Limericks
J’ai longtemps cru que la forme courte en poésie était asiatique. J’ai admiré – je l’admire encore – le phénomène unique du haïku, cet instantané prodigieux, j’ai étudié le tanka, suivi depuis le début l’aventure canadienne du tanka francophone, puis découvert le pantoun et me passionne pour lui, pantoun malais comme pantoun francophone, depuis de nombreuses années. Mais c’est surtout après avoir fait le tour du monde du quatrain, en poésie populaire surtout, avec l’érudit italien Prampolini, que j’ai pris conscience du fait que l’homme pratiquait le poème court un peu partout. Et probablement encore bien plus sous sa forme populaire que sous celle dite littéraire.
Alors je me suis souvenu d’une forme humoristique anglaise que j’avais découverte il y a bien longtemps en Angleterre : le Limerick. Est-ce encore de la poésie ? Ou plus simplement un jeu avec les mots ? Une plaisanterie gauloise, que les Anglais appellent ribaldic ? Il y a un expert qui classait les limericks en trois catégories, ceux que l’on peut raconter devant des dames, ceux qu’on peut encore raconter hors de l’oreille des dames mais devant un Révérend (les Révérends anglais ont les idées larges et une certaine sympathie, depuis l’auteur d’Alice au Pays des Merveilles, pour l’absurde) et tous les autres. C’est exagéré. Il y en a beaucoup de très convenables. Quant à la poésie si elle s’y trouve, elle vient justement de l’absurde, de ces rapprochements si surréalistes et très anglais (oui, anglais, car si le surréalisme n’a pas pu naître en Angleterre c’est parce qu’il y est enraciné depuis toujours).
Ce qui est étrange également c’est que le premier limerick que j’ai découvert en Angleterre – et apprécié – est, me semble-t-il, plutôt américain (genre beer limericks) :
There was once a girl from Anheuser
Who swore that no man could surprise her
But Pabst took a chance
Found a Schlitz in her pants
And now she is older Budweiser
Parce qu’il faut avoir vécu ou beaucoup voyagé en Amérique pour connaître toutes ces bières du pays, Anheuser, Pabst, Schlitz et Budweiser. Et même connaître un peu de Yiddisch du Bronx pour savoir que Schlitz veut dire fente et par extension braguette !
Pour en revenir à l’aspect poétique du limerick et pour répondre à ceux qui croient qu’il s’agit là d’un vulgaire amusement populaire, je leur apprends que le limerick suit des règles plutôt strictes tant sur le fond que pour la forme. Le premier distique introduit l’histoire, avec toujours une attache géographique, les deux vers riment ensemble ainsi qu’avec le 5ème et chaque vers comporte en général entre 7 et 10 syllabes. Le deuxième distique raconte l’histoire, le rythme s’accélère, les vers sont plus courts, 5 à 7 syllabes en général, et riment ensemble. Enfin nouveau changement de rythme pour le 5ème vers qui est la conclusion, la pointe et qui fait qu’un limerick est réussi ou pas.
C’est le cas du limerick que je préfère et qui est celui du tigre :
There was a young lady of Riga,
Who went for a ride on a tiger ;
They returned from the ride
With the lady inside,
And a smile on the face of the tiger.
Et voici sa version en latin :
Puella Rigensis ridebat,
Quam tigris in tergo vehebat,
Externa profecta
Interna revecta,
Sed risus cum tigre manebat.
Et ma propre version en français :
Une jeune fille souriante du Niger
Voulut se promener avec son tigre
Mais au retour de leur balade
Elle était dans le ventre de son camarade
Et son sourire sur la face du tigre
Ce qui fait penser bien sûr au fameux sourire du Chat de Cheshire, l’ami d’Alice et du vicaire Lewis Carroll (ce sourire qui restait encore en l'air alors que le chat avait disparu).
Ce qui m’amène à nouveau aux Révérends anglais. C’est ainsi que c’est un certain Père Valentine qui est l’auteur de ce limerick pas très catholique :
There was an old party of Lyme,
Who married three wives at one time.
When asked, « Why the third ? »
He replied, « One’s absurd,
And bigamy, sir, is a crime ! »
Le limerick de Nantucket est un grand classique :
There was an old man of Nantucket,
Who kept all his cash in a bucket ;
But his daughter, named Nan,
Ran away with a man,
And as for the bucket, - Nantucket !
Mais il y a de nombreuses variantes dont certaines très érotiques comme celle qui commence ainsi :
There was a young man of Nantucket
Whose dick was so long that he could suck it
Mais, malheureusement, je ne peux citer la suite. Sinon Google me mettra sur la liste rouge…
Mais comme on est dans les gauloiseries je peux peut-être quand même citer mon ami Bob qui raconte cette histoire courte : question : pourquoi les chiens se lèchent leur sexe ? réponse : parce qu’ils le peuvent.
Revenons à des limericks plus convenables. Comme celui-ci dû à Rudyard Kipling lui-même :
There was a young boy of Quebec,
Who fell into the ice to his neck,
When asked, « Are you friz ? »
He replied, « Yes, I is,
But we don’t call this cold in Quebec. »
Et puisqu’on est au Québec, voici un limerick en français de l’écrivain anglais George du Maurier :
Il était un homme de Madère
Qui frappé le nez à son père ;
On demandait : « Pourquoi ? »
Il répondit : « Ma foi !
Vous n’avez pas connu mon père ! »
Un autre limerick existe dans beaucoup de variantes, c’est celui de Khartoum. Voici la version citée par un autre Révérend, le Révérend Bourchier, vicaire à Hamstead Garden :
There was an old man of Khartoum,
Who kept a baboon in his room.
« It reminds me », he said,
« of a friend who is dead. »
But he would never tell us of whom.
Il y a une version du limerick Khartoum plus surréaliste :
There was an old man of Khartoum,
Who kept a pink sheep in his room.
Said he, « They recall
The ivy-clad wall
Where I first kissed my wife in the gloom ».
J’aime aussi beaucoup le limerick de la souris :
An epicure, dining at Crewe,
Found quite a large mouse in his stew.
Said the waiter, « Don’t shout,
And wave it about,
Or the rest will be wanting one, too ! »
Ce qui me rappelle ce qu’on racontait à propos d’un couvent trappiste dans le nord du Luxembourg : l’un des pères trouva une souris dans sa soupe. Alors, interdit de parler, il fit signe au cuistot, puis lui dit à l’oreille, montrant sa souris, « mon voisin n’en a pas eu ! ».
Et, puisqu’on parle de dîners en ville :
There was a young lady of Kent,
Who said that she knew what it meant
When men asked her to dine,
Gave her cocktails and wine,
She knew what it meant – but she went !
Quand on traverse la Manche le dîner peut finir dans la mer :
There was a young maid of Ostend,
Who swore that she’d hold to the end ;
But, alas ! half-way over,
‘Twixt Calais and Dover,
She did what she didn’t intend.
Et quelquefois on peut servir de dîner à d’autres :
There was a young man of Bengal
Who went to a fancy-dress ball,
He went, just for fun,
Dressed up as a bun,
And a dog ate him up in the hall.
Et pour finir et montrer que les Anglais aiment bien jouer avec les mots comme nous :
A tutor who taught on the flute
Tried to teach two young tooters to toot,
Said the two to the tutor,
« Is it harder to toot, or
To tutor two tooters to toot ? »
PS : Les illustrations des limericks sont de H M. Bateman. Celle du Chat de Cheshire du plus fameux de tous les illustrateurs (et le premier) d'Alice au Pays des Merveilles, John Tenniel.