Le Bloc-notes
de Jean-Claude Trutt

Généalogie et exclusion

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(Article préparé pour le Cercle Généalogie des Centraliens)

On connaît l’histoire : un citoyen athénien se préparant à recevoir des amis demande à son esclave Esope, fabuliste et philosophe à ses heures, d’aller au marché et de lui rapporter ce qu’il y a de meilleur. Esope revient avec des langues, langues en entrée, langues en plat, langues en salade, langues en dessert.  C’est que la langue est la meilleure chose qui soit au monde, dit-il, c’est avec elle que nous déclarons notre amour, que nous récitons de la poésie, que nous déclamons au théâtre, que nous prions nos dieux, que Socrate pose ses questions et que les convives de Platon philosophent. Eh bien, lui dit son maître, j’espère que la prochaine fois tu nous apporteras la pire des choses. Et voilà qu’un deuxième banquet se prépare et qu’Esope, une fois de plus, rapporte ses langues, car, dit-il, la langue est la pire des choses c’est avec elle que nous médisons, que nous calomnions, que nous mentons, que nous blessons, que nous insultons… Que la peste soit, crie alors son maître, des esclaves philosophes et des serviteurs raisonneurs. Quant à nous, nous devons hélas reconnaître qu’Esope avait raison et que ce n’est pas seulement la langue qui a ses bons et ses mauvais côtés, mais tout ce qui est humain, la science, la télévision, l’automobile, la politique, que sais-je encore. Et même la généalogie. La généalogie quand elle exclut. Ou plutôt quand elle est utilisée pour exclure.
On a connu une telle utilisation il n’y a pas si longtemps, au cours du siècle passé, ici en Europe, par les nazis, d’abord pour exclure, les juifs, et aussi les tsiganes, et puis pour finir les détruire physiquement par un incroyable et horrible génocide. Il y a un autre exemple encore, qui n’est en rien comparable au premier, mais qui, essentiellement par l’utilisation d’un outil généalogique, empêche encore aujourd’hui certaines minorités vivant au Japon, la minorité ethnique des Coréens et celle que l’on a appelée la «race invisible», les Burakumin, sorte d’intouchables, à pouvoir se fondre dans la masse.
L’Alsace a connu au cours de la dernière guerre un sort différent du reste de la France. Elle était annexée de fait, dès le lendemain de l’armistice, au Reich allemand, sans que cette annexion ne soit officiellement proclamée. Hitler avait demandé au Gauleiter Wagner de faire des Alsaciens, en dix ans, de bons Allemands et de bons nazis et Wagner avait promis au Führer d’y arriver en cinq ans seulement. Mais s’il a fallu attendre août 1942 pour que Hitler finisse d’incorporer de force les jeunes Alsaciens – sur proposition de Wagner toujours – dans la Wehrmacht, et même pour certaines classes d’âge dans les SS, nous, nous vivions dès le premier jour à l’heure allemande, comme des Allemands, régis par les mêmes lois que les Allemands et soumis, quelquefois en pire, au même régime totalitaire que les Allemands. Et soumis à l’obligation du «Ahnenpass», du passeport des ancêtres.
On discute encore aujourd’hui pour savoir si tous les citoyens étaient obligés de se faire établir ce document ou si, comme cela est indiqué dans les notes incluses dans le Ahnenpass que je détiens, seuls les fonctionnaires, les employés des communautés régionales et locales et des organisations publiques, les médecins, avocats, notaires et agents en brevets, les militaires et les étudiants des universités, étaient soumis à cette obligation légale. Le site de généalogie alsacienne www.nithart.com explique que la question n’a pas de sens car, y lit-on : «pour le citoyen ordinaire, sans Ahnenpass, pas de documents officiels ou de cartes de ravitaillement…». Et cela paraît logique puisque les juifs – du moins ceux qui ont pu survivre à l’intérieur de l’Allemagne, comme Victor Klemperer par exemple, parce qu’ils étaient mariés avec des «aryens» - n’avaient droit qu’à des rations diminuées de moitié et pour finir rien que des pommes de terre pourries (voir ce que j’en dis à propos du Journal de Klemperer dans mon Voyage autour de ma Bibliothèque, tome 4, notes 13 (suite) : les trente honteuses). Je savais que mon père qui était fonctionnaire (ingénieur-géomètre au cadastre) avait été obligé d’établir un tel Ahnenpass mais je ne l’ai jamais retrouvé plus tard dans ses papiers. Seuls sont restés tous les extraits d’Etat-civil et de paroisses qu’il avait dû rassembler pour l’établir et qui m’ont d’ailleurs servi à établir la généalogie de ma famille. Et puis il y a quelques années un cousin de ma mère m’a remis la photocopie de quelques pages du Ahnenpass de son père, un grand-oncle à moi, et qui était, comme tous les frères de ma grand-mère maternelle, instituteur et directeur d’école. Et tout récemment c’est une cousine germaine qui me fait cadeau du Ahnenpass original de son père, mon oncle maternel et parrain, et qui avait exercé le même métier que mon père : ingénieur-géomètre au cadastre et donc fonctionnaire.
Les deux documents sont légèrement différents : celui de mon oncle est édité par l’Association des fonctionnaires de l’Etat-Civil à Berlin, celui de mon grand-oncle par la maison d’édition du parti nazi à Munich. Les pages intérieures sont légèrement différentes mais rien d’essentiel. Je suis certain que mon grand-oncle n’était pas membre du Parti : il était farouchement francophile, avait pour épouse une violoniste originaire de Suisse romande et son fils aîné se préparait à l’incorporation forcée en apprenant le russe pour pouvoir déserter plus facilement (il n’est malheureusement jamais revenu du front russe et on n’a jamais appris ce qu’il était devenu). Les deux documents apparaissent indistinctement sur de nombreux sites allemands sans que l’on ne donne nulle part une explication sur leur différence (fonctionnelle ou autre). Une indication pourtant : le document édité par le Parti comporte la profession (Beruf : Lehrer c. à d. instituteur). On pourrait en conclure que, l’éducation étant une fonction particulièrement sensible dans le IIIème Reich, le Parti aurait préféré garder la main sur un document ayant pour fonction essentielle d’établir la «pureté raciale» de son porteur.
L’autre document, qui est complet, commence par deux pages qui sont en quelque sorte un mode d’emploi. Les deux pages qui suivent constituent un tableau de synthèse, en fait l’arbre généalogique complet du titulaire de l’Ahnenpass. Mais les nazis ne veulent pas de l’expression arbre généalogique : pour eux c’est le tableau des ancêtres. Puis viennent 33 pages chacune consacrée à un couple, la première pour le titulaire du Ahnenpass et son conjoint, les autres à ses ancêtres. La numérotation est classique : 2 et 3 pour les parents du titulaire, 4 et 5 pour ses grands-parents paternels et 6 et 7 pour les maternels. Et ainsi de suite jusqu’à la génération des arrière-arrière-arrière-grands- parents 32 à 63. Les hommes ont toujours des numéros pairs. Chaque page est divisée en trois : d’abord l’homme avec les dates et lieux de naissance et de baptême, l’indication de la paroisse, ses parents, le numéro du registre d’Etat-Civil, puis la femme avec les mêmes indications, puis leur mariage avec encore une fois les dates et lieux de mariage, ainsi que la profession du mari, la religion et la paroisse concernée. Les dates et les lieux de décès sont placées en-dessous des cases. En marge il y a chaque fois des cases pour la certification des données par un officier d’Etat-civil ou un notaire sur base des extraits originaux.
On voit que toute cette recherche généalogique s’accompagne d’une recherche systématique de la confession. Cela pourrait paraître d’autant plus absurde que les nazis ne faisaient aucune différence entre un juif israélite et un juif chrétien. Ils n’y voyaient qu’une question de race. Mais ils pensaient qu’en remontant suffisamment dans le temps on arriverait toujours à prouver qu’un juif converti avait des parents juifs non convertis… et était donc juif lui-même, juif de race.
On a souvent reproché à l’Eglise d’avoir accepté de coopérer en fournissant les certificats demandés. Ainsi John Cornwell, dans sa charge contre Pie XII, Hitler’s Pope, écrit que la «complicité» avec le régime a commencé dès le 25 avril 1933 lorsque «des milliers de prêtres à travers toute l’Allemagne sont devenus les partenaires d’une bureaucratie d’attestations antisémite, en fournissant les informations contenues dans leurs registres de baptême et de mariage, des informations utilisées pour établir la pureté de sang» (il s’agissait à l’époque d’un numerus clausus pour les juifs à l’entrée à l’Université). Et cette collaboration, qui concerne autant l’Eglise catholique que les Eglises protestantes, a encore continué pendant la guerre, dit-il en citant Guenther Lewy : The Catholic Church and Nazi Germany, alors que le problème pour les juifs n’était plus la perte de leurs emplois ou de leur argent mais celle de leurs vies. A la décharge des Eglises il faut pourtant signaler - ce que Cornwell ignore peut-être - qu’il n’existait pas d’Etat-Civil en Allemagne avant 1870, que les Eglises faisaient donc office d’Etat-Civil et qu’on ne voit pas comment elles auraient pu refuser ce genre de renseignements, du moins pour ce qui est du XIXème siècle. En Prusse l’Etat-Civil existe depuis 1874, dans le reste de l’Allemagne depuis 1875, en Autriche (devenue Ostmark) depuis 1938 seulement, sur la rive gauche du Rhin depuis 1789 (c’est le cas de l’Alsace), sur la rive droite du Rhin, grâce à Napoléon, depuis 1810 (mais en pays de Bade, l’Etat-Civil n’est compétent pour fournir des extraits que pour la période postérieure à  1870, pour la période 1810 – 1870 il faut passer par les tribunaux).
A la fin du Ahnenpass est placée une longue note de 8 pages qui commence par expliquer ce qu’est le principe racial. Celui qui a lu cette note ne peut plus dire après cela qu’il ne savait pas. On comprend parfaitement que le seul et unique but de ce passeport des ancêtres est d’établir ce que les nazis appelaient la pureté de race. «La conception qui est à la base de la pensée national-socialiste», y lit-on, «veut que le premier devoir d’un peuple est de conserver sa race et son sang purs de toute influence étrangère et d’éliminer le sang étranger qui s’est infiltré dans le corps de notre peuple». Dès la première phrase on emploie donc le terme éliminer. Une élimination qui n’est pas encore physique mais qui le deviendra. Cette conception dit-on, encore, est basée sur les connaissances scientifiques de l’hérédité et de l’étude des races. Puis vient une phrase un peu hypocrite (probablement placée là pour les pays étrangers ou plutôt pour les alliés japonais) : «mais nous ne parlons jamais de races inférieures ou supérieures, seulement de races étrangères». Mais continuons notre lecture : «c’est d’abord la race nordique qui constitue la part prépondérante de la race allemande mais on y trouve aussi d’autres éléments raciaux apparentés qui sont aussi les éléments constituants des autres races européennes. Par contre il y a des éléments raciaux qui sont étrangers à l’espace européen, même s’ils y vivent, comme les juifs et les tsiganes, ou les races asiatiques ou africaines. Etre aryen c’est n’avoir aucun de ces éléments-là dans ses ancêtres même si on n’est pas allemand. Mais, bien entendu, en cas de mariage, il est toujours préférable de convoler avec un Allemand ou une Allemande de pure race plutôt qu’avec un aryen d’autres races…».
Le reste de la note est consacrée à la législation et aux problèmes que risque de poser la collecte des documents. On insiste sur la nécessité d’obtenir également les extraits d’actes de mariage pour vérifier l’exactitude des dates de naissance, ainsi que les actes de décès. Et on s’étend longuement sur le problème des enfants de père inconnu (comment être sûr que la fille-mère n’a pas fauté avec un non-aryen ?).
Aujourd’hui on trouve plein de forums de généalogie en Allemagne où des jeunes font des recherches généalogiques (probablement grâce aux certificats trouvés dans les papiers de leurs parents) et posent des questions à propos de ce Ahnenpass (j’ai trouvé le Ahnenpass de mon grand-père, pourquoi ce document, était-il obligatoire ? Etc.). Quand mon ami André Denis m’avait proposé de rejoindre le club de généalogie de l’Ecole Centrale je crois lui avoir exprimé le sentiment un peu complexe que j’éprouvais à ce sujet. Raul Hilberg dans La destruction des juifs d’Europe dit que le génocide a commencé avec la définition, administrative, de ce qu’est un juif. Et beaucoup d’autres auteurs disent la même chose : tout a commencé avec l’exclusion et la définition des juifs. Le Ahnenpass était le principal outil de cette politique, indispensable pour définir qui était aryen et qui ne l’était pas

Je serai plus bref pour ce qui est du cas japonais. C’est en étudiant les minorités japonaises que j’ai découvert l’importance de ce phénomène typiquement japonais, le registre familial, le koseki (voir mon Voyage, tome 3, notes 10 (suite), Aïnous et autres minorités). Le koseki remplace notre état-civil puisqu’on y enregistre obligatoirement naissances, mariages, divorces et décès. Il est basé sur la famille et non sur l’individu. Il est l’unique preuve de la nationalité. Le koseki actuel a été institué en 1872 après la révolution Meiji : c’est alors qu’il est devenu obligatoire pour tous et que tous les Japonais ont été obligés d’adopter un nom de famille. Mais le koseki repose en fait sur une très ancienne tradition d’enregistrement des membres d’une famille qui pouvait d’ailleurs être un véritable clan comme à l’époque de notre Antiquité grecque et latine. Sauf qu’au Japon la notion de famille est imprégnée de confucianisme (le koseki existait d’ailleurs également sous sa forme familiale en Chine, en Corée et au Vietnam) et qu’il y a toujours un chef de famille (ou de clan dans le passé). La famille était la principale valeur de la société et elle était directement liée au culte des ancêtres. Basil Chamberlain qui était professeur de langue et de philologie japonaises à l’Université de Tokyo au début du siècle dernier, établit dans Things Japanese (1905) un tableau des durées des deuils à respecter (d’une part pour l’habillement, d’autre part pour l’alimentation : pas de viande) pour les différents membres d’une famille et on y trouve : arrière-arrière-grands-parents, arrière-grands-parents, grands-parents, bien sûr parents, enfants, frères et soeurs, mais aussi neveux et nièces, oncles et tantes, et cousins germains. A son époque il était impossible pour un étranger d’épouser un Japonais et d’obtenir la nationalité autrement que par adoption. C’est ainsi que l’ami de Chamberlain, Lafcadio Hearn (voir mon Voyage, tome 3, notes 10 (suite) Lafcadio Hearn), lorsqu’il était professeur d’anglais dans la ville de Matsue et qu’on lui conseille de se marier avec une fille de samouraï, est d’abord obligé de se faire adopter par ses beaux-parents avant de pouvoir résoudre son projet matrimonial. Notons encore que le koseki est en général enregistré dans la commune d’origine de la famille. Un peu comme les Suisses, même les expatriés et leurs descendants, qui restent toujours rattachés à leur commune d’origine, une commune qui a même le devoir d’assurer la subsistance de ses membres devenus indigents (encore qu’un Suisse indigent est plutôt rare !).
La constitution de 1946 instaure à nouveau comme seul et unique critère de nationalité le fait d’être inscrit dans le registre familial. L’Allemand Gohl qui a fait une thèse sur la minorité coréenne au Japon (Gerhard Gohl : Die koreanische Minderheit in Japan als Fall einer «politisch-ethnischen» Minderheitengruppe, Wiesbaden 1976) affirme que l’institution du registre familial et le droit de la nationalité ne sont pas considérés simplement comme une affaire rationnelle, réglée par la voie administrative, mais comme quelque chose qui symbolise l’homogénéité de la nation japonaise. Et il cite plusieurs sources officielles dont celle-ci : Yoshida Kazuo : La question du registre familial et la citoyenneté, 1972 : «Le registre familial n’est établi que pour les Japonais et, de plus, il est établi pour l’ensemble des Japonais. Pas un seul étranger n’y figure. On peut dire qu’il existe une étroite et indestructible relation entre le registre familial et la nationalité» Depuis les choses ont un peu changé. Des Coréens ont pu obtenir la nationalité japonaise et les étrangers peuvent se marier avec des Japonais. Il reste que le registre familial est toujours une barrière pour l’assimilation des minorités par le mariage.
Quant on parle de minorités on peut oublier les Aïnous qui occupaient dans le temps toute l’île du Hokkaïdo et une grande partie de l’île principale de Honshu. On vient seulement maintenant de leur accorder le statut de premiers occupants du Japon. Cela ne leur fait plus ni chaud ni froid. Ils ne sont plus que 25000 et vivent dans des réserves. Et amusent les touristes.
Les Burakumin, eux, sont par contre loin d’avoir résolu leurs problèmes. Anciens intouchables (les Etas) et anciens Hinins, descendants de criminels expulsés de la société, ethniquement pourtant 100% Japonais, à qui on a donné au XXème siècle un nom anodin, Burakumin, habitants des villages, ils ont toujours autant de mal à s’intégrer. Et c’est là que le registre familial, avec sa généalogie et ses informations sur l’origine géographique de la famille, joue son rôle néfaste. Car même si un descendant Burakumin a réussi socialement et a pu cacher son origine, il lui est pratiquement impossible de se marier avec un Japonais ordinaire. Parce que c’est l’habitude, au moment du mariage, d’officialiser les registres familiaux des deux partenaires. Parce que 50% des mariages se font encore aujourd’hui avec des médiateurs (c’est le guide Etat du Japon, paru aux Editions la Découverte en 1978, qui donne ce chiffre) et que le premier devoir de ces médiateurs (nakôdos) est de rechercher les informations contenues dans le registre familial. Les chercheurs américains George de Vos et Hiroshi Wagatsuma qui avaient entrepris au cours des années 60 une vaste étude des Burakumin (Japan’s invisible race, Berkeley/Los Angeles, 1966), étude d’ailleurs étendue aux phénomènes comparables de l’Inde, de la Birmanie, etc., y ont inclus la recherche qu’un de leurs collaborateurs avait faite aux Etats-Unis même au sein des Nippo-Américains (Japan’s Outcastes in the United States). Ses observations étaient confondantes : d’abord une proportion de Burakumin particulièrement importante parmi la population immigrée japonaise, ensuite intermariage essentiellement entre descendants de Japonais, nés aux Etats-Unis (les Nisei, du japonais ni = deux), continuation des coutumes, dont le médiateur, le fameux nakôdo, qui s’enquiert des données généalogiques des registres familiaux grâce à des sociétés spécialisées au Japon, d’où annulation d’une centaine de projets de mariages et de deux mariages déjà consommés, tout ceci pour suspicion de descendance Burakumin. D’ailleurs l’indication de la commune d’origine est souvent un indice suffisant, les Burakumin vivant dans des villages bien spécifiques. Le problème est évidemment le même au Japon. Mêmes causes, mêmes effets. Et il paraît qu’aujourd’hui encore on trouve au milieu des faits divers rapportés par les journaux des suicides de fiancés ou de jeunes mariés pour cause de découverte d’un état de Burakumin caché.
Il y a encore aujourd’hui 650000 Coréens au Japon. Expliquer pourquoi ils sont si nombreux, pourquoi ils sont si méprisés par la population autochtone, m’amènerait à faire une trop longue parenthèse historique. Disons simplement que logiquement leur assimilation n’aurait dû poser aucun problème majeur. Ils sont pratiquement tous des descendants d’immigrés, forcés ou non, d’avant la guerre, leurs noms ont été japonisés pendant la guerre et ils ont été élevés et éduqués au Japon. Au moment de l’étude de Gohl (1976) il n’y avait pourtant que 50000 qui s’étaient mariés avec des Japonais et 25000 qui avaient pris la nationalité japonaise. Aujourd’hui les chiffres doivent être probablement nettement plus élevés mais les difficultés d’assimilation restent, non seulement pour eux mais aussi pour les enfants de mariages mixtes. Toujours à cause de ce fameux registre familial. Qui est un frein non seulement au mariage mais aussi à l’emploi (et à l’avancement) dans les grandes entreprises (ceci est également valable pour les Burakumin). Il n’y a qu’à lire le roman d’Amélie Nothomb (Stupeur et tremblements) pour savoir comment cela se passe dans les grandes entreprises japonaises quand quelqu’un n’est pas considéré comme faisant partie à 100% du groupe.
Et pourtant le registre familial n’est qu’un outil. S’il y a exclusion c’est que la société a des préjugés, des craintes, du mépris envers les membres d’un autre groupe humain. Sentiment de supériorité ou carrément horreur d’un monde mythique, sale et criminel. Et c’était la même chose pour l’Ahnenpass, qui n’était qu’un moyen. Moyen pour séparer. Mais derrière ce moyen il y avait un racisme immonde et irrationnel.
Au fond Esope avait raison. La langue comme la science, la télévision, l’internet, la mondialisation et… la généalogie sont neutres. C’est l’homme qui peut en faire à volonté la meilleure des choses ou la pire.