Le Bloc-notes
de Jean-Claude Trutt

Le mythe de l'inflation allemande

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Il n’y a rien qui m’énerve plus que de voir l’incompétence de nombreux hommes politiques et journalistes (soi-disant économistes) dans le domaine de l’histoire économique. J’ai encore vu lors de la dernière campagne présidentielle des politiciens éminents déclarer qu’il fallait comprendre les Allemands : leur crainte de l’inflation s’expliquerait par l’histoire puisque comme chacun le sait, n’est-ce pas, c’est leur fameuse hyper-inflation qui a amené Hitler au pouvoir ! Et aucun des journalistes présents n’a jugé utile de le contredire !
Or, si la crainte de l’inflation en Allemagne est probablement avérée, crainte qui nous a obligés à accepter une Banque centrale européenne qui, unique Banque centrale de ce type dans le monde, est censée ne s’occuper que du seul risque inflationniste et ne s’intéresser nullement à la situation économique de sa zone monétaire, tout le monde devrait quand même savoir que cette fameuse hyper-inflation s’est produite en 1923, a été jugulée relativement rapidement par la République de Weimar et n’a donc rien à voir avec Hitler (d’ailleurs qui se soucie encore de Hitler dans l’Allemagne d’aujourd’hui ?). Bien sûr cette inflation a pris des proportions « kolossales ». On a raconté qu’il fallait une brouette pour apporter l’argent chez le boulanger pour s’acheter une miche de pain. Mais que n’a-t-on pas raconté ! Ce qui est certain c’est qu’on a imprimé des timbres de 5 milliards de Marks, j’en ai un dans ma collection de timbres allemands. Mais dès 1924 les timbres étaient de nouveau libellés en Pfennigs.
Ce qui est certain, par contre, c’est que c’est la crise économique qui a suivi le crash de Wall Street de 1929 qui a été l’élément déclencheur de l’arrivée au pouvoir des Nazis. La crise de l’industrie et de l’économie en général qui a frappé tout l’Occident à la suite des Etats-Unis a touché l’Allemagne en premier, en tout cas près de deux ans avant la France, peut-être parce que l’Allemagne était déjà plus industrialisée que les autres pays européens à l’époque ou plus tournée vers l’exportation ou fragilisée par sa dette, conséquence de Versailles. Bien sûr le nazisme a d’autres origines mais Hitler ne serait probablement pas arrivé au pouvoir par la voie électorale et donc démocratique sans la crise de 1930/31, le chômage massif que cela a entraîné chez les ouvriers et le grand désarroi des classes moyennes.
Les conclusions que j’en tire ? D’abord une fois de plus c’est l’Amérique qui nous a foutus dans la merde et Fabius a eu raison quand il s’est rebiffé contre le gouvernement américain qui n’arrête pas depuis un moment à nous tancer pour notre difficulté à résoudre nos problèmes (Lehmann Brothers n’était pas européen, que je sache, a-t-il dit). Ensuite Madame Merkel devrait y penser : il y a une limite à la souffrance et au sentiment d’injustice que les peuples sont prêts à assumer. Au-delà c’est l’irrationnel et la révolution. Et puis beaucoup d’économistes le disent : un certain degré d’inflation est encore le meilleur moyen pour lutter contre un endettement excessif.
Il y a quelques jours je vois dans Le Monde pour la première fois une confirmation de ce que je dis ici. C’était dans le numéro daté du 12 juin 2012. Sur une pleine page on parlait de l’organisation d’une union bancaire européenne. Et puis, en bas de page, un article non signé, dont j’extrais les lignes suivantes :
Lors d’une réunion organisée récemment à Rome par le Nicolas Berggruen Institute, les responsables politiques, experts et économistes qui y assistaient sont tombés d'accord pour estimer que l'incapacité de l'opinion publique allemande à comprendre l'état désastreux de la situation de l'Europe empêche non seulement de lui apporter une solution, mais pourrait favoriser la répétition des crises du milieu du XXe siècle que l'Allemagne d'après-guerre voulait à tout prix éviter.

Il nous paraît extraordinaire que ce soit l'Allemagne qui semble si peu avoir appris de l'Histoire. Obnubilés par l'objectif de maîtrise de l'inflation, les Allemands donnent l'impression d'attacher plus d'importance à l'année 1923 (l'année de l'hyperinflation) qu'à l'année 1933 (date à laquelle la démocratie est morte). Ils feraient bien de se souvenir que la crise bancaire européenne qui éclata deux ans avant 1933 a contribué directement à l'étouffement de la démocratie, non seulement dans leur propre pays mais sur tout le continent européen.
Il est stupéfiant de constater que très peu d'Européens (y compris parmi les banquiers) semblent se souvenir de ce qui s'est passé en mai 1931, lorsque la Creditanstalt, la plus grande banque autrichienne, renonça à publier ses comptes, reconnaissant ainsi de fait son insolvabilité. La crise bancaire européenne qui s'ensuivit, et dans laquelle deux des plus grosses banques allemandes firent faillite, marqua l'entrée dans la seconde phase de la Grande Dépression. Si la première phase avait été dominée par le krach boursier américain, la seconde résulta de l'effondrement des banques européennes.
Que se passa-t-il ensuite ? La crise bancaire fut suivie par la crise des dettes souveraines de 1932, qui culmina avec le moratoire proposé par le président Hoover sur le paiement des réparations et dettes de guerre du premier conflit mondial. La plupart des emprunteurs souverains, à commencer par l'Allemagne, devaient peu après faire défaut sur tout ou partie de leurs dettes extérieures. Le chômage en Europe atteignit en 1932 un pic inquiétant : en juillet de cette année-là, 49 % des ouvriers syndiqués allemands étaient sans emploi.
Sans commentaire ! Si, celui-ci : aux élections présidentielles de 1932 Hitler a 30,1% des voix au premier tour et 36,5% au deuxième tour contre le Maréchal Hindenburg. Et en juillet 1932, aux élections législatives, son parti obtient 37,3% des voix et devient le premier parti du Reichstag !