On croyait avoir atteint un sommet dans l’horreur à Gaza. Eh bien non, on arrive toujours à aller plus loin encore. Dans l’horreur et le cynisme. Le dernier en date : Netanyahou qui dit au Hamas : si vous ne rendez pas les otages d’ici le début du Ramadan, je continuerai à bombarder Rafah même pendant le Ramadan ! Et Biden continue sur le même thème : il faut à tout prix arriver à un cessez-le-feu avant le saint mois du Ramadan ! Est-ce que tu crois, ai-je écrit à mon frère, qu’il y a un seul Gazaoui qui en a quoi que ce soit à foutre du Ramadan ? De pouvoir enfin jeûner tranquillement le jour alors qu’il y a des milliers, des dizaines de milliers dont plein d’enfants et de nourrissons qui jeûnent le jour comme la nuit depuis des semaines, des mois peut-être ? Effectivement, me dit-il, justement le Canard a publié un dessin à ce sujet. Et voilà que le grand Chapatte en fait autant sur la première page du Monde :
C’est même un double cynisme parce que cela permet en même temps de rappeler aux citoyens israéliens que les gens qu’on extermine là-bas sont des musulmans, des genres de Philistins quoi, et, en plus, tellement fanatiques qu’ils ne pensent qu’à ça, jeûner tout un mois… Alors qu’on commence à voir des photos d’enfants dans les hôpitaux qui restent qui sont tellement amaigris par la faim qu’on croit revoir des images qu’on pensait ne plus jamais revoir des enfants du Biafra. Vous voulez que je vous rappelle les descriptions cliniques du Docteur Schittly, notre Alsatian Doctor, des enfants qu’il a vus là-bas ? « …de petites créatures décharnées, avec des têtes de grands vieillards et les yeux enfouis dans leurs orbites, qui vous interrogent ». Le « kwashorkor », dû au déficit de protéines : « des oedèmes généralisés », « le visage de l’enfant devient bouffi, les bras et les jambes sont boudinés, les cheveux et la peau s’éclaircissent (jusqu’au blond clair pour les cheveux), l’abdomen est rebondi. L’œdème du visage lui donne une expression figée de Pierrot lunaire ». Et, en plus, apparaissent la gale, les parasites (les terribles ascaris, vers intestinaux de 20 cm), le paludisme. Et, bien sûr, la diarrhée. Et quand toutes les réserves de graisse qu’avait le petit corps ont été absorbées, les muscles aussi, ceux des membres, des abdominaux, du visage, ce sont les muscles qui retiennent les intestins qui fondent à leur tour et « le rectum, le sigmoïde et le début du colon s’échappent, sortent par l’anus en se déplissant. Si bien qu’on peut voir des enfants marcher… penchés en arrière comme des femmes enceintes, leur gros ventre par-devant, et traînant derrière eux une queue de boyau de cinquante centimètres, dans la boue ou la poussière ». Vous voulez qu’on arrive jusque-là ?
Le Canard enchaîné constate aussi autre chose, me dit mon frère : si nous réagissons si peu en Occident à ce scandale c’est que nous ne voyons pas les images. Car Israël a interdit l’accès du théâtre de guerre à tous les journalistes. Et tire sur ceux qui y sont et appartiennent à Al Jazeerah et qui sont de toute façon tous Gazaouis. Donc tirables sans merci et sans limite. Ce que le Canard semble oublier c’est qu’il y en a qui voient les images rapportées par Al Jazeerah, ce sont ceux qui ont des paraboles et qui s’intéressent à ce qui s’y passe à Gaza, parce qu’ils ont du sang arabe dans les veines, ceux de nos quartiers. Gare au retour du terrorisme !
L’autre jour il y avait un journaliste à LCI (qui est pourtant très pro-Israël) qui racontait qu’il avait été à Sarajevo, qui a subi l’un des plus longs sièges de l’histoire, mais que si les habitants risquaient continuellement d’être les victimes de snipers serbes, jamais, ô grand jamais, ils n’ont souffert de faim. Le blocus n’a jamais été total, des passages sont toujours restés ouverts et la nourriture a toujours pu passer. A Gaza le politique de la faim est une politique délibérément assumée. Le contrôle des camions à l’entrée sud de la zone est fait par l’Armée, strictement, lentement, le plus lentement possible, et arbitrairement. Et de temps en temps il y a des citoyens israéliens qui viennent s’y mettre et essayer de les bloquer complètement. A se demander si Netanyahou et ses complices fascistes ont réussi à tuer tout reste d’humanisme chez une partie des citoyens israéliens ! Les responsables de toutes les ONG réclament un cessez-le-feu depuis des mois et n’arrêtent pas de relater la situation plus que dramatique, inimaginable, à laquelle on est arrivés, sur toutes les télés du monde (je viens encore de voir une responsable suisse de MSF à la télé de Suisse romande qui dit qu’elle n’a jamais vu ça nulle part dans le monde). Sans résultat. L’ONU, l’OMS le réclament depuis des mois. Netanyahou les insulte. Et quand Israël accepte finalement une distribution de vivres sous sa propre organisation, cela se termine par 100 tués et des centaines de blessés. Les chars ont tiré. Ne touche pas à mon char ! Alors les Américains lâchent des vivres depuis le ciel, ce qui est de toute façon ridicule étant donné les besoins réels, et cela produit encore des morts et des blessés (les parachutes ont lâché !). Et voilà que Biden, doublement embêté parce qu’il n’a pas la moindre influence sur Netanyahou, mais qui commence à se rendre compte que de plus en plus d’Américains, surtout jeunes, commencent à être révoltés par sa mansuétude pour Israël et menacent de ne pas voter pour lui, a encore une autre idée : alimenter les Gazaouis par la mer. Et demande à l’Armée de construire un port. Qu’il faille deux mois pour cela n’a pas l’air de le gêner. Et la Présidente de notre Commission européenne, grande amie d’Israël, applaudit des deux mains ! Alors qu’il serait tellement plus simple pour Biden de couper ses livraisons d’armes et de dollars !
Bien sûr on entend quand même quelques voix qui trouvent que cela commence à dépasser les bornes. Même Macron menace : vous savez, on pourrait bien reconnaître l’Etat palestinien. Netanyahou s’en fout. Il attend le retour de Trump. Et voilà que la Chine se réveille, son Ministre des Affaires étrangères, Wang Yi : « Le fait qu’aujourd’hui, au XXIe siècle, cette catastrophe humanitaire ne puisse être arrêtée est une tragédie humaine, plus encore, c’est une honte pour la civilisation ». La Chine a beau ne pas être un modèle pour ce qui est des droits humains, loin de là, je pense exactement la même chose, aux mots près. Une honte pour notre civilisation ! Notre ancien Ambassadeur des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, va plus loin. Nous Européens et Américains, et même Arabes, nous allons en souffrir pendant des années de notre inaction, de notre collaboration active ou passive à ce drame, dit-il. Il faut agir immédiatement, reconnaître l’Etat palestinien, arrêter toute livraison d’armes et couper toute coopération économique avec l’Etat d’Israël ! C’est le seul langage qu’ils comprendront ! Dominique Moisi lui répond : je suis en principe d’accord avec vous, mais quid du Hamas qui ne reconnaît pas l’existence d’Israël ? C’est justement ce qui arrange Netanyahou, répond Villepin. Il a libéré les deux chefs du Hamas qui ont organisé le massacre du 7 octobre mais laisse croupir en prison celui qui est un véritable homme politique palestinien qui parle hébreu et est clairement pour une co-existence pacifique avec Israël (il s’agit de Marwan Barghouti) !
Cela fait la 5ème fois que j’interviens sur mon Bloc-notes pour protester contre les crimes de guerre commis par Israël à Gaza (les 07/11/23, 08/12/23, 12/01/24, 10/02/24) et je continuerai tant que cela durera. Voici les faits marquants qui se sont passés depuis ma dernière note :
Le Monde du 13 février 2024 montrait les images de quelques-uns de ces massacrés de la bande de Gaza (parce que tous ont des noms et des visages). Le journaliste de 45 ans Bilal Jadallah, créateur de la Maison de la Presse de Gaza, ami du Ministre de la Culture de l’Autorité palestinienne, Atef Abu Said, celui qui avait tenu son Journal dont des extraits avaient paru dans le Monde du 5 janvier 2024 (au fait, qu’est-il devenu ?). « Inaugurée en 2013, vouée à la défense d’un journalisme indépendant, cette institution (la Maison de la Presse) a formé toute une génération de jeunes reporters gazaouis. Elle fournissait aussi des équipements de protection, un soutien juridique et de l’aide financière à une profession malmenée par l’autoritarisme du Hamas et confrontée à une situation économique précaire », écrit le correspondant du Monde à Jérusalem. L’apprentie violoniste de 14 ans Lubna Mahmoud Elian qui « rêvait de devenir une violoniste de renommée internationale », morte sous les bombes avec « ses parents et ses frères, le plus jeune n’ayant que 5 mois, ses grands-parents, ses oncles et tantes et leurs enfants respectifs ». Et Hala Khrais, 58 ans, qui tenait par la main son petit-fils Taim qui agitait un drapeau blanc. Et Reem Nabhan, 3 ans, la fillette à la robe jaune. Et le surdoué de 52 ans Sufyan Tayeh, « pur produit de la méritocratie palestinienne », (« licencié en physique en 1994 et docteur en 2007, il décroche un poste de professeur dans son université, puis la direction du département de physique, où son envergure intellectuelle est très vite remarquée. Une étude sur les oscillations de plasma lui vaut, en 2019, le prix de la Banque islamique palestinienne pour la recherche scientifique. En 2023, aboutissement de ce parcours sans faute, il prend la présidence de l’Université islamique »). Et Nahida et Samar Anton, 70 et 50 ans : les paroissiennes de la Sainte-Famille, refuge pour les catholiques du territoire (« Nahida et sa fille Samar ont été abattues de sang-froid à l’intérieur des locaux de la paroisse, où il n’y avait aucun belligérant, s’est indigné, le 17 décembre, le Patriarcat latin de Jérusalem. Sept autres personnes se sont fait tirer dessus et ont été blessées alors qu’elles essayaient d’en protéger d’autres à l’intérieur de l’enceinte de l’église »). Et Dunia Abu Muhsen, 12 ans : la collégienne orpheline qui, avant d’être tuée avait déjà subi une frappe où elle avait perdu une jambe, frappe qui « avait également été fatale à son père, sa mère, son frère Mohammad et sa sœur Dalia ». Et Khaled Masoud, 49 ans, le policier mélomane (il jouait de l’oud et organisait des concerts chez lui avec ses six enfants).
Le Monde du 15 février 2024 publie un article signé Clothilde Mraffko et Samuel Forey, intitulé La mémoire de Gaza ensevelie sous les bombes. « Plus de 200 sites culturels et historiques de l’enclave ont été détruits par les avions de chasse israéliens ». « De la mosquée Al-Omari, la toute première de Gaza, construite au VIIe siècle, il ne reste plus guère que certains pans de murs et le minaret ». « Sa bibliothèque, bâtie tout contre, et où étaient gardés de rares manuscrits dont les plus anciens datent du XIVe siècle, a subi le même sort ». « Idem pour le palais du Pacha, devenu musée en 2010, construit à Gaza sur ordre du sultan mamelouk Baïbars au XIIIe siècle ». « Le centre culturel Rashad-Shawa, rare exemple de l’architecture brutaliste en Palestine, qui date des années 1980, a été pulvérisé ». Il y avait « des cimetières grecs, des vestiges égyptiens, des marchés ottomans », le patrimoine de Gaza était riche, dit Raymond Bondin, expert maltais sur le patrimoine mondial. « L’ancien port grec d’Anthédon, le premier de l’enclave, situé au nord de la ville de Gaza, et qui figurait sur une liste indicative en vue d’un possible futur classement au Patrimoine mondial de l’humanité à l’Unesco, a été presque complètement détruit », dit-il encore. Le musée de l’Université Al Israa qui a été dynamitée par les Israéliens abritait « quelque trois mille rares artefacts qui remontaient aux ères préislamique, romaine et islamique, a fait savoir la direction de l’université dans un communiqué sur Facebook, condamnant l’explosion... On ne sait pas si les Israéliens ont pillé ce qu’ils y ont trouvé ou s’ils l’ont tout simplement détruit, s’émeut Anwar Abu Eisheh, ancien ministre de la culture de l’Autorité palestinienne. C’est une guerre israélienne contre les Palestiniens dans tous les domaines. Pour prouver qu’il n’y a pas de peuple palestinien et qu’il n’y a même pas de patrimoine palestinien ». C’est aussi un génocide culturel.
Le Monde du 16 février 2024 nous apprend qu’une « cargaison d’aide alimentaire des Nations unies, destinée à nourrir plus d’un million de Gazaouis durant un mois » est bloquée au port d’Ashdod par une directive du Ministre des Finances Bezalel Smotrich, représentant de l’extrême-droite religieuse. La cargaison est constituée de « 1 049 conteneurs qui contiennent principalement de la farine, mais aussi de l’huile de cuisson, des pois chiches, du sucre et du riz ». Smotrich prend comme prétexte que c’est l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) qui a orchestré cette livraison et qu’elle serait : « un élément central de la machine de guerre des terroristes nazis du Hamas ». Les nazis dénoncent toujours leurs ennemis d’être des nazis. On connaît cela aussi chez Poutine qui accuse Zelensky d’être un Nazi. Alors que l’UNRWA créée en 1950 pour venir en aide à la population palestinienne chassée de ses terres était bien utile à Israël pour s’occuper de tous ces déplacés. Alors tout-à-coup on découvre qu’une douzaine de membres de l’UNRWA auraient participé ou aidé le Hamas lors du massacre du 7 octobre. Alors qu’ils sont 13000. Lazzarini les a immédiatement licenciés avant d’avoir les preuves de leur culpabilité. L’UNRWA dispose également de trois mois de stock en Egypte. Mais là c’est l’Armée israélienne qui fait tout pour ne laisser passer les camions qu’au compte-gouttes. Et des civils s’en mêlent. Des activistes bloquent les camions, obéissant « à la logique d’une partie de la droite israélienne, qui milite pour un siège total et une épuration ethnique de Gaza », écrit le journaliste. Et quand l’Armée les refoule c’est l’autre « fasciste », le Ministre de la Sécurité nationale, le suprémaciste juif Itamar Gvir qui proteste…
Le Monde du 17 février relate l’assaut par les troupes israéliennes de l’hôpital Nasser à Khan Younès. La journaliste Clothilde Mraffko a eu accès à deux vidéos tournés sur place. L’une par le docteur Mohammed Harara qui « se filme, errant dans une salle de l’hôpital… Tout autour, les débris d’une explosion jonchent le sol, l’air est saturé de poussière ». L’autre tournée par le journaliste palestinien Mohammed Salama « montre des patients évacués dans le chaos, après une frappe sur le service d’orthopédie, qui a tué un malade ». Au moment de cet assaut l’hôpital Nasser est le plus important complexe hospitalier encore en service dans la bande de Gaza. « Face à l’assaut, plus de 400 personnes, dont 191 patients, ont été transférées dans une aile de l’hôpital, sans eau ni nourriture, selon le ministère de la santé local. D’après la même source, 5 patients qui étaient traités dans l’unité de soins intensives, ont trouvé la mort, en raison d’une pénurie d’oxygène ». « L’hôpital Nasser de Khan Younès a été touché par des tirs d’obus tôt ce matin, alors que l’armée israélienne avait annoncé au personnel médical et aux patients qu’ils pouvaient rester dans l’hôpital a rapporté Médecins sans frontières (MSF), faisant état d’un nombre indéterminé de personnes tuées et blessées ». « L’assaut sur l’hôpital Nasser s’est d’ailleurs déroulé selon un schéma similaire aux attaques infligées à la plupart des hôpitaux du nord de Gaza ces derniers mois : Al Shifa, Kamal-Adwan, Al-Awda, Al-Rantissi… », écrit la journaliste.
Le journaliste Mohammed Al-Helou donne des détails sur la façon dont s’est déroulé la phase finale de l’assaut. Après avoir demandé l’évacuation complète de l’hôpital par un message en arabe sur mégaphone, « les soldats ont ensuite envoyé un jeune Palestinien qu’ils détenaient relayer leur ordre auprès des quelque 10 000 déplacés ainsi que des centaines de patients et de soignants présents dans l’hôpital. Une vidéo montre ce jeune homme, en combinaison blanche de protection, hagard, les mains liées et un bandeau sur la tête, argumentant avec des déplacés. Quand il est revenu vers les soldats, comme ceux-ci le lui avaient ordonné, ils l’ont exécuté de sang-froid, de trois balles, à l’intérieur de l’enceinte du complexe ». L’OMS avait demandé que l’hôpital Nasser soit protégé. C’est la colonne vertébrale du système de santé dans le sud de Gaza, avait déclaré le Directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Les attaques contre le système de santé palestinien ont touché « 98 établissements de santé ; 27 hôpitaux sur 36 ont été endommagés » et causé la mort de 645 Palestiniens (au 7 février 2024) et fait 818 blessés, déclare encore l’OMS.
Le Monde du 23 février revient sur la situation de la famine. Au nord « les habitants pétrissent désormais un ersatz de pain avec des graines ou de la nourriture pour animaux moulue – juste de quoi rester en vie ». C’est un infirmier de MSF, M. Siam, qui l’explique au téléphone : on n’a plus de farine. Ils n’ont plus d’argent non plus, les banques sont fermées. Donc on ne peut plus rien acheter, de toute façon on ne trouve plus rien ou alors, pendant de très courts moments, quelques produits à des prix astronomiques. Le responsable du Programmes alimentaire mondial déclare qu’en ce qui concerne cette zone où vivent encore 300000 personnes : « un enfant de moins de 2 ans sur six souffre de malnutrition aiguë ». « Chaque jour, des personnes âgées perdent la vie faute d’absorber assez de nutriments, parce que la nourriture n’est pas saine. On survit sans protéines naturelles, ni fruits ni légumes, rien… », déclare encore M. Siam. Et un autre témoin raconte : les habitants « ramassent des herbes, des graines de n’importe quelle sorte, et se servent de ça pour survivre. Mais, surtout, les gens ne mangent pas. Souvent, ils restent plusieurs jours sans un repas ». Cela me rappelle ce que racontait cette femme qui vivait à Berlin lorsque les Russes sont arrivés et les ont violées : elles ramassaient les orties pour se faire des soupes d’orties ! Au sud où il y a quand même un peu de nourriture distribuée il n’y a plus que des boîtes de conserve. « Les récoltes ont été anéanties dans les champs dévastés par les bulldozers et les bombardements israéliens, les poulets et poissons d’élevage tués et engloutis depuis des mois maintenant. Le port de Gaza et la plupart des embarcations ont été pulvérisés par les bombardements ». De tous les crimes de guerre dont on accusera Israël après la fin de cette guerre, le plus facile à démontrer sera celui de l’utilisation de la famine, dit un autre témoin. C’est d’autant plus scandaleux que les camions sont là : des centaines à Kerem Shalom, porte d’entrée depuis Israël et des milliers côté égyptien, d’après Scott Anderson, le directeur adjoint de l’UNRWA. Mais bloqués par les contrôles sans fin de l’Armée. Autre problème : la sécurité. Quand les gens sont à ce point affamés ils ne se contrôlent plus. Et les policiers qui ont survécu se terrent. Ils sont systématiquement visés par des snipers. « L’enclave n’est plus gouvernée ; les services publics se sont effondrés, les infrastructures ont été largement détruites », écrit la journaliste. Et M. Siam confirme : « Les ordures sont partout dans les environs autour de ma maison. Les bulldozers ont emporté les pavés, les rues, les fondations des infrastructures urbaines. Quand il pleut, tout s’écoule dans les rues ». Le réseau d’assainissement a été anéanti. Toutes les usines de traitement des eaux usées sont hors service, sauf celle de Rafah. Le réseau d’approvisionnement d’eau est également très gravement endommagé et une seule usine de dessalement est encore en service, dans le sud. L’OMS met en garde à ce sujet : « La bande de Gaza est en proie à la « combinaison mortelle » que forment la faim et la maladie ». « Les enfants affamés, affaiblis et profondément traumatisés sont plus susceptibles de tomber malades, et les enfants malades, notamment ceux souffrant de diarrhée, ne peuvent pas bien absorber les nutriments. C’est dangereux et tragique, et cela se déroule sous nos yeux ».
Dans le Monde du 27 février 2024 la correspondante du journal en Egypte, Ghazal Golshiri raconte le voyage qu’elle a fait en compagnie de deux cents jeunes Palestiniens dans un avion des Emirats arabes unis, soit blessés par les bombardements soit atteints de maladies graves, et qui ont pu quitter l’enclave temporairement pour être soignés dans des hôpitaux des Emirats. « Parmi les patients, beaucoup souffrent de complications secondaires, par exemple une infection des os après une première amputation, qui, parfois, demande une amputation supplémentaire du membre affecté », explique Maha Barakat, Vice-Ministre des affaires étrangères, qui chapeaute les évacuations. La journaliste est particulièrement touchée par le cas d’une fillette de 11 ans, Faten Abdelkarim Aziz, blessée dans un bombardement, « alors qu’elle était sortie dans la rue acheter à manger avec ses deux petits frères ». L’un des frères, sept ans, est tué sur le coup. L’autre frère, neuf ans, est gravement blessé et meurt à l’hôpital. Faten est éborgnée, défigurée pour la vie. Leur mère l’accompagne dans l’avion avec son petit frère de cinq ans. « Depuis la mort de ses deux frères, Faten ne parle que très peu. Avant, elle était très mignonne… », confie la mère à la journaliste. « Et son petit frère est en colère. Il voudrait mourir pour rejoindre ses frères ». « Quant à ma vie elle est partie avec eux, mais je dois rester forte pour ma fille ».
Le Monde du 2 mars 2024 raconte la livraison d’aide alimentaire qui a viré au bain de sang. « Le convoi a été affrété sans aucun dialogue avec les agences des Nations unies qui assument l’essentiel de l’aide à Gaza, ni avec l’administration civile, assimilée par Israël au Hamas, et sans que les habitants soient canalisés », racontent les journalistes Samuel Forey, Louis Imbert et Clothilde Mraffko. 38 camions étaient prévus, mais dès que les premiers avaient franchi le poste de contrôle israélien, les gens se sont jetés dessus. Ce qu’on pouvait prévoir. Bientôt ils sont des milliers. Et bientôt les tirs claquent. Une vidéo diffusée par la télé qatarie montre une foule qui se replie sous les tirs. L’armée israélienne ne nie pas les tirs, mais prétend qu’ils n’étaient pas dirigés vers la foule et dit que ce sont les bousculades qui auraient provoqué morts et blessés. Or le docteur Mohammed Salha, Directeur par intérim de l’Hôpital Al-Awda qui a reçu 176 blessés, a déclaré par téléphone au Monde : « « Nous avons observé des blessures par balle, sur toutes les zones du corps, les mains, les jambes, l’abdomen ou la poitrine », et ajoute ne pas avoir constaté de blessures laissant penser à une bousculade. La Présidente de Médecins sans frontières avait mis en garde : « la population est affamée, inquiète. Distribuer de l’aide dans ses conditions, c’est très dangereux ». Mais à partir du moment où les Israéliens considèrent que toute l’administration, tous les responsables de quelque institution que ce soit, hôpitaux en particulier, et surtout la police, sont des agents du Hamas, le chaos est inévitable. Cela me fait penser à l’Irak, où les Américains du fils Bush ont considéré que tous les cadres, en particulier ceux de l’Armée, étaient des affidés de Saddam Hussein, et les ont emprisonnés ou licenciés, ce qui a, là aussi, créé le chaos et constitué le noyau de l’Etat islamique en formation.
Le problème c’est que chaque jour le problème de la faim devient plus dramatique. « Selon le ministère de la santé de Gaza, dix enfants sont morts de malnutrition ces derniers jours dans le nord de Gaza », écrivent les journalistes. « Le photographe gazaoui Moussa Salem a publié sur son compte Instagram plusieurs clichés de petits corps enveloppés dans des linceuls à l’hôpital Kamal-Adwan, à Beit Lahya, tout au nord de l’enclave ». « Un quart de la population de Gaza est proche de la famine, 15 % des enfants de moins de 2 ans dans le nord de Gaza souffrent de malnutrition aiguë selon le Programme alimentaire mondial (PAM) – le pire niveau de malnutrition infantile au monde ».
Le même numéro du journal Le Monde comporte un éditorial intitulé L’inacceptable stratégie israélienne du chaos à Gaza. On y lit : « Après le broyage méthodique de l’étroite bande de terre, transformée par une armée en roue libre en champ de ruines au prix d’un terrible bilan humain, ce projet passe désormais par la destruction de la moindre forme d’administration. Il ne s’agit pas seulement de celle du Hamas. La tentative de mise à mort de l’UNRWA, l’agence onusienne chargée des réfugiés palestiniens dont le travail est crucial à Gaza, s’inscrit dans cette perspective. Ce dessein israélien est confirmé par le refus obstiné du premier ministre, Benyamin Nétanyahou, de permettre le retour d’une autorité palestinienne « revitalisée », selon le souhait du Président des Etats-Unis, Joe Biden, pour supplanter le Hamas. Israël veut que règne le chaos ». Et plus loin : « Les alliés de l’Etat hébreu, à commencer par les Etats-Unis qui arment son bras sans s’émouvoir des crimes de guerre qu’ils permettent, comme les Européens, ont le choix. Ils peuvent s’accommoder par faiblesse de cette stratégie… Ils peuvent, au contraire, décider d’instaurer un début de rapport de force s’ils sont convaincus que la protection des civils sur une terre pour laquelle Israël ne peut se prévaloir d’aucun droit reconnu internationalement est le préalable à la moindre perspective politique, refusée par ailleurs obstinément par Benyamin Nétanyahou. Il s’agit d’un choix difficile, surtout après des années de lâche désintérêt, mais il n’y pas d’alternative à la honte ». La honte. Oui, la honte ! C’était aussi le sens de l’intervention de Villepin sur LCI. Si on ne fait rien, cette honte nous poursuivra longtemps !
Et pendant ce temps les Israéliens n’oublient pas la Cisjordanie et y multiplient les opérations meurtrières. Voir les tableaux et les chiffres établis par le Monde du 4 mars 2024 sous le titre : Cisjordanie, l’autre guerre d’Israël. L’une des principales sources est l’OCHA (Office de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies). Voici leurs chiffres : 406 Palestiniens (dont 103 enfants) ont été tués en Cisjordanie, y compris à Jérusalem Est et en Israël entre le 7 octobre 2023 et le 29 février 2024. 848 Palestiniens ont été déplacés à la suite de la destruction de leur habitation au cours d’opérations menées par les forces de sécurité israéliennes. 595 attaques ont été commises par des colons israéliens à l’encontre de Palestiniens. L’organisation des prisonniers palestiniens signale que 7270 Palestiniens ont été arrêtés pendant la même période. Et l’ONG israélienne La Paix maintenant indique que 26 nouvelles colonies illégales ont été établies dont 10 depuis le 7 octobre 2023.
Dans le Monde du 7 mars 2024 on trouve trois articles qui traitent du conflit. L’article intitulé Après cinq mois de guerre, Gaza livrée à la faim et au chaos, de Samuel Forey et Louis Imbert revient une fois de plus sur ce terrible duo, faim et chaos. Et sur cette destruction systématique de l’administration locale et des infrastructures. « Près de 300 000 habitants demeurent livrés à eux-mêmes, dans cette métropole qui en comptait plus d’un million avant-guerre et où toute autorité, toute forme d’administration ont été broyées », écrivent-ils. Des bénévoles cherchent à désagréger quelques gravats, « nettoyer un peu, ensemble, des montagnes d’ordures qu’aucune autorité ne ramasse plus depuis des mois, qui empuantissent l’air et font craindre la maladie ». Quelques employés de la mairie avaient encore essayé de se rendre utiles jusqu’à ce que les Israéliens aient bombardé le garage dans lequel ils avaient abrité les véhicules qui leur restaient et qu’ils avaient signalé à la Croix Rouge. Scott Anderson, le Vice-Président de l’UNRWA, estime que dans certains quartiers de Gaza 90 à 100% du bâti est détruit. Et qu’il faudra une décennie pour reconstruire. Si Netanyahou le permet. Lui qui cherche pour le moment à détruire toutes les infrastructures administratives parce que, pour lui, elles appartiennent toutes au Hamas. Comme l’UNRWA, sa bête noire. « Or, l’agence joue à Gaza le rôle d’un embryon d’Etat, gérant notamment la plupart des écoles », écrivent les journalistes. « Aucune autre institution, sinon un Etat, n’a la capacité de scolariser tous ces enfants, après un cessez-le-feu, et avant qu’une transition politique ait lieu, ce qui pourrait prendre deux ou trois ans », estime le directeur de l’agence, Philippe Lazzarini.
Le deuxième article parle justement du système d’éducation ravagé, en particulier les universités. L’article est intitulé : Les douze universités ciblées et dévastées : c’est une guerre contre l’éducation et est signé Ghazal Gholshiri. Avec ce sous-titre : L’intégralité des établissements d’enseignement supérieur de l’enclave palestinienne a été ciblée par les forces israéliennes. Trois présidents de campus et près de cent doyens et professeurs ont été tués dans les bombardements. « Les douze universités de la bande de Gaza ont été détruites, au moyen de frappes aériennes ou de plastiquages », écrit le journaliste. Selon l’ONU, « au début du mois de janvier, environ 75 % des infrastructures éducatives de l’enclave avaient été endommagées ». En laminant ainsi tout l’enseignement supérieur de Gaza, Israël démontre l’aspect génocidaire de son intervention à Gaza. En tuant la culture on tue un peuple. « Quelque 88000 étudiants ont dû interrompre leurs études », constate le journaliste. Où, quand et comment pourront-ils reprendre leur cursus ? S’ils survivent. « Certains établissements de Gaza ont été d’abord transformés par l’armée israélienne en caserne ou en centre de détention, avant d’être démolis. C’est le cas de l’Université Al-Israa, pulvérisée par un bombardement dont les images ont circulé sur les réseaux sociaux… Le principal site de l’université Al-Azhar, dans la ville de Gaza, et sa branche dans la zone d’Al-Mughraqa ont été, eux, rasés, en trois frappes aériennes successives ». « Ce qui se déroule à Gaza est une guerre contre l’éducation », déclare Zaher Kuhail, le fondateur et ancien président de l’université de Palestine, et qui est Docteur en génie civil d’une université britannique. « Nous avons construit des infrastructures académiques avec notre sueur, notre sang et grâce aux dons. L’équipement des laboratoires de notre université nous avait pris énormément de temps, parce que le matériel devait passer les douanes israéliennes. Nous n’avions même pas fini de réparer les dégâts causés par la précédente guerre, en 2014. Combien de temps nous faudra-t-il, cette fois-ci, pour tout reconstruire ? », dit-il. Et Akram Habib, qui enseignait la littérature anglaise à l’université islamique de Gaza, la plus prestigieuse de l’enclave dit : « On formait l’élite de Gaza. Mes anciens étudiants et étudiantes sont devenus ambassadeurs, avocats, ingénieurs, policiers et professeurs. Aujourd’hui, beaucoup sont morts ». Pour lui cette guerre n’a qu’un seul objectif : faire de Gaza un territoire inhabitable.
Le troisième article montre encore un autre aspect de cette guerre : ce n’est pas seulement la culture d’un peuple qu’il faut détruire, mais aussi sa mémoire. Voir : Près de la moitié des cimetières de l’enclave ont subi des destructions, article signé Madjid Zerrouky. « Des tombes détruites, des restes humains sortis des sépultures et dispersés au gré d’une terre retournée : des dizaines de vidéos et de photos, tournées et prises par des habitants ou journalistes gazaouis, ont permis de documenter la destruction d’au moins huit grands cimetières du territoire palestinien depuis le début des opérations au sol de l’armée israélienne », écrit le journaliste. La chaîne américaine CNN, grâce à des images satellites, avait identifié, à la date du 20 janvier 2024, seize cimetières détruits, dont celui de Bani Souhaila. La cellule d’enquête vidéo du Monde a analysé, elle aussi, des images satellites et a constaté qu’à la date de ce même 20 janvier, sur les quarante-cinq cimetières répertoriés dans la bande de Gaza, vingt-deux ont été endommagés ou totalement rasés depuis le 7 octobre, soit la moitié. Toucher aux morts c’est aussi humilier, faire mal, blesser, estime Donatella Rivera, enquêtrice pour Amnesty International. Encore une façon d’imposer une punition collective, dit-elle.
Dans ce même numéro du journal Le Monde, on trouve également un éditorial qui fustige une fois de plus à la fois la politique de terre brûlée d’Israël et l’impuissance honteuse de l’Occident. Voir : Gaza : l’injustifiable politique de la terre brûlée d’Israël. « Le libre cours donné à la puissance de feu a pour conséquence d’abolir la distinction entre cibles civiles et militaires » y lit-on. L’armée israélienne donne des raisons tactiques : imbrication des infrastructures du Hamas dans le tissu urbain et densité urbaine parmi les plus élevées du monde. Mais ces raisons ne tiennent pas, dit l’éditorial, si on écoute ce que dit le colonel Yogev Bar-Shesht, un responsable de l’administration civile (en fait, militaire) chargée des territoires palestiniens : « Quiconque reviendra ici, s’ils reviennent ensuite, trouvera une terre brûlée. Pas de maisons, pas d’agriculture, rien. Ils n’ont pas d’avenir ». « Les témoignages publiés par Le Monde donnent tout son sens à la formule de la terre brûlée », écrit l’éditorialiste. « Elle vise tout autant la mémoire, avec la profanation à une échelle industrielle des cimetières de Gaza, que l’avenir, justement, du fait de la destruction des universités de l’étroite bande de terre et de centaines d’écoles. En janvier déjà, les Nations unies estimaient que les neuf dixièmes avaient subi des « dommages significatifs ». Et les dévastations ne s’arrêtent pas là. Les images satellites montrent aussi les dommages infligés par les opérations de l’armée israélienne aux terres agricoles sur lesquelles pèse en outre la menace de la création d’une zone tampon le long du territoire israélien ».
Et l’éditorialiste vient alors à évoquer le rôle des Occidentaux. « La frustration exprimée par les alliés occidentaux d’Israël à propos des difficultés d’acheminement de l’aide alimentaire vers un territoire menacé d’une famine créée de toutes pièces par l’Etat hébreu préfigure la bataille qui devrait être impérativement livrée pour rebâtir Gaza, une fois les combats achevés et les otages encore vivants enfin libérés, un horizon qui ne cesse malheureusement de s’éloigner… Sans pressions réelles sur l’Etat hébreu, aucune reconstruction véritable ne pourra être menée à bien dans une bande de Gaza rendue en bonne partie inhabitable. Mais il est inutile d’invoquer la solution des deux Etats si ce territoire martyrisé reste un champ de ruines. Les efforts des Etats-Unis et des Européens, qui prétendent tous à un rôle dans ce conflit, devraient porter en priorité sur la levée des obstacles dressés par l’Etat hébreu. Dans ce contexte tragique, les largages alimentaires effectués par les Etats-Unis et d’autres pays pour tenter de répondre à l’urgence ne doivent pas être pris pour autre chose que ce qu’ils sont : une preuve d’impuissance face à l’intransigeance israélienne, ou d’absence de volonté ».
J’en resterai là pour aujourd’hui.