Georges Voisset : Images d'une vie
(à propos de Georges Voisset : D’ombres et de pierres – Les pays emmêlés – Pantouns, Images, Circonstances, Editions de la Cave aux Loups, 2023)
Cela fait déjà près de 15 ans que nous nous connaissons, Georges et moi. J’avais publié, c’était début 2009, une courte comparaison entre tanka japonais et pantoun malais, complètement à côté de la plaque d’ailleurs, parce que je ne connaissais rien, à l’époque, de certains ardents tankas érotiques, mais il l’avait remarquée et, à ma fille qui était venue chercher son dernier livre de pantouns (et autres poèmes d’amour), intitulé Le Chant à quatre mains publié par Pasar Malam, l’Association culturelle franco-indonésienne chère à Johanna Lederer, il avait dit : votre père est le premier à avoir comparé la poésie malaise avec la japonaise ! Moi, le parfait dilettante ? Ha, ha ! En tout cas depuis ce jour-là nous sommes toujours restés en contact, j’ai participé avec lui à toute l’aventure du renouveau du pantoun (francophone), moi qui ne suis pas poète mais aime la poésie, à la création du site pantun-sayang, aux débuts de la Revue Pantouns et même à certaines recherches sur l’histoire du pantoun (sa découverte par Chamisso) et, enfin à l’organisation du colloque de Barbezieux, sur Henri Fauconnier et son apport à la connaissance de ce poème si singulier grâce à son roman Malaisie, véritable chef d’œuvre de la littérature, ce qui ne l’a pas empêché d’être couronné par le Goncourt en 1930.
Et, avec le temps, on est devenus amis. Même si moi j’ai quand même décroché plus ou moins alors que lui continue toujours. Infatigable. Je crois que le dernier exemplaire de la Revue, publié en novembre 2023, porte le numéro 32 ! Alors que Georges a publié énormément sur le sujet : pantouns francophones, traductions de pantouns malais, histoire du pantoun, etc. Les plus intéressants, pour moi du moins : son Histoire du genre pantoun. Malaisie, Francophonie, Universalie, L’Harmattan, 1997 et ce livre au titre tellement charmant : Sonorités pour adoucir le souci. Poésie traditionnelle de l’Archipel malais, Gallimard-Connaissance de l’Orient, 1996.
Son dernier livre qui lui a tenu certainement à cœur n’est pas facile à résumer. Car c’est une somme. Les images d’une vie. La vie d’un Universitaire français de l’Etranger. Qui est passé par la Mauritanie, par le Japon, par Singapour, la Malaisie et l’Indonésie. Par la Martinique aussi où il a terminé sa carrière comme Professeur d’Université en littérature comparée. Et qui est parti (pas tout-à-fait) de son Lyon natal pour finir en Bretagne en pleine forêt de Brocéliande. Quand j’ouvre mes tiroirs « au gré des souvenirs », dit-il, ceux-ci sont « devenus tous égaux ». Ce qui, visiblement, est faux. Où est la Mauritanie dans ce livre de souvenirs qui est d’abord un magnifique livre d’images avant d’être un livre de poésies et de circonstances ? La Passe d’Amogjar, seule dans un désert désolé, qui rappelle ces portes mystérieuses de tant de romans d’héroïc-fantasy par lesquelles on passe d’un Monde à l’autre et d’un Temps à l’autre.
Passe d'Amogjar, Adrar, Mauritanie (photo G. Voisset)
Et le Japon ? On trouve le nom de l’auteure des délicieuses Notes de Chevet, Sei Shonagon, en tête d’un quatrain qui rappelle ces triades mongoles que nous a rapportées de son voyage en Mongolie l’ami Jérôme Bouchaud de Langkawi, autre compagnon et ami de l’aventure pantoune (avec Serge Jardin, l’habitant de la Maison de l’Escargot de Malacca) :
Ciel bleu nuit pleurant rouge sang ;
miel qui débarbouille des joues d’enfants ;
vielle et violon déridant les vieux chênes :
voilà trois choses qui ne sont pas des mensonges.
Oui, mais cela m’a l’air plus breton que japonais. Alors, au moins y apparaissent quelques haikus ? Oui, mais bien peu. Ce qui ne pourrait surprendre de la part d’un pantouneur passionné. Des haikus qui accompagnent des images. Comme celle de cet hibiscus rouge :
l’alizé soulève
la robe de l’hibiscus
cacher ma rougeur
Ou l'image de cette volée de passereaux bretons, devenus asiatiques : Forêt de stupa
une envolée de clochettes
au-dessus du temple
Et ce haiku noir et blanc : Je ferme les yeux
un tunnel sous la montagne
le tapis des neiges
Ah, oui, et, j’oubliais, Georges reprend aussi ce poème que, seul un Japonais pouvait inventer – Philippe Pons, l’ancien correspondant du Monde au Japon, le citait dans un guide touristique à propos de l’un de ces sites extraordinaires qu’il fallait voir à tout prix, une île couverte de pins, sur la côte occidentale du Japon, Matsushima en japonais – dont la beauté est tellement indicible que le poète (Bashô) a renoncé et a écrit ceci :
Matsushima ya
a, a Matsushima ya
Matsushima
Et la Martinique dans tout ça, est-elle mieux traitée ? Il l’appelle Madinina, l’île aux fleurs. Une île encore. Et va même jusqu’à faire appel à une autre îlienne du coin – est-ce à cause des sargasses qui envahissent nos Antilles à nous, ces sargasses venues, dit-on, du lointain Brésil ? – Jean Rhys, l’auteure de la Mer des Sargasses (Wide Sargasso Sea) :
Il y a trop de tout, telle était mon impression…
Trop de bleu, trop de violet, trop de vert…
Les fleurs sont trop rouges,
C’est ce qu’écrivait la belle Jean. Et Georges : Tout le long de ce poignant silence de pierres trop rouges, de mer trop bleue, de raisiniers trop verts qui surplombe la trace des caps, le mimosa sauvage embaume la jeune fille.
Non, non, les souvenirs qui écrasent tout le reste, cela me paraît évident, ce sont ceux qui sont nés dans cette Insulinde dont fait partie la Malaisie, et les images qui reviennent continuellement ce sont celles de l’Inde qui y est omniprésente. Pas seulement là mais aussi au Laos et au Cambodge, l’Asie du Sud-Est en un mot. Cela m’a frappé d’autant plus que j’ai les mêmes images dans ma tête. Pas seulement dans ma tête, mais aussi dans mes albums de photos et mes Carnets d’Indonésie à moi. Des images venues d’Inde. N’est-ce pas le grand Indianiste Sylvain Lévi (L’Inde civilisatrice) qui a écrit : « l’Inde n’a produit ses chefs-d’œuvre définitifs que sous l’action de l’étranger ou sur la terre étrangère… En architecture, c’est dans le lointain Cambodge et la lointaine Java qu’il faut chercher les deux merveilles issues du génie indien : Angkor et Boroboudour… ». Et l’archéologue George Coédès (Les Etats hindouisés d’Indochine et d’Insulinde) confirme : « on ne connaît pas dans l’Inde de monument ressemblant, même de loin, au Bayou d’Angkor Thom ou au Borobudur ».
Alors les images que Georges sort de son tiroir se succèdent. Et me rappellent les miennes. Ta Prohm et la victoire des fromagers sur la pierre. Banteai Srei, le Temple des Femmes, revient plusieurs fois. Il y a aussi ce curieux bâtiment aux colonnes grecques : Preah Khan. Le mystère du Temple de l’Epée sacrée, écrit Georges. Il me semble qu’on nous avait parlé de Bibliothèque… Et puis il y le summum, le Bayon, bien sûr :
Ici les dieux sont descendus au plus près
pour observer le sourire des hommes.
Ici le sourire des hommes
s’est-il approché au plus près du sourire des dieux ?
Et toujours on revient aux Apsaras. Comme à celle d’Angkor Wat, de la Galerie des Devata :Galerie des apsaras. Angkor Wat. Photo G. Voisset
Vierge aux seins lustrés d’Angkor,
auréolée du lotus, paume glorifiant un corps
sûr de ses hanches. Ton nombril dort,
mais tu peux bien fermer les yeux : Rawana te dévore.
Mais l’Indonésie est présente également. De l’hindouiste Prambanan il se souvient surtout du terrible Kala. Alors que le bouddhiste Borobudur est bien plus riche en images. Georges a retenu la même image que moi, celle de ce navire (il note : le Padewakang), doté de plusieurs voiles et de ce balancier qui caractérise encore aujourd’hui tous les bateaux austronésiens et polynésiens. L’image d’un manguier aussi, apport probable d’un sculpteur de pierres local. Et puis ce qu’il appelle : scènes domestiques. Et d’Ubud c’est la belle figure d’une Dewi qu’il a retenue.
Et il se demande aussi comment un certain André Malraux a pu découper les têtes de ces belles et oser s’en vanter (La voie royale) :
Cette pierre était là, opiniâtre, être vivant, passif et capable de refus…
Il imagina les trois pierres, superposées : deux danseuses, parmi les plus pures qu’il connût.
Il fallait maintenant les charger sur les charrettes.
Quant à Georges, je me demande si, plus encore que son pantoun adoré, ce n’est pas l’indianité qui rôde dans toute cette Asie du Sud-Est qui l’a marqué plus que tout. Je le crois d’autant plus que la compagne pour la vie qu’il y a trouvée est justement une Indienne de Malaisie. Où se sont-ils rencontrés ? A l’Université de Singapour ? Mais ne soyons pas indiscrets. Comme le disaient les Inconnus : « cela ne nous regarde pas ! ». Il n’empêche que ses pantouns à elle – car elle a toujours participé à l’œuvre pantounesque – ont toujours quelque chose de subtilement indien. Il y flotte toujours quelques traces de spiritualité, comme il se doit, en indianité. Ici Georges en a retenu trois, des pantouns signés d’elle (Renuka Devi). Voici le premier :
Batik d’hier, batik d’aujourd’hui,
la cire chaude imprime son destin.
L’étoile filante traverse la nuit,
notre vie suspendue à son chemin.
Le deuxième illustre une histoire de tresse essorée par une déesse à Ta Prohm : Voiles de lianes – c’est la forêt épaisse,
cent mille bras caressent son visage.
Déesse Terre, quand tu essores ta tresse,
la vie se renouvelle sur ton passage.
Quant au dernier, il subit quand même l’influence du comparatiste incorrigible qu’est ce vieux Georges puisqu’il porte un titre perse, Rubai, que son premier vers est un peu japonisant et que le tout ressemble quand même à un pantoun :
Le son des cloches du temple remplit l’air matinal
pour réveiller les Dieux de leur sommeil profond.
Le son de tes bracelets perce mon rêve matinal
pour éveiller en moi mon amour profond.
Alors parlons un peu poèmes d’amour. Ils ne manquent pas au début de ce recueil. Heureux comme Ulysse est Panji –
une Odyssée compense un maléfice.
Heureux dans tes bras celui qui
découvrit l’île Toute Epice.
Rimer ton sourire c’est enfantin. Cest
buisson ardent, ou bien tout autre mot en -onde.
Mais rimer ton corps, dès ton ongle c’est
comme entrer tout vif en l’Autre Monde.
Le pêcheur s’intéresse à la nuit,
son filet ratisse les étoiles.
Il a plongé dans mes cheveux :
le poisson a ramené un pêcheur.
Un amour qui dure : Bien des pays, bien des saisons,
mais l’arc-en-ciel après la pluie.
Moins de cheveux sur mon front,
autant d’amour sous ton sari.
Ce qui n’empêche pas le Grand Migrant, arrivé à une certaine étape de sa vie, de se poser quelques questions :
Ce soir le bambou qui fleurit
tous les ans va flétrir.
Il arrive qu’au soir de la vie,
un voyageur ne sache où revenir.
Or il a bien choisi. Le voici dans le pays de Merlin et de Brocéliande, des cromlechs et des lutins. De l’Ankou aussi. J’adore cette version celte de l’un des plus fameux pantouns malais :
Si tu t’enfonces loin en Brocéliande,
ramène-moi un rameau d’if rouge.
Si l’Ankou avant toi me demande,
retrouvons-nous près de la Porte-qui-bouge.
L'Ankou. Eglise Notre-Dame de Bulat-Pestivien, Bretagne (photo G. Voisset)
Qu’est-ce qui a amené ce Lyonnais, attaché à ses origines, à vouloir finir sa vie en Bretagne ? Il est vrai que le nom romain de la capitale des Gaules était Lugdunum et que ce nom devait avoir un certain lien avec le dieu Lug, dieu des Celtes. Mais je crois me souvenir qu’il m’a raconté un jour que c’est lors d’une balade en Bretagne avec deux amis, dans sa jeunesse, qu’ils ont eu le coup de foudre pour une masure qu’ils ont achetée à trois et que Georges a reprise tout seul plus tard. Mais une fois de plus : « cela ne nous regarde pas ! ». Le voilà en tout cas tout ce qu’il y a de plus breton. Nous sort des Paroles de marins :
Dans la tangue et dans l’eau,
vers Tombelaine.
Quand il fait beau,
ma sœur est capitaine.
Le crabe violoniste n’a qu’une pince,
mais qu’il manie bien son archet !
Méfie-toi de la poulie qui grince
et de la femme qui se tait.
Et nous parle de Merlin et de Saints. Et de pierres dressées. Le titre de son livre, D’ombres et de pierres, m’a tout de suite fait penser à la belle Judith, la fille Gautier, et à sa version de ce tanka de Saigio (les Poèmes de la Libellule) :
Loin de tous, bien loin,
Fuir parmi les rocs sans nombre !
Et là, sans témoins,
Dans la solitude sombre
Conter mon amour à l’ombre.
Pierres et ombres. Ombres portées par les pierres. Georges les associe dans son préambule qu’il appelle vestibule. Peut-être les pierres symbolisent-elles la Bretagne ? Terre de granite. Et terre de menhirs. Et les ombres la Malaisie ? Le premier distique d’un pantoun est appelé pembayang, ce qui signifie ombre portée. Portée vers l’avant comme celle d’un homme qui marche dos au soleil. Qui signifie et annonce. Annonce le vrai sens du poème, le maksud. Et l’ombre de l’homme, son identité. Et la pierre, dit-il, est la matérialisation de l’ombre. Mais la Malaisie est aussi le théâtre d’ombres. Georges ne lui consacre qu’une page. Dommage. Moi j’ai tout de suite été fasciné par ce théâtre. Peut-être parce que j’ai beaucoup admiré Robert van Gulik, diplomate et érudit, qui racontait qu’à 11 ans déjà un sergent, assistant de son père médecin militaire, l’emmenait dans les villages où passait un théâtre d’ombres. Voici ce qu’il écrivait plus tard :
Les plus beaux souvenirs sont ceux qui nous remémorent un moment où nous retrouvons quelque chose que nous pensions perdu. Ainsi une image est-elle restée gravée dans mon souvenir de ma jeunesse lorsque j'assistais à une représentation du théâtre d'ombres à Java. On connaît les nuits de l’intérieur de nos Indes orientales : dans le soir qui tombe tôt, le vert profond de la nature sauvage a commencé à tourner au gris, et la masse lourde des montagnes entassées sur la ligne de l'horizon s'est enfoncée lentement dans une profonde obscurité. C’est dans un pasanggrahan perdu que se tient la représentation : en fin d'après-midi déjà, on avait commencé à entendre dans le lointain les sons du gamelan qui coulent si doucement avec leur répétition monotone de motifs, avec leurs variations si légères qu’elles ne troublent guère la tranquillité du paysage. C'était comme si on rendait audible le silence. On s'est laissé conduire par la musique, et on a assisté au spectacle. Dans la lueur oscillante, incertaine, de la lampe à huile en cuivre, on a vu les ombres évoluer sur la toile blanche ; on a vu les gestes élégants des longs bras stylisés, vu la force contenue dans un mouvement glissant. Et on a suivi les épisodes enchevêtrés, captivants, le jeu noble de la passion, de la souffrance et de l’expiation qu’ont interprété ces ombres. Alors on a entendu la voix du montreur qui progresse lentement dans un long récitatif sans fin : on a ressenti profondément, on a soudainement saisi, les forces inconnues qui mènent leur jeu éternel au-dessus de notre petite existence humaine de tous les jours.
Alors vous pensez bien que je n’ai plus jamais cessé de m’y intéresser. Essayant de déchiffrer les articles en néerlandais que van Gulik avait publiés dans la Revue Elsevier dans les années trente, lu ce que Jeanne Cuisinier avait découvert sur le théâtre d’ombres à Kelantan, ce qu’une membre de Pasar Malam, Emmanuelle Halkin, racontait sur celui de Bali et, surtout, lorsque j’ai appris à Yogyakarta, que l’on pouvait assister à une telle représentation dans une annexe du kraton, j’y ai traîné Annie et mes amis. Quelle merveille ! Tout était magnifique. Le gamelan, les deux chanteuses (je ne connaissais pas ce détail), le cadre ! La douce mélopée du dalang, la façon dont il manipulait les ombres, la lumière. Mais hélas : je voyais Annie et l’amie Nicole bâiller, puis s’endormir. On a dû partir avant la fin. J’avais honte. Et les larmes aux yeux…
Théâtre d'ombres à Yogyakarta. Photo Nicole R.
J’espère que vous m’excuserez pour cette longue digression. Et surtout Georges ! Qui écrit :
A l’aube l’ontong a flétri,
les ombres ont épuisé la sève.
A l’aube le wayang est fini :
réveils brutaux, rires, attrape-rêves.
(l’ontong est la fleur de bananier)
Il faut quand même que je prévienne ceux qui ne s’attendent qu’à de la poésie classique chez Georges Voisset. Sa poésie à lui est souvent primesautière et facétieuse. C’est un Normalien. Et l’esprit des Copains de Jules Romains n’est jamais loin. Ils sont comme ça, les Normaliens (ou ils l’étaient). Et puis il est comparatiste. On n’y trouve pas seulement des pantouns. Mais aussi le seloka indien, la triade mongole, le sijo coréen, le mani turc, l’englyn gallois et même un dodoitsu, ce quatrain populaire japonais que je n’ai jamais rencontré mais que notre Claudel aurait pratiqué, alors que, pourtant, toute la poésie japonaise est impaire (3 ou 5 vers, 5 ou 7 syllabes). Et puis Georges adore les rencontres insolites. Comme le petit chevrotain des Contes du Kancil (leur Renart), blanc comme celui qui est à l’origine, dit la Légende, de la fondation de Malacca, qu’il oppose au Cerf blanc d’Arthus de Bretagne. Ou l’îlot du Taureau en baie de Plouëzoc’h, « encornant les vents », comparé au Minos crétois. Pourquoi pas au buffle ? Capable d’encorner un tigre ! Tiens, Georges ne parle guère du buffle ! Alors que Gabrielle Wittkop en parle si tendrement : « Le buffle… connaît la longue patience. En Thaïlande, à Sumatra, aux Célèbes, partout où l’air est chaud, moite, lourd comme lui, c’est le double croissant des cornes plates, la parfaite symétrie entre l’amande noire des yeux et la noire amande des naseaux. Dans l’étain mat des mares ennuagées d’anophèles, il émerge à peine, immobile et comme minéral, parfois une aigrette picorant les tiques sur son dos… Vêtu de vase sèche qui protège son épiderme pauvre en pores, il longe les rizières dans le soleil du soir, lent comme un roi et chevauché par des enfants ». Excusez-moi. Encore une diversion. Je ne le ferai plus. Je le jure. Et puis, de toute façon, il faut bien finir. Et je vous assure que vous ne vous ennuierez pas à accompagner Georges Voisset dans son voyage. Voyage d’un conteur, d’un poète, d’un érudit et d’un humaniste. Un voyage qui est d’ailleurs loin d’être fini. Et dont la relation donne bien du plaisir. Là aussi il aurait pu intituler son ouvrage : Sonorités pour adoucir les soucis. Mais c’est aussi un plaisir des yeux. Et quand il se demande de quoi est faite une vie bien faite :
Dentelle d’Alençon – ses remplis,
de mille points de gaze remplis.
Elle demande : « une vie bien remplie,
de quoi est-elle remplie ? »
La réponse est : d’images, bien entendu.