Le Bloc-notes
de Jean-Claude Trutt

Elise Lucet et Sanofi

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Jeudi dernier nous avons vu sur TV5-Monde une ancienne émission de Cash-Investigation où Elise Lucet s’attaquait à nouveau à un Moulin à Vent. Cette fois-ci c’était Sanofi qui était la cible de sa colère. Parce que cette société « française » du CAC 40 sabrait dans ses centres de recherche de Montpellier et Toulouse, licenciant des centaines de chercheurs, alors qu’en même temps son Conseil d’Administration décidait de distribuer 50% de ses bénéfices net au lieu de 35% l’année précédente (il faut dire que le bénéfice avait chuté : on devait donc une compensation aux actionnaires). Elle se rend à l’AG de Sanofi, rencontre Gattaz et même Macron qui était encore à l’époque Ministre de l’Economie. A toutes les questions Gattaz n’a qu’une seule réponse : les dividendes ? C’est un faux problème. Et là j’ai regretté qu’Elise Lucet ne lise pas mon Bloc-notes. Sinon elle aurait su qu’à Sanofi ce sont des saints. A croire même que leurs administrateurs sont des crypto-socialistes. Ce qui ne m’étonnerait pas puisque son Président, Serge Weinberg, est un ami de Macron. Comment, me dites-vous, Macron n’est pas un socialiste ? Mais justement, il le nie, ce qui prouve bien que c’est un crypto ! Alors pour en revenir à mon Bloc-notes(Bloc-notes 2015 : Ainsi va le Capitalisme financier), je disais que si mon Elise chérie me lisait elle saurait que l’industrie pharmaceutique américaine est bien pire que Sanofi. Diablement pire : « Amgen », disais-je, « qui est la plus grande entreprise de bio-pharmacie dans le monde a dépensé sur la période 2004-2013 108% de son revenu net en rachat d’actions et dividendes. Quant au bien-connu groupe Pfizer il a même dépensé 126% de son revenu net dans le même but et sur la même période ! Et, en même temps, lorsque le Congrès américain demande à l’industrie pharmaceutique les raisons du prix élevé des médicaments on leur répond que cela provient de la nécessité de financer les dépenses de R&D ». Parce qu’on ne soigne pas seulement les actionnaires en distribuant de généreux dividendes mais aussi en rachetant de temps en temps des actions, puis en les annulant. Ce qui a le double avantage d’abord de leur accorder un peu de cash pour les actions remboursées et, ensuite, d’augmenter ainsi mathématiquement la valeur des actions non remboursées (ce dont va se glorifier ensuite le brillant PDG qui a eu cette idée). Je conseillerais à Elise Lucet de vérifier si Sanofi n’a pas fait la même chose…
Ah, oui, j’oubliais : Elise s’est aussi beaucoup étonnée du mirobolant salaire du PDG de Sanofi (c’était un Germano-Canadien à l’époque), 8.6 millions d’Euros. C’est beaucoup, trouve-t-elle, quand on voit les résultats en baisse et, surtout, si on le compare au SMIC et quand on pense à tous ces salariés des centres de recherche licenciés qui sont au chômage. C’est peu, lui répondit un membre du Conseil d’Administration, par rapport à ce qui se pratique ailleurs dans le monde de l’industrie pharmaceutique ; si on le payait moins il partirait chez nos concurrents. De toute façon il est parti quand même ou plutôt on l’a remercié entre-temps (avec un parachute j’espère) et le nouveau gagne encore plus. Là encore Elise aurait eu intérêt à me lire. Elle saurait ainsi que le PDG de ces multinationales qu’on appelait trusts dans le temps (et j’ai bien envie de les appeler ainsi à partir de maintenant car tout le monde est multinational aujourd’hui, même certaines PME), que ces PDG, disais-je, ne sont plus là pour diriger une entreprise mais pour servir exclusivement ses actionnaires. C’est ce qui explique à la fois les salaires astronomiques et la part de plus en plus énorme dans leurs rétributions des cadeaux en actions !
Elise Lucet est aussi allée voir Macron qui était encore Ministre de l’Economie à l’époque et qui l’a reçue avec ce charme et cette politesse intéressée qui font que toutes les bourgeoises d’un certain âge le prennent pour le gendre idéal et iront voter pour lui. Macron était visiblement désolé d’entendre ce qu’Elise Lucet lui apprenait (elle lui a même offert le plan secret de Sanofi pour les futures rationalisations, pour lequel il l’a remerciée. Cela me servira pour mes discussions avec Sanofi, lui dit-il, mais, comme vous savez l’Etat ne peut pas tout. Nous le savons, hélas !). Macron est opposé à la politique court-termiste du capitalisme financier. Je le savais, il a publié un article dans Le Monde à ce sujet (voir sur mon Bloc-notes 2015 Ainsi va le capitalisme financier). Il voudrait favoriser les actionnaires stables, l’actionnariat populaire, l’actionnariat salarié, les fonds de pension français, etc. Pour le moment tout ceci n’existe guère. Donner des droits de vote doubles aux actionnaires qui sont restés deux ans. C’est bien court. Pourquoi ne pas favoriser fiscalement la part du profit qui reste dans l’entreprise ? Oui, mais les dividendes sont déjà trop imposés en France, dit Gattaz. Et puis Macron dit quelque chose à Elise qui m’a frappé : si Sanofi soigne à ce point la valeur boursière de ses actions c’est aussi pour échapper à une OPA hostile de la part d’un concurrent. Si c’est le cas, pourquoi ne pas rendre les OPA hostiles impossibles ou très difficiles par la loi ? Ce qu’on aurait déjà dû faire au moment de l’OPA hostile de Mittal sur Arcelor ! Essayez donc de lancer une OPA hostile sur Nestlé ou Ciba-Geigy ! Vous m’en direz des nouvelles. Impossible chez les Helvétiques qui savent se protéger. Quand j’ai acheté une petite société en Suisse je me suis même rendu compte que la loi exigeait que la majorité du Conseil d’Administration soit aux mains de Suisses authentiques. De Suisses, pas de résidents suisses !
Elise Lucet a fort à faire. Après les Chimistes des pesticides s’attaquer aux Pharmaciens c’est gonflé. Puisque ce sont justement deux branches qui viennent tout de suite après les Armes et les Tabacs sur le plan de la moralité publique. Hillary Clinton les avait dans le collimateur, les industries pharmaceutiques, elles qui sabotent l’Obamacare avec leurs prix élevés de médicaments. Mais dès la victoire de Trump confirmée, l’action de Sanofi a fait un bond de 6% et celle de Pfizer de 10% ! D’ailleurs la Bourse américaine a finalement plutôt bien accueilli la victoire de Trump. Alors que pendant toute la campagne Trump a accusé Clinton d’être liée à Wall Street. Affirmant – c’est vraiment comique – que lui, ne l’était pas ! Alors qu’une des premières mesures qu’il vient d’annoncer c’est diminuer les droits des régulateurs financiers et revenir sur la fameuse loi Dodd-Frank qui avait fortement renforcé le pouvoir de ces régulateurs sur les Banques. Et vlan pour cet électeur con qui gobe n’importe quoi ! Il faut rigoler, il faut rigoler…
Quant à la Chimie on vient d’apprendre (Le Monde du 07/11/2016) que le grand chimiste allemand BASF qui est d’ailleurs le premier groupe chimiste mondial, a réussi à minorer ses impôts entre 2010 et 2014 d’à peu près un milliard d’Euros (923 millions, pour être précis) en utilisant plein d’astuces et surtout la Hollande (boîtes à brevets, prix de transfert « intelligents » et 6 holdings contrôlant 29 filiales néerlandaises contrôlant elles-mêmes 70 entités situées dans 29 pays à travers le monde). Elise Lucet a encore du boulot. Et si j’étais méchant je rappellerais que BASF veut dire Badisch Anilin und Soda Fabrik qui est le nom de l’ancêtre d’avant-guerre qui faisait partie de l’IG-Farben de très sinistre mémoire. Mais je ne suis pas méchant. Et je souhaite encore beaucoup de courage à Elise Lucet.
Et je termine en chantant :

il faut rigoler, il faut rigoler, avant que le ciel nous tombe sur la tête…