Hier cela faisait déjà deux mois que ce terrible massacre du 7 octobre avait eu lieu. On avait tout de suite ressenti toute la sauvagerie de cette opération. D’abord le fait que c’étaient des jeunes faisant la fête qui étaient massacrés, méthodiquement poursuivis. Puis on a appris qu’il y avait eu des horreurs, des gens brûlés vifs dans leurs maisons. Des enfants très jeunes enlevés avec des femmes, des vieillards. Et maintenant on apprend que, pire encore, des agressions sexuelles, des viols ont été commis, des actes encore plus ignobles.
Alors, depuis c’est l’engrenage. Et maintenant l’horreur est à Gaza. Et elle dure. Depuis deux mois. La représentante en France de la Palestine, Hala Abou Hassira, qui est elle-même originaire de Gaza et dit avoir perdu 60 personnes de sa famille, parle, dans l’interview qu’elle a accordée hier au Journal L’Humanité (le 7 décembre 2023), de génocide. « Le terme de génocide n’est pas démesuré, c’est la réalité de Gaza qui l’est ». Et elle n’est pas la seule à le penser. « Les Palestiniens à Gaza vivent dans une horreur totale qui ne fait qu’empirer », a dit il y a deux jours Volker Türk, le haut-commissaire des Nations Unies aux réfugiés. Le chef des opérations humanitaires des Nations Unies, Martin Griffith, qualifie la situation d’« apocalyptique ». Aujourd’hui le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres (l’honneur de l’Europe) a invoqué le paragraphe 99 de la Constitution des Nations Unies pour demander une réunion d’urgence du Conseil de sécurité auquel a été soumis une proposition de résolution soumise par les Emirats Arabes Unis et soutenue par 100 pays. La résolution demandait un cessez-le-feu humanitaire et la libération des otages. Treize pays ont voté en faveur dont la Chine, la Russie et la France, un s’est abstenu, la Grande Bretagne (toujours aussi suiviste des US) et les Etats-Unis ont opposé leur veto. Une fois de plus.
Et, pourtant, n’est-ce pas à un génocide que nous assistons ? N’est-il pas exact que Netanyahou a discuté avec l’un de ses conseillers d’un moyen de réduire la population palestinienne ? Ne voudrait-il pas pousser les Gazaouis vers l’Egypte, le Sinaï ? Ne fait-on pas de Gaza un désert de pierres ? 1,9 millions de Gazaouis ont été déplacés (80 % de la population). D’abord du nord au sud, puis du sud on ne sait où. Près de la moitié des habitations ont été détruites d’après les Nations Unies (des centaines de milliers d’appartements d’après Hala Hassira). Les bombes utilisées ont également détruit toutes les infrastructures. Si les Israéliens inondent les tunnels avec de l’eau de mer comme ils en ont annoncé avoir l’intention, le sel contaminera pour toujours les eaux souterraines. « Aujourd’hui (le 7 décembre) on approche les 16000 morts, dont 75% de femmes et d’enfants et 93% de civils », dit encore Hala Hassira. Soit dit en passant, certains intervenants à la télé on dit qu’il fallait comprendre l’émotion créée en Israël rien que par le nombre de tués. Si on comparait à la population française, ont-ils dit, les 1200 victimes représenteraient dix fois plus, soit 12000 massacrés ! Que représenteraient ces 16000 victimes gazaouies (ou 17000 aujourd’hui) par rapport à la France ? Si on comparait à la population locale, pratiquement un demi-million ! Et ce n’est pas tout : « On parle de 36000 blessés et 6000 civils sous les décombres. Au total cela porte à près de 60000 le nombre de personnes tuées ou blessées. Du fait des bombardements des hôpitaux, de la pénurie des médicaments, des tirs sur les soignants et les ambulanciers, la plupart ne survivront pas », dit encore Hala Hassira. On voit les images à la télé, on voit des médecins opérer à terre et on entend les déclarations catastrophées des responsables de la Croix Rouge, de l’UNRWA, et surtout de Médecins sans Frontières qui a envoyé une protestation forte aux Nations Unies les rendant responsables (et donc les Etats-Unis) de la catastrophe humanitaire sans nom. 50% des Gazaouis souffrent de faim ! 75% des magasins sont fermés, et les vivres n’arrivent pas. L’eau manque. Les maladies se propagent. L’UNRWA a perdu une centaine de ses collaborateurs, souvent avec leurs familles. Et on est tout près du chaos. Plus d’ordre public. Voilà ce que disait Hala Hassira hier (7 décembre) : « Du fait du blocus, la population essaye de se ravitailler dès 5 heures du matin. A midi il n’y a plus rien. Mes neveux patientent des heures en vain pour une goutte d’eau. Dans ma famille, 20 personnes, dont des enfants, se partagent parfois une boite de conserve… Des familles de 30 à 100 personnes se rassemblent sans eau, sans possibilité de se laver, de s’hydrater. De nombreuses maladies se développent. Dans la partie nord de Gaza, 50000 femmes enceintes seront contraintes d’accoucher dans des conditions sanitaires catastrophiques et dangereuses depuis la mise hors service des hôpitaux ». La plupart des habitants sont hébétés. Ce soir on a vu à C à vous les images et les paroles désespérées d’un poète et professeur à l’Université de Gaza, connu de Bernard Guetta, d’abord après avoir perdu sa famille puis, juste avant que lui-même soit tué par les bombardements. « A chaque coup de fil on fait ses adieux », dit Hala Hassira, « Jamais je n’aurais imaginé entendre mes frères pleurer ». Nos amis, ici à Luxembourg, membres du Comité pour une Paix juste au Proche-Orient, racontent la même chose, le désespoir profond de ceux avec lesquels ils arrivent encore à communiquer. Un ami gazaoui qui est tellement anéanti qu’il n’arrive même plus à parler. Une amie de Cisjordanie qui se terre chez elle après avoir essuyé des tirs de colons dans sa voiture quand elle voulait se rendre de Jénine à Ramallah. Car le génocide touche aussi la Cisjordanie. Depuis deux mois plus de 200 Palestiniens ont été tués dans cette autre partie de la Palestine. « Près de 300 », dit Hala Hassira. « Avec la bénédiction de l’Armée et du Gouvernement israéliens qui arment les colons ». « 3680 personnes, dont des enfants, ont été arrêtées ces deux derniers mois. Ils n’ont été ni jugés, ni inculpés ». Car c’est là un autre scandale. Comment peut-on garder des prisonniers, quelquefois un temps indéterminé, sans jugement ? Sur les 12000 prisonniers politiques palestiniens incarcérés à ce jour dans les geôles israéliennes, y compris des femmes et des enfants, combien le sont sans jugement et sans inculpation ? Plusieurs milliers. Est-ce digne d’une démocratie ?
Netanyahou, fort de l’appui américain à l’ONU, va continuer sa guerre et ses bombardements. Sacrifiant du même coup les otages. Leurs familles le lui reprochent. D’ailleurs une majorité d’Israéliens veut sa peau. Et il est probable qu’à un moment ou un autre une commission d’enquête va être constituée pour établir la responsabilité de l’échec à prévoir et à combattre efficacement le massacre du 7 octobre. Mais il ne sera jamais jugé pour ce qui est son crime véritable : sa politique et les buts poursuivis. Rendre un Etat palestinien impossible pour toujours, favoriser le Hamas pour affaiblir l’autorité palestinienne, ignorer l’existence de 5 millions de Palestiniens. Elie Barnavi a parlé de politique gouvernementale imbécile. Il aurait dû dire : criminelle ! Aujourd’hui on apprend que le Qatar envoyait l’argent pour le Hamas (destiné en principe au paiement des fonctionnaires) par avion jusqu’à Tel Aviv d’où il était amené par l’Armée, la fameuse Tsahal, à Gaza ! Quelle hypocrisie !
De toute façon quelle va être la suite ? La majorité à la Knesset est toujours d’extrême-droite. Si les Israéliens sont opposés à Netanyahou, la majorité approuve néanmoins la continuation de l’intervention. On est toujours dans l’émotion (et ça se comprend) de l’après 7 octobre. Et les révélations sur les exactions sexuelles vont, bien sûr, la raviver (et cela aussi on le comprend). Plusieurs intervenants, à la télé, dont Bernard Guetta, disent que Netanyahou et Israël sont tombés dans le piège tendu par le Hamas et que le Hamas a déjà gagné puisqu’on reparle enfin de la solution des deux Etats (même Biden). Je n’y crois pas. A la solution. Bien trop tard. Mais ce que je crois c’est qu’il est au moins grand temps d’arrêter le massacre, celui des Gazaouis.
Note : Voir aussi ma note du 7 novembre intitulée : Pauvre Israël, pauvre Gaza, pauvre Palestine.