocat associé de Sarko ou chez Balkany, c’est pas très sérieux. Tout le monde sait qu’ils ne vont pas lui ouvrir leurs portes. C’est pas ainsi que l’on fait de l’investigation. Voyons.
Moi, vous m’excuserez, mais tout cela me fait un peu rigoler. J’ai découvert les holdings un peu spéciaux dès mon arrivée au Luxembourg en 1970. Parmi les actionnaires de la société que j’étais venu diriger il y avait un de ces holdings luxembourgeois : à l’époque on utilisait un holding dit de 1929, qui pouvait recevoir des dividendes sans être imposé sur les bénéfices, et le secret bancaire était total. L’inspecteur du fisc luxembourgeois s’arrachait les cheveux, n’arrêtant pas de demander si l’un ou l’autre ou les deux fondateurs de l’entreprise, des Français, n’étaient pas derrière ce holding mystérieux. J’étais désolé pour lui mais ne pouvais lui fournir la réponse à ses interrogations. D’ailleurs le mystérieux holding luxembourgeois, et d’autres holdings, du Liechtenstein, par exemple, se trouvaient comme par hasard parmi les actionnaires de nos filiales dans le monde. Et un holding liechtensteinois recevait les royalties pour les brevets de nos produits. Et quand les brevets étaient tombés dans le public on payait pour les marques. C’est très commode, les marques. Un brevet a une durée de vie limitée, 18 ans en moyenne, alors qu’une marque vous pouvez la renouveler tous les dix ans, ad vitam aeternam. Et que devenait tout cet argent ? Il passait sur les comptes anonymes des heureux propriétaires ou bénéficiaires, comme on dit, des holdings en question.
Je peux raconter tout cela aujourd’hui. Les acteurs de cette aventure sont morts et les faits prescrits. Comme sont ceux de 1982/83 lorsque nos actionnaires ont vendu leur groupe à un groupe français concurrent dont le propriétaire français a profité de ce que l’on appelle de « l’ingénierie financière », échafaudée par un cabinet d’expertise comptable luxembourgeois qui lui permettait, croyait-il, d’acheter le tout sans y mettre un sou de sa poche. Pour cela il créait un holding au Luxembourg qui achetait à terme notre groupe et le revendait aussitôt à la société française et, partiellement, à notre société luxembourgeoise, en augmentant au passage, pour les risques éventuels et surtout sa propre poche, le prix de 20% et en demandant aux sociétés acheteuses de payer au holding un intérêt de 17% ! Pour parachever l’opération il demandait un crédit à la Société Générale et au Crédit National et l’entrée au capital de la société française d’une Société de Développement régionale, le Champex, une entité qui n’existe plus non plus aujourd’hui. Entrée très minoritaire mais qui constitua le seul argent frais instillé dans cette opération. J’aurais pu partir à l’époque mais j’avais la rage et ne voulais pas abandonner le navire et ses malheureux matelots. De toute façon, un an après, ce qui devait arriver arrivait. La charge financière enfonçait complètement la société française, et la luxembourgeoise du même coup, et le dépôt de bilan était proche. Et finalement j’ai réussi à sauver le tout avec l’aide du Directeur parisien de la Société Générale, celui de Champex, un « restructureur » et nos anciens actionnaires qui ont accepté de revenir dans le capital. Les Directeurs de la Société Générale et du Champex à qui j’ai donné les détails véritables de l’opération étaient fous furieux mais n’avaient rien vu et avaient approuvé toute l’opération, comme l’avait fait le Crédit National. Et le fisc français n’avait posé aucune question…
Il faut dire qu’à l’époque le secret bancaire était absolu au Luxembourg. On l’avait même renforcé avec une loi. Tout le monde pouvait ouvrir un compte anonyme. Il y a même un de nos ouvriers, un Italien, qui m’a avoué en avoir un. Et sur ce plan-là le Luxembourg allait plus loin que la Suisse car je ne pense pas qu’un citoyen helvétique pouvait ouvrir un compte numéroté dans une Banque suisse en Suisse. Les Banquiers suisses, je le crois du moins, respectaient trop leur législation, leur Gouvernement et leur fisc pour s’aventurer sur ces voies-là. Ce n’est qu’au cours des années 90 que les banquiers luxembourgeois ont commencé à se soucier sérieusement des bénéficiaires de leurs comptes, ayant une peur bleue de se faire accuser d’avoir de l’argent noir, vraiment noir, dans leurs coffres : drogue, crime organisé, maffias de toutes sortes.
Je me souviens aussi qu’à l’époque, ils ne croyaient pas qu’un jour on puisse toucher au secret bancaire. Je me rappelle une conversation que j’avais eue avec le Directeur de Paribas dans son bureau de sa belle et ancienne villa du Boulevard Royal (la dernière qui y subsiste encore). On commençait à parler d’échange d’informations ou, au moins, imposition à la source des revenus financiers des non-résidents. Je lui disais qu’il faudra bien y passer un jour, que le Parlement européen pourrait s’y intéresser. Jamais, m’a-t-il dit, jamais cela n’arrivera ici. Car si cela arrivait – et il me montrait par la fenêtre les locaux de la Deutsche Bank – toutes les Banques (il y en avait à l’époque pas loin de 200) quitteraient aussitôt le pays.
Et puis c’est arrivé quand même. Je ne me souviens plus quand exactement (mais cela n’a guère d’importance) on est arrivé à un accord entre pays de l’Union européenne. Echange automatique des infos sur les avoirs des résidents européens. Seuls trois pays n’ont pas voulu transiger sur le secret bancaire : Autriche, Belgique et Luxembourg. En compensation ils s’engageaient à taxer les revenus financiers des avoirs des non-résidents en plusieurs étapes : d’abord 15%, puis 20, enfin 30%. En rétrocédant les deux tiers au pays du non-résident et en gardant un tiers pour le pays de la Banque. Un accord qui faisait un beau cadeau au Luxembourg et aux deux autres pays récalcitrants et, bien sûr, aux non-résidents tricheurs en question puisque la taxation ne concernait que les revenus financiers et qu’ils échappaient par ailleurs à la taxation de tous autres revenus et, surtout, à l’ISF et aux impôts sur les successions. Et, en plus, le Luxembourg mettait comme conditio sine qua non pour la mise en œuvre de l’accord que la Suisse s’y associe. « Sinon », disaient-ils ici, « tous nos clients vont partir chez les gnomes de Zurich ! » Mais on allait très vite s’apercevoir que, de toute façon, toute l’opération n’était qu’un coup de bâton dans l’eau : l’accord ne concernait que les personnes physiques et non les personnes morales et très vite les banquiers, surtout suisses, offraient à leurs clients de se cacher, s’ils ne l’avaient pas déjà fait, derrière une de ces fameuses « sociétés-écrans » dont on parle tant dans les Panama Papers. Quand j’ai appris cela j’ai demandé à mes collègues Conseillers du Commerce Extérieur qui étaient banquiers ou avocats : « Dites-moi, les Ministres des Finances qui ont fait cet accord, ne savaient-ils pas qu’en laissant les personnes morales (morales si on peut dire !) en-dehors de l’accord, tout le monde créerait des sociétés-écrans ? Sont-ils incompétents ou hypocrites ? ». Ils me regardaient d’un air amusé. Avec un peu de commisération, m’a-t-il semblé.
Et puis, finalement, on y est arrivé quand même, à l’échange automatique des informations fiscales. Pour les personnes physiques comme pour celles qui sont cachées derrière des personnes morales. Depuis plusieurs années déjà il n’est plus possible d’ouvrir un compte anonyme au Luxembourg. Pour ce qui est des Français non-résidents la Banque luxembourgeoise fournit, depuis le début de cette année, toutes les données, avec les calculs, directement au fisc français. Et la Suisse va suivre d’ici un ou deux ans. Et les Banques suisses ont déjà mis à la porte, assez cavalièrement d’ailleurs, tous les moutons noirs français (et autres Européens). Alors, peut-être les Ministres des Finances européens ont-ils eu raison de signer d’abord des accords imparfaits. Peut-être ne pouvait-on y parvenir qu’en y allant par étapes. Il n’empêche : ils auraient pu informer le citoyen. Et s’attaquer au problème bien plus tôt.
D’ailleurs si je vous raconte toute cette histoire c’est essentiellement pour deux raisons. D’abord pour dire que tout ce que l’on découvre aujourd’hui existe déjà depuis fort longtemps. Bien sûr cela n’avait pas pris les mêmes proportions. Ceux qui pouvaient en profiter n’étaient de loin pas aussi nombreux, il fallait être initié, connaître des banquiers, l’échelle n’était pas la même. C’était même un peu folklorique : les Belges venaient au Luxembourg « toucher leurs coupons », coupons de leurs actions au porteur, donc anonymes, les Français mettaient leur argent en Suisse et la Suisse était fière de servir de coffre-fort à toute l’Europe. Et puis ce fut l’explosion de la Finance, celle de la Bourse, les riches et les super-riches devenant de plus en plus riches (pas étonnant avec des rendements de 20%), la libération de la circulation mondiale des capitaux, les montants en circulation de plus en plus colossaux et la multiplication des services financiers des trois catégories sans lesquels « l’optimisation fiscale » aurait été impossible : avocats d’affaires et leurs fiscalistes (le Bureau d’avocats avec lequel je travaillais en 1970 occupe aujourd’hui plusieurs centaines d’employés), experts-comptables et leurs services fiscalistes et, bien sûr, les Banques.
Et l’autre raison ? C’est que je voulais également montrer que les hommes politiques, pendant trop longtemps, n’ont pas bougé. Et que les journalistes n’ont pas fait leur travail. C’est seulement quand ils ont commencé à se rendre compte de l’énormité de la chose et commencé à craindre que le scandale allait éclater qu’ils ont décidé d’intervenir. Et d’abord au niveau du G20. Et sous la pression des Américains.
Parlons d’ailleurs de l’Amérique. L’administration fiscale américaine a toujours été bien plus puissante que nos fiscs à nous (peut-être parce que c’était leur seul moyen pour s’attaquer à la Maffia). J’étais à Dubaï lorsque les Etats-Unis ont décidé soudain d’imposer les revenus des Américains expatriés et je me souviens de l’Américain que j’y avais rencontré et qui était complètement effondré (il n’y a pas d’impôt sur le revenu à Dubaï), mais qui ne songeait pas une minute à s’y soustraire. « J’ai trop peur », m’a-t-il dit, « que si je ne déclare pas mes revenus au fisc américain je ne pourrai plus rentrer au pays ». Et je me souviens qu’à une certaine époque certains grands Etats comme la Californie voulaient imposer les Sociétés étrangères qui y étaient implantées sur leurs bénéfices globaux au pro-rata des chiffres d’affaires (ou salaires ou loyers, etc.) dans l’Etat en question et dans le monde. Il a fallu que Washington y mette le holà, ayant trop peur d’une action réciproque des Etats étrangers (j’ai pourtant l’impression que l’Europe envisage une procédure comparable pour coincer certains grands groupes multinationaux, surtout ceux du net, voir Le Monde des 10/11 avril 2016 : Bruxelles veut plus de transparence). Je me souviens aussi que lorsqu’à la suggestion de mon Président de l’époque j’avais pris une petite part dans notre filiale américaine (500 Dollars) j’ai découvert avec étonnement que le jour où notre filiale a payé un dividende, l’administration américaine l’avait signalé au fisc luxembourgeois et j’ai retrouvé mon dividende dans mon imposition fiscale luxembourgeoise. Et puis, comme vient encore de le signaler Piketty dans un article du Monde (des 10/11 avril 2016) intitulé : L’hypocrisie européenne, le taux d’imposition des bénéfices des sociétés américaines est toujours resté le même, de l’ordre de 40 à 45% (35% d’impôt fédéral et 5 à 10% selon les Etats, d’impôt de l’Etat) alors qu’en Europe c’est la course à la réduction générale de l’imposition des bénéfices. J’en ai encore parlé tout récemment sur mon Bloc-notes, dans Nouvelles du capitalisme financier (05/03/2016). Et depuis lors la Grande-Bretagne a annoncé qu’elle allait encore baisser son taux jusqu’à atteindre 17% ! Comment peut-on accepter que dans notre Union Européenne l’un des plus grands pays membres puisse diminuer à ce point son taux d’imposition des bénéfices ? Alors qu’on ne peut diminuer la TVA sans accord unanime des Etats de l’Union (quand on a voulu diminuer le taux de TVA dans la restauration en France il y a eu blocage pendant plusieurs années. L’Allemagne, en particulier, craignait probablement que tous les Allemands allaient franchir le Rhin pour aller manger dans nos restaurants alsaciens). Thomas Piketty est tout aussi choqué que moi : on va aller où, demande-t-il, on va tous s’aligner sur les 12% de l’Irlande, ou carrément à zéro ? «…la concurrence fiscale exacerbée a atteint de nouveaux sommets en Europe… C’est le morcellement de l’Europe et l’absence d’une puissance publique forte qui nous mettent à la merci des intérêts privés », écrit-il. Aux Etats-Unis on sait encore faire prévaloir la puissance publique de temps en temps : c’est ainsi que le Président Obama vient de réussir à stopper la scandaleuse méga-fusion entre les deux plus grands groupes pharmaceutiques mondiaux (le Viagra et le Botox) que j’ai évoquée dans ma note sur mon Bloc-notes 2015 (3 novembre) : Actualités (Israël, Islam, Finance, etc.). Le groupe américain qui devait absorber l’autre groupe basé en Irlande, mais en inversant l’opération grâce à un montage savant, le faisant apparaître comme un rachat de l’Américain par l’Irlandais, ce qui lui permettait de devenir irlandais et ne plus payer que 12,5% sur ses profits globaux au lieu de 40 ou 45%, s’est fait retoquer, l’inversion devenant illégale (voir Le Monde du 7 avril 2016 : La vengeance du maître de Washington). Il faut dire que cela commençait à bien faire : « en moins de deux ans », dit l’auteur de l’article du Monde, Philippe Escande, « ce sont pas moins d’une dizaine de laboratoires américains qui franchissent l’Atlantique pour l’Irlande ». Et la plupart d’entre elles se sont retrouvées dans Allergan, la cible de Pfizer. Aussitôt la décision d’Obama connue, l’opération a été annulée, ce qui montre bien que le seul objectif de cette méga-fusion était bien la fameuse « optimisation fiscale ».
Enfin, pour finir cette longue parenthèse sur l’Amérique et sa force, rappelons que c’est bien elle qui a réussi à mettre les Suisses à genoux (c’était en 2010), leur imposant, soit de signaler à son administration fiscale chaque résident américain et chaque entité dont le bénéficiaire est américain, soit les imposer à 35% (à verser aux Américains). Sinon les Banques suisses seraient interdites d’exercer aux Etats-Unis. Et la Suisse a obtempéré. Le secret bancaire était entamé. La brèche était ouverte. L’Europe n’avait plus qu’à s’y engouffrer à son tour.
Et puis, pour finir, quid de toutes ces sociétés écrans dont on a si abondamment parlé au cours de la semaine passée ? Parlons d’abord du mot offshore que l’on a utilisé, il me semble, un peu à tort et à travers. Pour moi une société offshore c’était d’abord et avant tout une société située dans un certain pays et dont toute l’activité s’exerçait à l’extérieur de ce pays et qui, si la législation fiscale le prévoyait, n’était guère imposée sur cette activité. C’est ainsi que vous pouviez par exemple ouvrir une société à Hong-Kong, être imposé à 18% sur l’activité à Hong-Kong et à 0% sur toute activité extérieure, dite offshore, par exemple sur vos achats en Chine revendus à l’Europe ou aux Etats-Unis (ce qui vous permettait, si vous en aviez envie, de prendre un bénéfice au passage, non imposé). A l’époque existait également un statut offshore à Londres : il suffisait de vous engager à n’avoir aucune activité en Grande-Bretagne et vous voilà propriétaire d’une société anglaise ayant pignon sur rue, papier à lettres de la City, parfaitement honorable, et ne payant pas un sou d’impôt sur le bénéfice pour toutes vos transactions extérieures.
Ensuite il y a les holdings. En principe un holding est une société qui n’a pas d’autre activité que la gestion de ses actions, donc par exemple la société mère, uniquement financière d’un groupe. Là aussi certains pays offrent des avantages fiscaux particuliers, comme par exemple la non-imposition des dividendes reçus et, ce qui est encore plus important, la non-imposition des plus-values de cession. La Hollande est l’un de ces pays-là. Ce qui explique pourquoi il y a tellement de holdings de grands groupes installés aux Pays-Bas. Mittal par exemple. Lorsque – c’est déjà une très vieille histoire – Renault, société contrôlée entièrement à ce moment-là par l’Etat français, devait reprendre Volvo, le holding Renault-Volvo devait s’installer dans ce pays, comme Alcatel l’était déjà à l’époque. Et comme Air France-KLM l’est aujourd’hui. C’est légal. C’est peut-être justifié, au moins dans certains cas (c’est bien commode de ne pas être imposé pour une plus-value lorsqu’on veut réorganiser la structure d’un groupe). Il n’empêche : cela procède encore une fois de cette choquante concurrence fiscale entre pays de l’Union européenne.
Quant aux sociétés-écrans proprement dites qu’en est-il exactement ? Comment cela fonctionne ? Il faut savoir qu’au Luxembourg comme en Suisse et dans d’autres pays (peut-être même en France, mais si cela existe dans ce pays c’est publique) la législation permet ce que l’on appelle un contrat fiduciaire. Un tel contrat crée une dichotomie entre le bénéficiaire économique, le fiduciant, et le propriétaire légal, le fiduciaire. C’est le fiduciant qui est bénéficiaire des dividendes et de la vente éventuelle des actions (lorsqu’il s’agit d’actions) et c’est le fiduciaire qui, contre rémunération, apparaît publiquement comme le propriétaire légal, exécute fidèlement les volontés du fiduciant et s’engage par exemple, lorsqu’il s’agit des actions d’une société, à voter en Assemblée générale exactement selon les instructions du fiduciant. La fiducie anglo-saxonne (trust) est légèrement différente. En principe. Car il y a division de la propriété en deux : propriétaire économique et propriétaire légal. Mais dans la pratique, que vous preniez une Fondation du Liechtenstein ou un Trust de Jersey, le résultat est le même : le véritable propriétaire a disparu derrière une fiction ! Et, bien sûr, toutes ces sociétés-écrans des îles des Caraïbes ou d’ailleurs fonctionnent toutes selon le même modèle. Et on comprend que les propriétaires de Mossack Fonseca disent qu’ils ont agi en toute légalité. La légalité du Panama !
On aura donc compris que ce sont deux facteurs, et deux seulement, qui ont rendu l’évasion fiscale possible : le secret bancaire et la propriété fictive. Et je suis bien curieux de voir comment les Grands de ce monde vont solutionner ce problème (à suppose qu’ils en aient vraiment envie).
Il faut « mettre en place un registre unifié des titres financiers », dit Thomas Piketty. Le chercheur américain Gabriel Zucman propose, dans Le Monde du 7 avril 2016 (La lutte contre la fraude fiscale est à repenser de fond en comble) de créer un « cadastre immobilier et financier » qui recenserait « les bénéficiaires effectifs des bâtiments, des terrains et des titres financiers européens et américains ». Bonne idée. Mais est-ce faisable ? Pour la Bourse cela ne pourrait se faire que si le reste du monde occidental était prêt à jouer le jeu. Mais pourquoi ne pas le réaliser déjà sur le plan national pour les biens immobiliers ? A Cannes on m’a parlé d’un bien immobilier, propriété d’un holding du Liechtenstein, évalué à une valeur égale plus ou moins au dixième de sa valeur réelle et sur laquelle, me disait-on, puisque le propriétaire réel n’était pas connu, il y avait une imposition forfaitaire (à titre de l’ISF ?) de 3%. Schäuble est lui aussi pour un fichier central des propriétaires réels des entreprises et veut le mettre en ligne à travers le monde. Il veut également supprimer la prescription en matière de fraude fiscale. Pourtant il n’a jamais rien fait pour supprimer les actions au porteur qui sont toujours légales en Allemagne comme elles le sont au Luxembourg. Autre façon de dissimuler les vrais bénéficiaires (puisqu’elles peuvent changer de mains d’une minute à l’autre). Je me souviens avoir eu entre les mains une étude réalisée par une stagiaire de Price Waterhouse ici à Luxembourg, qui montrait tout le danger sur le plan de l’évasion fiscale que l’existence de ce type d’actions représentait David Cameron dont le père Ian a passé sa vie à aider les riches Anglais à fuiter le fisc, grâce à Mossack Fonseca entre autres, promet maintenant de « rendre obligatoire, en juin, l’inscription sur un registre central des propriétaires réels des entreprises britanniques » (voir Le Monde du 7 avril 2016 : David Cameron éclaboussé par le scandale). Il va peut-être aussi s’occuper, enfin, des « dix-sept territoires d’outre-mer de la couronne britannique que Londres a laissé prospérer en plates-formes financières douteuses ». Il serait temps : « pas moins de 950000 compagnies off-shore sont immatriculées aux seules îles Vierges britanniques ». Il faut dire que nous, on ne fait rien non plus pour empêcher Monaco de prospérer de la même manière. Tout ce que l’on a fait (et cela remonte peut-être à de Gaulle) c’est d’interdire à des Nationaux français de profiter de la fiscalité avantageuse de la Principauté (ce qui fait que mon ami libanais, Fouad, qui avait pris la nationalité française après les « événements », lorsqu’il a compris le problème, est parti en Grèce, a acheté un passeport grec – il était de religion grecque orthodoxe – puis a acquis un appartement à Monaco et le tour était joué…). En fait, même les grands Etats ne se soucient que de la fraude fiscale de leurs propres nationaux. Les autres on s’en fout. C’est ainsi qu’on a pu constater lors de l’émission d’Elise Lucet que le Delaware était devenu un incroyable paradis fiscal bourré de sociétés écrans échappant à l’impôt, à condition que les bénéficiaires ne soient pas américains. Je savais que le Delaware présentait certains avantages fiscaux – cela remonte aux années 90 – mais j’ignorais que cela avait pris de telles proportions. Belle hypocrisie américaine. Je savais aussi que les Etats-Unis surveillaient de très près les îles des Antilles. J’avais entendu dire qu’aux Bahamas par exemple ils faisaient la loi et que les citoyens américains ne pouvaient y échapper au fisc américain. Et c’est probablement aussi le cas de Panama. Ce qui explique qu’on ne trouve aucun Américain dans les Panama Papers.
D’ailleurs vous ne trouvez pas toute cette affaire un peu bizarre ? Personne ne semble se demander qui est le mystérieux lanceur d’alerte. Comment est-ce possible ? Sur quel ordinateur tous ces documents étaient-ils stockés ? Ce n’est pas quelqu’un de l’intérieur qui a pu organiser une fuite aussi vertigineuse, 1000 fois plus importante que celle du Wikileaks ! 11,5 millions de documents, 2600 Go. Poutine dit que c’est la CIA. Je me demande s’il n’a pas raison…
Post-scriptum : l’écrivain suisse Jonas Lüscher qui a écrit le désopilant Printemps des Barbares (voir sur mon Bloc-notes 2015 : Chronique d’un monde barbare) signale, dans un article intitulé : Rions de ces tristes sires qui prennent l’argent trop au sérieux (Le Monde des 10/11 avril 2016), que la devise du Panama est Pro mundi beneficio. Ce qui veut dire que tout ce qu’ils font c’est pour le bien du monde. Alors, que leur veut-on ?