L'année dernière à la même époque j'étais tellement dégoûté de l'état du monde (et incapable de me débarrasser des images mentales du massacre du Bataclan) que j'avais écrit que j'arrêterai d'écrire sur la politique, l'économie, la société, la culture (qu'elle repose en paix!) et que je ne m'intéresserai plus qu'à la littérature. Voeu pieux. Très vite je suis revenu à mes vieux démons. Au point même que j'ai battu le record de notes en une année alors que seules trois ou quatre de mes notes ont parlé de littérature.
Mais aujourd'hui je vis un drame bien pire. Beaucoup plus terrible. Parce que personnel. Mon aimée, l'amour de ma vie est au plus mal. Et toute envie d'écrire semble définitivement tarie. Alors que le monde semble pourtant aller encore plus mal que l'année dernière. Encore plus mal que tout à l'heure, aurait dit Boris Vian. Et que le cauchemar Trump est devenu réalité. Alors j'ai puisé dans mes anciens écrits et retrouvé cette note qui parlait d'Israël et de Palestine, une note écrite il y a presque 4 ans, le 17 avril 2013, et trouvé que non seulement elle est toujours d'actualité, de plus en plus d'actualité, puisque l'une des toutes premières mesures prises par Trump était de nommer comme Ambassadeur en Israël un homme opposé lui aussi à la solution des deux Etats comme le sont ouvertement la plupart des faucons du gouvernement Netanyahou. Et qu'en plus il n'y avait pas une virgule à y changer...
Voici cette note, intitulée La défunte solution à deux Etats. Et on notera en passant qu'il y a 4 ans j'étais déjà pas mal désabusé...
...
Cela fait un moment que je n’écris plus de billets d’humeur. Ce n’est pas que l’envie me manque. L’économie (la connerie de l’austérité extrême), l’idéologie libérale, le déficit commercial de la France, le dévoiement de la démocratie en Occident, l’Islam et l’islamisme, les mœurs. Les sujets ne manquent pas. Mais à quoi bon ? Qui me lit ? Quelle efficacité ? A quoi bon, à mon âge, m’énerver, stresser ? Je préfère de loin m’occuper de littérature. La littérature est éternelle. Elle est mon plaisir.
Mais de temps en temps cela déborde. J’ai la colère. En ce moment c’est Israël. Je n’aime pas critiquer Israël. Surtout sur le net. Et quand j’en parle je le fais toujours avec mesure. Car dès qu’on critique on est immédiatement taxé d’antisémite. Ce qui me fait horreur. Je déteste tout ce qui est manifestation d’antisémitisme. J’ai toujours aimé la culture juive, toujours souffert avec eux de leurs persécutions séculaires, ai eu honte, profondément honte, en tant qu’Européen, de ce crime indicible, mécanique, industriel, qu’a été la Shoah. Me suis intéressé au yiddish, à la musique Klezmer, ai eu de nombreux amis juifs, aurais pu être juif moi-même. Et m’élève violemment contre cet amalgame : critique d’Israël = antisémitisme qu’ont réussi à installer les politiciens d’Israël et certains milieux juifs d’Occident. Encore tout dernièrement, ici au Luxembourg, à l’occasion de l’installation d’un nouveau rabbin, en présence de tous les corps constitués et des représentants d’autres confessions, un rabbin venu de Moscou a affirmé que l’antisémitisme n’était plus dirigé contre des individus mais contre une collectivité : il était devenu antisionisme. Et personne n’a relevé cette énormité. D’un autre côté, si on me traite d’antisémite à cause de cette note je ne serai pas en si mauvaise compagnie puisque, quand Stéphane Hessel est mort, la Ligue de la défense juive publiait ce communiqué sur son site : « Stéphane Hessel, l’antisémite, est mort ! Champagne ! », et je me souviens encore de la violente attaque qu’avait subie Edgard Morin (de la part d’Alain Finkelkraut entre autres) à cause d’un article critique à l’égard de la politique israélienne qu’il avait publié dans Le Monde.
[Shimon Peres] Alors, mon coup de sang ? Shimon Peres qui vient à Paris déclarer qu’il n’y a qu’une solution envisageable pour la paix c’est la solution à deux Etats. Alors qu’on sait parfaitement que Netanyahou y est viscéralement opposé depuis toujours, que de toute façon la colonisation systématique entreprise depuis ces dix ou vingt dernières années l’a rendue impossible (ce qui était son but), qu’on est même arrivé aujourd’hui à une situation devenue pratiquement irréversible, que le même Netanyahou vient de former un Gouvernement avec un Ministre de la défense totalement opposé au gel de la colonisation et qui a, dans le passé, traité les Palestiniens de « cancer », avec un Foyer juif dont le chef, Naftali Bennett, a déclaré qu’un Etat palestinien représenterait un suicide national, et qui aura des postes clés : Ministre du commerce et de l’économie (avec autorité sur les affaires religieuses, Jérusalem et la diaspora juive) et Ministre du Logement (donc de l’expansion des colonies). Et voilà que Obama vient en Israël comme un ancien Empereur germanique à Canossa, s’excuser de son discours du Caire et de son insistance à demander le gel des colonies, qu’il vient dire à Abbas qu’il reconnaît que la poursuite de la colonisation n’est « ni constructive, ni adéquate, ni de manière à faire avancer la cause de la paix » mais qu’il faut discuter quand même sans en exiger au préalable le gel ! Et à Jérusalem il a invité les Palestiniens à reconnaître qu’Israël est un Etat juif (comment demander cela aux Palestiniens ? Que devient alors la population arabe d’Israël, c. à d. 20% de la population ? Faut-il les expulser ? Faut-il qu’ils restent à tout jamais des habitants de second rang ? Verra-t-on jamais une démocratie laïque dans ce pays ? Au moins un Etat-civil laïque ?). En fait ce que Obama a voulu signifier aux uns et aux autres c’est qu’il n’a plus l’intention, au cours de son mandat, de s’intéresser au processus de paix. S’il en est ainsi, écrit Le Monde à l’issue de la visite, « la solution des deux Etats risque fatalement, tragiquement, de se dissoudre ». Et « M. Obama aura été l’un des fossoyeurs du plus tangible espoir de paix au Proche-Orient ».
[Jeff Halper] De toute façon la solution des deux Etats est morte, nous dit l’Israélien Jeff Halper qui est venu nous rendre visite à Luxembourg en février. Professeur en Anthropologie et patron d’une ONG israélienne et palestinienne qui s’oppose depuis de nombreuses années aux destructions complètement arbitraires des maisons des Palestiniens (23000 depuis le début de l’occupation) et auteur d’un livre qui analyse la situation de la manière la plus objective possible (voir Jeff Halper : An Israeli in Palestine – Resisting Dispossession, redeeming Israel, édit. Pluto Press, 2010), il nous a projeté une carte de la Cisjordanie au tableau qui ne laisse plus aucun espoir. Ce qu’il nous montre je le savais déjà. De toute façon les témoignages et les protestations n’ont pas manqué (voir plus loin la mise en garde des consuls de tous les pays européens). Ce qui est nouveau c’est qu’il montre clairement quelle est la stratégie qui est derrière la colonisation. Elle est visible lorsqu’on voit l’implantation géographique des colonies sur la carte. Et le morcellement des zones soi-disant contrôlées par les Palestiniens (des confettis). Un morcellement qui explique aussi les innombrables check-points qui entravent la libre circulation des gens. L’année dernière, lors du Festival des Migrations qui est organisé chaque année ici à Luxembourg, des gens du Théâtre de Jénine (dont le Directeur a été assassiné sans qu’on sache par qui) ont apporté un film, intitulé simplement Check-point, et tourné par un Israélien qui montrait la façon dont les jeunes soldats israéliens traitent les Palestiniens, le mépris, la brutalité, l’arbitraire qui est peut-être ce qui est le pire. A pleurer. Et il y avait des gens dans l’assistance qui pleuraient vraiment. L’Israélien avait dit aux soldats qu’il filmait pour l’Armée sinon il n’aurait pu apporter ce témoignage. Ce qui est rassurant quand même c’est qu’il y a des Justes parmi la Nation israélienne (comme à une autre époque il y avait des Justes parmi les Nations). Malheureusement ils ne sont pas si nombreux et, surtout, ils n’ont plus guère d’influence sur l’opinion publique. Les Israéliens ne semblent plus s’intéresser aux Palestiniens. Aux Arabes, comme ils disent. A quoi bon. Ils nous haïssent et ils ne veulent pas la paix. Alors, il n’y a qu’à laisser notre Gouvernement s’en occuper. Il n’y a que les problèmes économiques qui arrivent encore à mobiliser les foules.
[Nurit Peled-Elhanan] Les Israéliens ne connaissent pas l’Arabe, nous a dit l’année dernière une autre Israélienne, encore une Juste, Nurit Peled-Elhanan, Professeur d’Université, qui a pourtant perdu sa fille dans un attentat-suicide palestinien en 1997 et qui lutte au sein de l’association Familles en deuil palestiniennes et israéliennes pour la Paix. Son étude des livres de géographie des écoles israéliennes montre comment l’idéologie dominante est instillée dans les têtes des écoliers : voir : The Geography of Hostility and Exclusion : a multinational Analysis of Israeli Schoolbooks by Nurit Peled-Elhanan, Ph. D., étude parue en 2009 dans le Journal of Visual Literacy. Le message de base est connu : les Enfants d’Israël sont revenus prendre possession de leur « Homeland » après 2000 ans pour le reconstruire et effacer les dommages faits par les Arabes pendant leur longue absence. L’occupation est légitimée par ce qui est considérée comme la plus haute autorité par les Juifs : la Bible. Sur les cartes on distingue entre villages juifs et villages non-juifs. Les Arabes sont une non-identité. On ne parle jamais sur ces cartes d’un Etat d’Israël mais de la Terre d’Israël. Une Terre qui déborde d’ailleurs sur la Jordanie, le Liban et la Syrie. Une carte supposée décrire la population arabe en Israël montre les Territoires occupées avec la légende : « zones pour lesquelles n’existent pas de données ». Sur une autre carte qui étudie la distribution de la main d’œuvre les Palestiniens sont décrits comme de la main d’œuvre étrangère (ou host workers rappelant le terme allemand Gastarbeiter) dont « les salaires sont moins élevés que ceux des citoyens israéliens occupant les mêmes emplois ». « Ceci est caractéristique », ajoute-t-on, « de tous les pays développés ». Tout est fait pour justifier le slogan sioniste : un pays sans peuple pour un peuple sans pays. Dans un autre livre on trouve une carte avec le titre : Israël après les accords d’Oslo. Pour Gaza on note : restera sous contrôle israélien. Pour la Cisjordanie, appelée Samarie et Judée, on indique les colonies juives ; par contre pour le reste on dit : « les zones accordées à l’autorité palestinienne n’ont pas été indiquées sur la carte car elles n’ont pas encore acquis le statut de frontières internationales ». Mais il y a plus grave. C’est la façon dont sont représentés les Arabes. D’abord dans les images, toujours stéréotypées : pantalons larges, chaussures pointues (on dirait de vieilles illustrations des Mille et une Nuits). Ce sont des paysans primitifs ou des nomades, souvent placés à côté d’un chameau. Ensuite dans les textes : « la société arabe est traditionnelle et est, par nature, opposée aux changements, aux nouveautés. La modernisation leur semble dangereuse… ». L’idée générale : la société israélienne est développée, l’arabe sous-développée. Et ce sous-développement est due à leur culture (et n’a rien à voir avec l’occupation). Si j’insiste sur ce document c’est qu’il me rappelle une autre étude faite sur l’image du Coréen créée par les médias japonais à l’époque de la mainmise du Japon sur la Corée, qui décrivait le Coréen comme arriéré, paresseux, assis par terre et fumant sa longue pipe et qui justifiait ainsi l’occupation et l’exploitation du pays par les Japonais (qui allaient éduquer ce peuple encore à un stade enfantin pour les amener un jour à leur niveau…). Et aussi, parce que ce genre de livres empêche l’Israélien moyen de connaître la vraie nature de ce voisin qui habite si près et dont on a si peur.
Le Dr. Nurit Peled-Elhanan est chargée de cours en sciences du langage à l’Université hébraïque de Jérusalem, spécialisée dans le discours au sein de l’éducation israélienne, avec l’accent mis sur les représentations visuelles et verbales des Palestiniens et des juifs non-occidentaux. En 2001 elle a reçu le prix Sakharov du Parlement européen pour les droits de l’homme et des libertés. Son père, le général Matti Peled, était un héros de la guerre de 1948. Ses deux fils sont des Refuzniks qui refusent de servir dans les Territoires. En septembre 2010 elle a tenu un discours à l’Université du Connecticut qu’elle a intitulé : Education ou contamination des esprits ? Et, en mars 2012, elle est allée plus loin encore, dans un discours prononcé à Beit Omar, appelant carrément à la Désobéissance civile. « Depuis des décennies maintenant, le projet sioniste de colonisation et de la judaïsation de la Terre d’Israël, a exigé l’élimination des Palestiniens d’une façon ou d’une autre, soit par la loi, soit par l’épée… ». « Les enfants israéliens apprennent depuis des générations maintenant que leurs voisins – et les citoyens d’Israël et les sujets de l’Etat d’Israël privés de droits humains – ne sont rien qu’un problème démographique terrifiant ou une menace à la sécurité ». « En octobre 2011 le Tribunal Russell sur la Palestine, qui siège symboliquement au Cap, a jugé qu’Israël a établi et institutionnalisé un régime de domination, assimilé au régime d’Apartheid ainsi qu’il est défini par les lois internationales. Israël pratique la discrimination et l’élimination à l’encontre d’une Nation entière sur des critères racistes avec des méthodes systématiques et institutionnalisées et en conséquence toute collaboration avec Israël doit cesser ». Nous devons rejeter « les lois racistes d’Israël », dit-elle encore. « Ces lois et règlements… qui transforment une terre de vertes collines couvertes de grenades et d’olives… en un monstrueux conglomérat de colonies de peuplement supposément occidentales, construites à l’image de leurs résidents : repoussants et brutaux, leur unique objectif étant de couvrir d’asphalte, d’acier et de béton, toutes les collines qui avaient résisté au temps » Notre Etat n’est pas démocratique, dit-elle. Nous devons donc enseigner à nos enfants la vraie démocratie, leur enseigner « leur droit démocratique de dire non au mal, non à l’ignorance, non à l’Apartheid, non au service dans l’Armée d’occupation et non à la collaboration avec le nettoyage ethnique ». Fortes paroles dites par une femme forte. Et pourtant en échangeant quelques mots avec elle je l’ai trouvée bien désabusée. Ne faisant guère de différence entre droite et gauche israéliennes, constatant un désintérêt croissant de la population pour ces questions et prête, m’a-t-il semblé, à prendre la décision d’un départ définitif de son pays.
[Plan Sharon] Mais revenons à Jeff Halper. L’intérêt de son livre c’est de montrer que la colonisation est un projet minutieusement pensé suivant un schéma mis au point par Sharon dès 1967. Il y a 45 ans déjà ! Begin qui était alors Premier Ministre lui avait donné comme directives de créer le fait accompli, c. à d. une situation telle que le contrôle et la domination par Israël devienne irréversible et d’empêcher pour toujours l’établissement d’un Etat palestinien (ou, comme Sharon allait l’exprimer plus tard, un Etat palestinien véritablement et viablement souverain). Son concept est une « matrice », comme au Jeu de Go : il sème des points forts sur des collines sur toute l’étendue de la Cisjordanie. Des points forts qu’il relie entre eux (un réseau). Les différents points forts sont situés en hauteur et peuvent communiquer entre eux et se défendre mutuellement. Son plan-cadre publié en 1982, quand il était Ministre de la Défense, intitulé Masterplan for Jewish Settlements in the West Bank through Year 2010, prévoyait une centaine de points de colonisation, toujours situés sur des sommets stratégiques et tout un réseau de routes à grand trafic, d’interconnexion et de connexion à l’Etat d’Israël. Ce réseau formait un H majuscule, deux branches verticales le long de la vallée du Jourdain et le long de ce qui était alors connu sous le nom de ligne verte, qui isolent les villes palestiniennes à la fois de l’Etat d’Israël et de la Jordanie, et un certain nombre de liaisons horizontales dont la plus importante se trouvait au niveau de Jérusalem. Il n’y avait plus qu’à encourager les colons à y aller. Beaucoup plus tard, en 1998, quand Sharon est lui-même Premier Ministre il lance un appel : « allez et saisissez chaque sommet de colline… ». C’est la deuxième génération de colons. Ils en saisiront plus de 100. Les chiffres officiels de décembre 2011 sont les suivants : 150 colonies, 100 postes isolés (sauvages), 500000 colons israéliens. Rappelons qu’il y a seulement 2,5 millions de Palestiniens en Cisjordanie (et 1,6 à Gaza et 1,4 en Israël).
En même temps on établit une multitude de lois et de règles et une puissante bureaucratie qui vont régler la vie dans les Territoires occupés, permettre le vol de la terre et rendre la vie physique et matérielle des Palestiniens de plus en plus difficile. Des lois permettent aux autorités israéliennes de déclarer des terres non-cultivées et non-enregistrées comme terre d’Etat (72% de Cisjordanie), d’autres zones de devenir zones militaires (qui peuvent alors être transférées aux colons ou utilisées pour les infrastructures israéliennes), d’autres classées réserves naturelles ; d’autres lois permettent aux autorités militaires d’interdire la construction pour raisons militaires, par contre ces mêmes autorités peuvent construire sans autorisation. D’autres interdictions de construire existent pour les Palestiniens (autour de bases militaires, de colonies, à 200 m de chaque d’une route, etc.). Les Palestiniens doivent demander des autorisations pour tout : planter, cultiver un jardin à côté de leur maison, vendre les produits de leur agriculture, ouvrir des banques, certains commerces. Tout l’export est sévèrement contrôlé (tout passe par Israël, pas de liens avec les pays arabes, autorisations d’export et d’import nécessaires, transports et assurances sont israéliens, etc.). Au moment de la publication du livre de Halper, le chômage était de 67% à Gaza, de 48% en Cisjordanie et 75% de la population vivait en-dessous du seuil de la pauvreté. 90% des produits importés viennent d’Israël. 88% de l’export va à Israël. Au moindre prétexte Israël ne paye pas les taxes dues. Et l’aide occidentale qui, dans le temps, était axée sur les infrastructures, est aujourd’hui entièrement humanitaire (aide à la survie). D’ailleurs l’aéroport de Gaza construit avec l’aide européenne et les travaux partiels pour un port maritime ont été détruits lors de la deuxième intifada (de toute façon à quoi auraient-ils servi ?). Bien évidemment l’espace aérien est également exclusivement sous contrôle israélien ainsi que le réseau de communications électromagnétiques. Le contrôle israélien est également total pour l’eau, l’énergie et le téléphone. Pour Halper tout ceci est une politique délibérée de dé-développement (en clair : on cherche à les dégoûter : qu’ils s’en aillent ! Surtout les classes moyennes ! Cela résoudra le problème). Le mur de séparation est construit pour la majeure partie sur la terre de Cisjordanie.
L’eau est un autre immense scandale. Les colonies sont construites au-dessus des veines d’eaux souterraines qui fournissaient 30% des besoins en eau de Cisjordanie. 80% de l’eau des Territoires occupées (avec Gaza) sont sous contrôle israélien et 80% de l’eau de Cisjordanie va en Israël. La Cisjordanie ne reçoit rien de l’eau du Jourdain. Les colons consomment six fois plus d’eau par tête que les Palestiniens (350 litres par jour au lieu de 60. La consommation recommandée par l’OMS est de 100). 215000 Palestiniens vivant dans 270 villages n’ont pas d’eau courante du tout.
Au début du mois d’avril la Banque Mondiale a validé, après dix ans de discussions, le fameux projet de jonction entre la Mer Rouge et la Mer Morte censé sauver cette dernière dont le niveau descend d’un mètre tous les ans (mais cela ne veut pas dire qu’il se réalisera pour un tas de raisons économiques, écologiques et politiques : il faut un accord entre la Jordanie, Israël et l’Autorité palestinienne). A cette occasion le Ministre palestinien chargé de l’eau, le Docteur Shaddad Al-Attili, s’est exprimé sur ce sujet : il ne verrait que des avantages dans ce projet, à condition, dit-il, qu’Israël change de politique à l’égard de l’Autorité sur la question de l’eau car depuis dix ans on en est toujours au même point : aucune volonté de gérer et de partager équitablement l’eau en Cisjordanie ; refus de nous accorder un accès à la Mer Morte et au Jourdain ; refus de nous laisser construire une usine de désalinisation ; refus de nous accorder une bande de 4km de long sur les rives de la Mer Morte pour nous permettre de développer un projet touristique… (voir Le Monde du 9 avril 2013). Encore tout récemment, dit-il, Israël a décidé de classer comme Terre d’Etat quelque 14000 hectares de terres découvertes par l’assèchement des bords de la Mer Morte. Une fois l’enregistrement achevé, le Gouvernement pourra attribuer une partie à des projets touristiques. Or, depuis 1967 les Palestiniens n’ont obtenu que 0,7% des terres appartenant à l’Etat, alors que les colons juifs en recevaient 38% ! On note en passant qu’une fois de plus Israël s’attribue des terres qui appartiennent à la Cisjordanie, donc aux Palestiniens, même si on est en zone C.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas la définition de ces zones, je rappelle que les Territoires occupées ont été divisés en trois zones : la zone A qui est en principe contrôlée par l’Autorité palestinienne et qui représente 18% de l’ensemble, la zone B qui est, toujours en principe, sous contrôle palestinien pour le civil et contrôle israélien pour la sécurité et qui représente 22% et la zone C qui est sous contrôle total israélien et qui représente 60%. Et encore tout ceci est plutôt théorique car les Israéliens ne se gênent pas pour intervenir quand ils le veulent même en zone A. Toujours en principe, les responsables de la sécurité palestiniens et leurs collègues israéliens coopèrent. En 2011 Palestiniens et Israéliens se sont retrouvés à l’occasion de 764 « rencontres de sécurité » ! Ce qui n’a pas empêché l’armée israélienne, raconte le général Adnan Damiri des forces de sécurité palestiniennes, de mener un raid le 29 février 2012 à Ramallah, pour fermer deux stations de télévision (article de l’envoyé du Monde à Ramallah). Et il continue en affirmant : « Tout le système des zones A, B, C, prévu par les accords Oslo II (1995) a été détruit, parce que les Israéliens interviennent dans toute la Cisjordanie ; ils ne reconnaissent plus notre autorité sur la zone A ». Sans jamais prévenir à l’avance, ils se livrent quotidiennement à des incursions, que ce soit à Ramallah, Hébron, Tulkarem ou dans toute autre ville palestinienne, dit-il encore. La plupart du temps ils viennent la nuit. Ce qu’ils veulent, c’est montrer à la population palestinienne que nos forces sont incapables de les protéger. Damiri a une triple formation policière américaine (Philadelphie), anglaise (Scotland Yard) et française. Il se sent impuissant face aux opérations israéliennes.
Je pourrais continuer encore longtemps à résumer tout ce que Halper écrit dans son livre, parler d’Oslo et de ce que cela a rapporté aux Palestiniens (rien, au contraire, dit Halper, cela a permis la politique de confettis), de la négociation de Camp David et de ce que cela rapporté aux Palestiniens (rien du tout, au contraire : depuis lors les Israéliens racontent partout qu’il n’y a pas d’interlocuteur puisqu’ils ont refusé cette offre si généreuse de Barak). Personnellement j’en sais quelque chose. D’abord j’avais bien suivi l’affaire à l’époque. Je me souviens que Barak, au moment d’arriver au pouvoir, a cru plus urgent d’aller négocier avec le Liban (espoir d’une paix séparée, refusée logiquement par solidarité avec les Palestiniens) et avec la Syrie (là aussi faux espoir, la Syrie refusant tout accord sans récupération intégrale du Golan, déjà colonisé par Israël, et que, déjà, Israël ne pouvait plus céder à cause d’eux), et puis s’est décidé, à la dernière minute (fin de règne de Clinton), comme si l’affaire palestinienne était moins importante que celle de la relation avec les voisins, à chercher un règlement global alors qu’Oslo prévoyait des étapes progressives toutes refusées après l’assassinat de Rabin. La négociation n’avait pas été préparée, bien trop hâtive, Arafat le savait et le disait, et finalement tout a raté. Et on a dit que c’était sa faute. J’ai encore, tout récemment, entendu un ancien Ambassadeur israélien, homme d’une grande intelligence, descendant d’une grande famille industrielle juive de Luxembourg à laquelle je m’étais intéressé et que j’avais aidée dans leurs recherches généalogiques, me déclarer : comment voulez-vous qu’on négocie ? On n’a pas d’interlocuteur. Et aussi : ce que Barak a offert à l’époque à Arafat était tellement démesuré que la population n’aurait même pas accepté de le ratifier. Or s’il me paraissait évident qu’Israël ne pouvait accepter le retour des réfugiés en Israël, il me semblait aussi évident qu’Arafat ne pouvait accepter la solution Jérusalem qui, que les Israéliens le veuillent ou non, est devenue avec l’histoire, une ville sainte aussi pour les Chrétiens et les Musulmans. Mais laissons cela. On n’en est plus là. Moi je continue à croire que Oslo avait été une véritable chance pour la paix et que les Israéliens ne l’ont pas saisie. Quand on écoute les libéraux israéliens qui se battent encore pour la paix aujourd’hui on est toujours étonné quand on les entend critiquer les politiciens de gauche autant que ceux de droite. Il y a quelques jours encore Halper, dans la revue luxembourgeoise Le Jeudi, écrivait que nous nous faisions des illusions quand nous croyions que Tsipi Livni voulait la paix : elle veut la séparation. Moi je crois que Rabin était prêt à la faire, la paix. Et que les politiciens israéliens qui ont suivi ont donné raison à son assassin ! Les citoyens israéliens aussi d’ailleurs, puisque c’est Netanyahou qu’ils ont élu pour succéder à Rabin.
[Rapports européens] Je pourrais aussi montrer encore en détail comment ont été constituées avec le temps les sept grands blocs de colonisation avec leurs 27 grandes et moins grandes routes de communication et de by-pass et comment avec tout cela le plan de Sharon est définitivement installé et qu’il rend la création d’un Etat palestinien définitivement et irréversiblement impossible. Mais à quoi bon ? Les journaux nous en parlent depuis longtemps. Et personne, en Europe, ne réagit. C’est ainsi qu’à la fin de l’année 2011 plusieurs rapports mettaient en garde les autorités de l’Union européenne contre l’intensification de la colonisation juive en Cisjordanie et à Jérusalem-Est (ils stigmatisaient aussi les violences commises par les colons et le traitement jugé discriminatoire de la minorité arabe d’Israël). L’une des études portait sur la marginalisation et l’exclusion croissante des Palestiniens de la zone C qui représente comme on sait 62% de la Cisjordanie. Elle donnait les chiffres suivants : 124 colonies officielles (c'est-à-dire construites avec l’agrément des autorités israéliennes) et environ une centaine d’avant-postes, c'est-à-dire des petites implantations sauvages constituées, selon les cas, de mobile-homes, de caravanes, voire de quelques tentes. L’étude soulignait aussi que les colons étaient 1200 en 1972 dans la zone C, puis 110000 en 1993, et 310000 (sans compter quelque 200000 colons établis à Jérusalem-Est) aujourd’hui, soit plus du double de la population palestinienne (150000) dans la même zone (article de Laurent Zecchini dans Le Monde). La fenêtre pour une solution à deux Etats se referme rapidement, concluait l’étude. Naïfs Européens (tout justes bons à payer pour aider les Palestiniens à survivre) ! Elle était déjà bien fermée à l’époque, la fenêtre. Et la création de colonies n’est pas le seul outil à la disposition des Israéliens pour évacuer la population palestinienne. Il reste encore la possibilité d’étendre sans cesse les zones militaires fermées et les réserves naturelles et de démolir les structures appartenant à des Palestiniens. On se demande vraiment ce que Oslo a rapporté aux Palestiniens ! Arafat, en reconnaissant officiellement Israël (il l’avait d’ailleurs fait avant Oslo), reconnaît en même temps que les Palestiniens ne pourront plus, à l’avenir, qu’espérer régner un jour, au maximum, sur 22% de la Palestine historique. Se doutait-il, à ce moment-là, qu’il perdrait encore, en plus, à peu près 60% de ces 22% ?
Le 13 décembre 2011 a eu lieu une réunion du Quartet (je ne crois pas qu’il y en ait eu d’autres depuis) alors que le même mois Israël annonçait un appel d’offres pour 1028 logements supplémentaires à Jérusalem-Est et à 10 km au sud de la Ville après avoir lancé 2000 logements le 1er novembre. Et l’armée donnait son feu vert à l’extension d’une colonie qui touche Bethléhem. Combien ridicule est ce Quartet ! A quoi sert-il ? A rémunérer le jeune retraité Tony Blair ?
[Jérusalem-Est] En janvier 2012 Le Monde réussit à obtenir une copie du rapport européen sur Jérusalem-Est. Il est signé par l’ensemble des consuls généraux des 27 Etats européens ! Ce n’est pas rien, quand même ! Et en exergue au rapport qui porte sur la situation à Jérusalem-Est ils écrivent : la clé d’un futur accord de paix israélo-palestinien est la question de Jérusalem : si la Ville sainte n’est pas reconnue comme la capitale des deux Etats, il n’y aura pas de paix. Que dit le rapport ? Israël perpétue de façon active l’annexion de Jérusalem-Est en affaiblissant systématiquement la présence palestinienne dans la ville, par l’expansion des colonies, une planification restrictive, la poursuite des évictions et démolitions, une politique inéquitable en matière d’éducation, un accès difficile aux soins médicaux, des prestations et des investissements insuffisants, et la précarité du statut de résident (de Jérusalem-Est). L’objectif constant des autorités israéliennes, lit-on encore dans l’article (Le Monde du 19 janvier 2012), est de faire en sorte que les Palestiniens ne dépassent pas 30% de la population de Jérusalem. Comme ils représentent actuellement 37% de ses 790000 habitants, les gouvernements israéliens successifs ont fait en sorte de favoriser la colonisation israélienne. Et pour cela on exproprie les Palestiniens : 35% des terrains leur appartenant l’ont été. Et tout est fait pour que les colonies aussi bien à l’intérieur de la Ville qu’à l’extérieur soient implantées de manière à bien isoler la Jérusalem-Est palestinienne de la Cisjordanie palestinienne. Deux organisations financièrement puissantes, lit-on encore dans le rapport, rachètent les propriétés palestiniennes et favorisent encore l’expulsion des Palestiniens. Et le rapport dénonce encore l’utilisation d’un autre procédé pour justifier les expulsions (pour raisons historiques) : l’archéologie. Le procédé est connu : un véritable cas d’école est celui de Susiya Al-Kadim, au sud de Hébron, aux portes du Néguev : la population palestinienne est expulsée après la découverte d’une ancienne synagogue sur le territoire municipal en 1985 et les habitations sont rasées (article Le Monde du 22 janvier 2012). En 1991, en 1997 et deux fois en 2001 les paysans essayent de refonder le village. Chaque fois les bulldozers rasent les constructions. Depuis ils vivent sur les collines dans plusieurs campements rudimentaires (45 familles). Et tout autour des implantations de colons protégées par l’armée israélienne. Quant au « terrain archéologique », il est classé parc national. L’un des paysans, Nasser Ahmad Nawaja, raconte au journaliste que sa famille vivait ici depuis des générations, qu’elle y était bien avant la création d’Israël et qu’elle a des titres de propriété datant de l’époque ottomane. Mais pas de chance, Israël ne reconnaît que les lois ottomanes qui l’arrangent. Les titres, non. La loi qui prévoyait que le sultan pouvait récupérer une terre cultivable laissée en jachère, oui. Sauf que maintenant le Sultan c’est Israël !
Mais revenons encore une fois à Jérusalem-Est. En mars 2012 le Comité pour une paix juste au Moyen-Orient de Luxembourg a organisé un voyage d’études pour une trentaine d’habitants du Grand-Duché. A Jérusalem la délégation s’est entretenue longtemps avec un animateur israélien d’une ONG israélo-palestinienne (Alternative Information Center) sur la situation dans la Ville sainte. Les informations recueillies là ont été les suivantes : à l’intérieur des limites municipales définies en 1967, 25% de la population résidente était palestinienne (et 100% à Jérusalem-Est) ; en 1973 la croissance naturelle palestinienne porte ce taux à 28% (comme on le voit ce chiffre diffère légèrement de celui du rapport des consuls qui était de 30%) ; le Gouvernement décide alors de tout faire pour que ce taux ne soit plus dépassé, on développe les colonies, mais cela ne suffit pas, car en même temps beaucoup d’Israéliens quittent la Ville (300000 auraient quitté depuis 1967, parce que les Israéliens laïques méprisent la ville conservatrice, religieuse, étouffante pour la jeunesse) ; il faut donc expulser. Or, depuis 1967, les Palestiniens de Jérusalem sont considérés comme des « résidents » (normal, me direz-vous, puisqu’en 1980 Jérusalem a été officiellement annexée). Ils sont des immigrants dans leur propre ville. Et non des citoyens. Or le droit de résidence, dans l’esprit des autorités, est une « faveur ». S’ils quittent la Ville, ils ne pourront jamais y revenir. S’ils se marient avec une non-résidente, celle-ci ne pourra rejoindre son mari. N’ayant pas de citoyenneté, ils n’ont pas de passeport, mais un simple laissez-passer ou, pour certains, un ancien passeport jordanien hérité du temps (1967) où toute la Cisjordanie était sous souveraineté jordanienne. Ils vivent donc dans la précarité complète. Lors du séjour du groupe luxembourgeois à Jérusalem une rumeur courait : que celui qui voyagerait avec son passeport jordanien perdrait sa résidence à Jérusalem. Par ailleurs ils n’ont le droit de construire que sur 7% des terres à l’intérieur des limites municipales. Une autre manière de limiter leurs droits de construire est de déclarer les terres en « zone verte » : c’est le cas de 19% des terres de Jérusalem-Est. Et puis on encourage les Juifs du monde entier à acheter des résidences secondaires à Jérusalem-Est, à prendre la nationalité israélienne et à voter aux élections. Et pourtant, malgré toutes les mesures prises, le taux de Palestiniens était de 38% en 2012 (37%, disait le rapport des consuls). Ils résistent, ces Palestiniens de Jérusalem ! Mais il y a encore d’autres moyens de les dégoûter : ils payent leurs impôts locaux mais leurs quartiers sont dépourvus de services municipaux, donc rues mal entretenues et ramassage des ordures problématique, et on empêche les Palestiniens de s’organiser eux-mêmes. 64% des Palestiniens de Jérusalem-Est vivent sous le seuil de pauvreté. L’accès à Jérusalem-Est est fortement limité pour les Palestiniens de Cisjordanie, alors que s’y trouvent les meilleures infrastructures palestiniennes, notamment sanitaires. Quant aux colonies qui entourent Jérusalem, elles ne créent pas seulement une barrière pour la communication avec la Cisjordanie (il suffit de regarder une carte, cela saute aux yeux), elles coupent aussi l’axe principal qui lie les deux grands centres économiques de Hébron et de Naplouse.
[Hébron] Parlons-en de Hébron. Le 22 mai 2012 le « géopolitologue » Gérard Chaliand publiait une tribune libre très modérée dans Le Monde, intitulée Israël : la tentation du statu quo. Je dis modéré car l’auteur, tout en reconnaissant que l’occupation est pénible, voire dure parfois, estime néanmoins qu’on ne peut caractériser la politique de séparation israélienne (du terme hébreu (Hafradah) de politique d’Apartheid (c’est pourtant la signification du mot Afrikaans) : « j’ai vécu plusieurs mois en Afrique du Sud, dans les années 80 », dit-il, « et je mesure la différence ». Et il va même, me semble-t-il, la justifier, la séparation, car, dit-il, séparer facilite le contrôle, qui est essentiel. Et pourtant pour ce qui est de Hébron qu’il a pu visiter avec Elie Barnavi, ancien Ambassadeur d’Israël en France, il dit : « Hébron est une flétrissure dans la démocratie israélienne ». Il rappelle l’histoire de la ville, la colonie de Kiryat Arba implantée en 1970, l’entrée dans la ville de colons religieux en 1979 qui y occupent un bâtiment, l’assassinat de 7 d’entre eux en 1980 et, enfin, en 1994, le massacre au pistolet mitrailleur de 29 musulmans par Baruch Goldstein dans la mosquée du Caveau (plus 129 blessés). C’est alors, en 1997, que la ville est divisée en deux : H1 et H2. « J’ai pu visiter la section fantôme du centre-ville (H2) », dit-il. Afin que 900 colons ultra-religieux puissent y séjourner sous la protection de l’armée, parallèlement à 175000 Palestiniens, on a fermé les marchés, évacué un millier de logements, fermé 1800 boutiques. Des maisons palestiniennes ont leur porte d’entrée condamnée, les habitants doivent sortir par le toit, équiper leurs fenêtres d’avancées de protection contre les jets de pierres de colons agressifs ! Et ne parcourir les rues qu’à pied.
L’écrivain et journaliste Jean Portante qui a participé au voyage en Palestine du groupe des trente résidents du Grand-Duché, écrit dans l’hebdomadaire luxembourgeois Le Jeudi du 21 juin 2012 (extrait de son journal) : Je n’arrive pas à me défaire de ce que j’ai vu, aujourd’hui, dans le centre de Hébron. Le centre fantôme d’une ville jadis florissante. C’est que là, en plein cœur de la ville, les colons ont étouffé la vie. Dans la rue Shuhada notamment… Là même où respirait le poumon culturel et social de la ville. Tout y est fermé. Les Palestiniens en ont été chassés. Et sur les immeubles flottent, comme une gifle en plein visage, des drapeaux israéliens. Pour protéger tout cela, des soldats, doigts sur la gâchette de leurs fusils-mitrailleurs, font leurs rondes. Et empêchent les habitants palestiniens d’entrer dans le centre de leur propre ville. Piétinant ce que les traités prévoient. Le secteur est sécurisé par des check-points, des bouts de rues ont été murés… Et on sent, ajoute-t-il, que la colonisation continue. Quelques jours avant notre arrivée, six familles sont venues squatter le deuxième étage d’une maison palestinienne (c’est, paraît-il un scénario bien éprouvé : on s’installe dans les étages supérieures des maisons, la maison est protégée par un blindé et les soldats empêchent quiconque de s’approcher). De nouveau au centre-ville. Ils y étaient encore quand je suis reparti de Hébron. Et les colons campent aussi autour de la ville. Par milliers. Camper n’est pas le mot, ajoute-t-il. Ce sont de véritables agglomérations de banlieue… De quel droit font-ils cela ? se demande Jean Portante. Un droit qui remonte à très loin. La Bible est passée par là. Le Grand Israël relève de l’intégrisme religieux. Il faut le dire : le moteur qui fait marcher les colons est un fondamentalisme religieux. Un de plus, dans notre monde d’aujourd’hui, et, menaçant la paix mondiale, il est peut-être aussi dangereux que l’autre, l’islamisme.
[Destructions de maisons] Jeff Halper nous a longuement parlé de cet ingénieur de travaux publics palestinien qui a voulu revenir chez lui après avoir travaillé dans son métier en Arabie Saoudite, revenir sur la terre de sa famille et y construire sa maison. Il s’appelait Salim Shamarweh. C’est le 9 juillet 1998 qu’on a démoli sa maison pour la première fois (on te donne un quart d’heure, on le boxe, on lance du gaz lacrymogène dans la maison pour faire sortir sa femme et ses enfants, puis on vide tout en vrac et les bulldozers se mettent en action). Il avait fait de nombreuses demandes. Chaque fois on lui répond autre chose (c’est de la terre agricole, alors que c’est une terre désertique, c’est trop petit, il manque deux signatures, on a perdu le dossier. Kafkaïen). Halper et son organisation l’ont aidé à la reconstruire, sa maison, plusieurs fois, chaque fois il y a un « Administrateur civil » avec un fusil en bandoulière et plusieurs soldats qui reviennent et cela recommence. Halper nous a montré le film des événements et les photos sont dans son livre. Et puis il demande : qu’est-ce que la destruction systématique de la maison de Salim a à faire avec la sécurité d’Israël ? Et que pensent les enfants de Salim des soldats israéliens et d’Israël en général après ce qu’ils ont vécu ? Et, plus tard, comment vont-ils réagir ?
[ONG soldats] Les Justes parmi la Nation Israël sont nombreux. Heureusement. Et c’est souvent par le biais d’ONG qu’ils agissent et qu’ils s’expriment. D’anciens soldats ont eux aussi créé une ONG : Breaking the Silence. Elle recueille les témoignages anonymes de jeunes Israéliens ayant servi pendant leur service militaire dans les territoires occupés et ayant assisté à des violences faites à des enfants. « Je n’avais pas imaginé », dit l’un d’eux, « que je serais confronté à des femmes, des enfants et des personnes âgées » (article de Véronique Falez dans Le Monde du 22 août 2012). Personne ne peut rester innocent dans ce genre de situations, David Grossman l’avait bien montré dans son magistral roman La Femme qui fuyait l’annonce. Souvenez-vous de la scène qui dresse les trois hommes d’Ora, Ilan, son mari, Ofer et Adam, ses fils, contre elle. Eux les virils, les réalistes : « qu’est-ce que tu crois, maman, c’est la guerre », et elle, la gauchiste, l’humaine, qui ne veut pas qu’Ofer tire même avec des balles en caoutchouc sur des gamins qui jettent des pierres, qui lui demande de ne jamais tirer sur un homme si ce n’est pour sauver sa propre vie. Et comment saurais-je, dit Ofer, s’il ne veut pas me tuer ? Les responsables ce sont les politiques qui les y envoient et ne croient qu’à la force et ne créent que la haine qui tue la paix. Et comme par hasard on revient toujours à Hébron. Dans le roman de Grossman l’incident qui déclenche la discussion violente entre Ora et « ses hommes » s’est passé justement à Hébron : un vieil homme presque nu et bâillonné a été oublié pendant deux jours et deux nuits dans une chambre frigorifique situé dans la cave d’un immeuble par la section dont faisait partie Ofer et qui était chargé de protéger les colons venus s’implanter en ville. Et l’un des soldats qui témoigne pour l’ONG Breaking the Silence, explique lui aussi combien les colons juifs de Hébron lui ont donné du fil à retordre et comment il a vu un enfant juif frapper un enfant arabe. Si l’enfant arabe avait répliqué, dit-il, j’aurais dû l’attraper et le gifler. L’enfant juif est libre de faire ce qu’il veut. Un autre soldat raconte comment, toujours à Hébron, son commandant a coincé un garçon qui refusait, au point de contrôle, à passer sous la machine à rayons X, en cognant sa tête contre un mur et le frappant violemment. Bien sûr ce ne sont là que des détails. Encore qu’un autre soldat, un sergent, raconte qu’à Ramallah, où des adolescents envoyaient des cocktails Molotov contre une colonie, sans jamais atteindre les habitations, l’un de ses amis a tiré sur l’un d’eux, un gamin. L’enfant est mort.
La délégation luxembourgeoise a rencontré, en avril 2012, celui qui a créé l’ONG en question, Yehuda Shaul. Notre mission, dit-il, est de faire comprendre à la société israélienne ce que l’occupation implique. Personne, après avoir servi dans l’armée dans les Territoires Occupés, n’a les mains propres… Le rôle des soldats est de protéger les colons (on voit que sans colonisation on n’aurait pas besoin de soldats !). Or il n’est pas possible de contrôler militairement des millions de gens contre leur volonté et de rester en même temps une armée morale. Dire ou penser cela est du non-sens, de la stupidité, et relève de la contradiction la plus totale. Si, dans de telles conditions, on est assigné à un check-point, on est obligé de voir en chaque passant une menace et de se comporter en conséquence. En attendant, que de haine semée pour plus tard !
[ONG Rabbins] Il y a même des rabbins qui créent des ONG. L’organisation Rabbins pour les droits de l’homme se veut la voix de la conscience rabbinique d’Israël. J’en suis bien heureux. C’est là que je retrouve les vraies valeurs du judaïsme. L’histoire du rabbin Arik Ascherman est racontée par Laurent Zecchini dans Le Monde du 17 février 2013 (Le rabbin qui souffle dans le « shofar »). Il veut briser le stéréotype selon lequel les religieux sont forcément du côté de l’ordre israélien. Et il n’hésite pas à lier la tradition humaniste juive à la déclaration universelle des droits de l’homme. « Le judaïsme et le sionisme », dit-il, « ce n’est pas voler la terre des autres ». Il était sioniste lui-même, dit-il encore, mais le sionisme a ses limites. Bien sûr, dans un monde idéal, ce serait bien que nous puissions vivre sur toute la terre biblique d’Israël, mais cela ne peut pas passer par l’oppression des autres. Bien sûr, il ne faut pas refuser de considérer le narratif juif (de leurs souffrances à eux), mais si j’ai le droit d’avoir un Etat, alors les Palestiniens aussi. Et il refuse comme moi l’idée d’une responsabilité symétrique : « En termes politiques, économiques et surtout militaires, les Israéliens ont une puissance tellement supérieure pour se livrer à des violations des droits de l’homme envers les Palestiniens ». Et, ajoute-t-il, il ne faut pas prendre ces violations pour des cas isolés : elles sont la conséquence d’une politique délibérée, systématique, celle de l’occupation.
[Pacifistes israéliens] Il y a beaucoup de libéraux israéliens qui sont venus nous voir ces dernières années à Luxembourg. C’était Avraham Burg il y a deux ans. (Burg, me dit l’ancien Ambassadeur, un aigri politique ! Rejeté par tout le monde, en Israël. C’est de toute façon ce qu’on vous répond systématiquement quand vous parlez d’Ilan Pappe ou, pire encore, de Shlomo Sand, des fous !). Et puis Nurit Peled l’année dernière, et maintenant Halper. Et tous nous demandent : pourquoi les Européens laissent faire ? Pourquoi vous ne faites pas pression sur vos gouvernements pour obliger Israël à négocier sérieusement. Ridicule, lui ai-je dit, vous qui êtes d’origine américaine, pourquoi vous n’allez pas faire vos conférences aux Etats-Unis puisque, eux seuls, peuvent agir là-bas, eux qui financent et soutiennent politiquement Israël sans aucune hésitation? Oui, me dit-il, c’est le problème. La plupart des élus américains des deux Chambres croient qu’ils ne seraient pas réélus s’ils ne continuent pas à soutenir Israël. Et puis il y a les Evangélistes pour qui la Bible est aussi fondamentale que pour les juifs croyants. Encore un fondamentalisme qui nous emmerde ! Mais il y a probablement d’autres raisons qui expliquent pourquoi l’électeur américain attache autant d’importance au maintien des relations spéciales entre les Etats-Unis et Israël (le « vote juif », proprement dit, dit-on, ne représenterait que 2%). Le professeur Eytan Gilboa, spécialiste des relations israélo-américaines à l’Université Bar-Ilan de Tel-Aviv, estime que cette relation spéciale reflète d’abord les sentiments de l’opinion publique américaine qui est très favorable à Israël. Les Américains pensent que nos deux pays partagent les valeurs démocratiques communes. Ce sont deux pays de tradition judéo-chrétienne, d’immigrants et de pionniers, unis contre le terrorisme. Il faut dire que l’attentat du nine-eleven n’a pas arrangé les choses et n’a certainement pas créé un surcroît de sympathie pour la cause arabe. Ce qui fait que lors de la dernière campagne présidentielle américaine Newt Gingrich a pu se permettre de traiter les Palestiniens de « peuple palestinien inventé ». Mais cela montre aussi que l’image que l’opinion publique se fait d’Israël et celle qu’elle se fait des juifs ne se superposent pas nécessairement, contrairement à ce que croient certains membres éminents des communautés juives européennes. L’antisémitisme était plutôt communément répandu dans le temps aux Etats-Unis, et l’est probablement encore aujourd’hui. On peut être pro-Israël tout en étant antisémite, comme on peut être critique d’Israël tout en étant farouchement opposé à tout antisémitisme. Nous en France, dans les années 60, comme ailleurs en Europe, nous avions une image très positive d’Israël, nos jeunes allaient passer leurs vacances dans les kibboutz, nous voyions en eux des Européens apportant leurs techniques d’Occidental dans des terres à agriculture traditionnelle (le goutte-à-goutte, transformation du désert en terre cultivable, etc.). Et, en plus, chez nous en France c’était la guerre d’Algérie et l’Arabe, déjà, n’avait pas bonne presse. Aujourd’hui l’Arabe est de nouveau mal vu, même très mal vu (islamisme, quartiers), mais l’image d’Israël s’est malgré tout plutôt détériorée. A cause de sa rigidité, sa suffisance, son mépris constant de toutes les décisions des Nations Unies.
[Netanyahou] Depuis un certain nombre d’années cette rigidité est personnifiée par Netanyahou. Qui est cet homme ? Qui est-il vraiment ? Les journalistes se sont beaucoup intéressés à lui. Le Monde lui a consacré deux pleines pages dans son supplément de géopolitique du 20 janvier 2013. Il a vécu aux Etats-Unis pendant sa jeunesse et a fait le MIT qui est l’Ecole Centrale américaine (il est donc forcément intelligent !). Mais il manque cruellement de vision à long terme. Il a accepté officiellement, en 2009, du bout des lèvres, la politique des deux Etats, mais on n’a pas besoin d’être un grand politologue pour constater qu’il y resté viscéralement opposé. Tout le montre. Dès qu’il le peut, il redémarre la colonisation, en Cisjordanie, et encore plus à Jérusalem-Est pour bien montrer que, ce qu’il a maintes fois déclaré, Jérusalem ne sera jamais une capitale partagée. En plein mi-mandat d’Obama, en mars 2010, alors que le Vice-Président Joe Biden se trouve à Jérusalem, il annonce la construction de 1600 nouveaux logements dans une colonie de Jérusalem-Est. Et Obama, toute honte bue, oppose son véto en février 2011 à une résolution de l’ONU condamnant la colonisation. Et Netanyahou triomphe : « les Etats-Unis ont compris que les discussions sur la question mineure de la colonisation ne menaient à rien ». La colonisation : question mineure ! Quelle gifle pour les Palestiniens ! C’est encore une ONG israélienne, Ir Amim, qui donne cette information : 6932 unités de construction ont été approuvées en 2012, contre 1772 logements en 2011 et 569 en 2010. Ces chiffres donnent toute la mesure de la pantalonnade d’Obama ! C’est le bilan de son premier mandat et la réponse à son discours du Caire. Et son deuxième mandat ne démarre pas mieux.
Il y a quand même des hommes politiques et des intellectuels en Israël qui fustigent ce manque de vision, car – et on y reviendra encore plus loin – que mettre à la place d’une solution à deux Etats, si ce n’est un Etat unique bi-national ? On ne peut quand même pas éliminer physiquement ou expulser les 5 millions de Palestiniens (contre 6 millions de juifs) qui vivent aujourd’hui en Israël et en Palestine ! Le plus amusant – si on peut dire – c’est que c’est exactement ce que l’OLP avait avancé comme solution : c’est le philosophe palestinien Sari Nusseibeh, Président de l’Université arabe de Jérusalem, Al-Quds, qui le rappelle dans un article paru dans Le Monde, toujours, le 24 février 2012. C’était bien ce que le mouvement national palestinien avait dans son programme originel : la création à la place d’Israël, d’un Etat unique, démocratique et binational ! C’est bien pour cette raison que l’ancien Premier Ministre Ehoud Olmert déclare que cette politique est diamétralement opposée aux intérêts existentiels d’Israël et que l’écrivain Amos Oz renchérit en qualifiant le gouvernement Nétanyahou du plus antisioniste qu’Israël ait jamais connu. On a beaucoup parlé de son père, Benzion Nétanyahou, lors du décès de celui-ci, à 102 ans en avril 2012 et on a prétendu que le fils était profondément marqué par son père. Benzion Nétanyahou, historien (Espagne de l’Inquisition), était le secrétaire particulier de Zeev Vladimir Jabotinsky, créateur du courant « révisionniste » dans le mouvement national juif et qui s’opposait à Ben Gourion sur une question essentielle : Ben Gourion était pour un compromis avec les Arabes alors que pour Jabotinsky le sionisme devait s’appliquer à toute la terre de Palestine. On voit que l’idéologie de Nétanyahou vient de loin ! Pas seulement la sienne d’ailleurs puisque le Likoud est sorti de ce révisionnisme-là. En mai 2012 Nétanyahou accordait une interview à l’hebdomadaire américain Time. Dans son entretien, dit Alain Frachon dans une analyse parue dans Le Monde du 25 mai 2012, Nétanyahou affiche un pessimisme historique typiquement « révisionniste » : scepticisme sur l’évolution du monde arabe, conviction de la permanence de l’antisémitisme et de l’hostilité à Israël. « On a pu penser que l’antisémitisme ne survivrait pas à l’Holocauste », dit-il, « mais il est là depuis des millénaires ».
On revient toujours à l’Holocauste. C’était l’idée fondamentale défendue par Avraham Burg dans son livre : Vaincre Hitler : la Shoah a complètement imprégné la vie et la façon de penser en Israël. Sa présence obsédante a d’innombrables répercussions souterraines, dit Burg. Et d’abord sur « la conception israélienne de la sécurité et de la force, les peurs et les paranoïas, les obsessions et les craintes perpétuelles… ». On a inventé le mythe du « juif du ghetto », faible et passif. Alors on ne sera plus jamais ainsi. Quelqu’un a d’ailleurs cité un proverbe, réel ou imaginaire : Au Moyen-Orient seul survit le fort ! Halper parle d’un autre mythe créé par le fameux Exodus de Leo Uris (1958). La bande d’Arabes sanguinaires auxquels résiste un Israël héroïque. Un tout petit Etat qui tendait ses mains et offrait son amitié à ses voisins arabes. C’étaient eux, les victimes. Et les victimes ne peuvent être les responsables. Je me demande si ce n’est pas à propos d’Exodus que Camus a écrit ces lignes : « Notre société supporte très bien les persécuteurs. Elle en a vraiment assez des persécutés et elle fait ce qu’il faut pour ne pas les voir ». Et aussi : « Pensez donc, si les persécutés avaient compris la leçon et si un jour ils devenaient persécuteurs. Ils reviendraient ainsi dans la communauté au soulagement général ». Je crois bien que, sur ce plan là, Israël a rejoint le concert des Nations.
[Gatekeepers] Il n’y a pas que Ehoud Olmert et Amos Oz qui critiquent la politique de Netanyahou. Le 5 mars dernier ARTE a présenté le documentaire The Gatekeepers (Les Gardiens) de l’Israélien Dror Moreh qui était déjà sorti en salles aux Etats-Unis et a même été nommé aux Oscars. Obama aurait dû le visionner avant de partir en Israël car c’est quand même drôlement impressionnant quand six anciens responsables du Shin Beth, le Service de sécurité intérieure d’Israël, Avraham Shalom (1980-1986), Yaakov Peri (1988-1994), Carmi Gillon (1994-1996), Ami Ayalon (1996-2000), Avi Dichter (2000-2005) et Yuval Diskin (2005-2011) expriment tous la même opinion : il n’y a pas de vision au sommet de l’Etat (sauf à l’époque de Rabin, disent-ils). Aucune stratégie, que de la tactique. On sait gagner des batailles, mais pas la guerre. Moi, j’aurais plutôt dit : on ne sait pas gagner la paix ! On parle aussi beaucoup de morale dans ce documentaire. Comment rester une démocratie dans une telle guerre ? Peut-on justifier les assassinats ciblés ? Comment éviter les dommages collatéraux ? Comment éviter que les auteurs d’attentats à la bombe soient tués vivants après avoir été arrêtés ? On connaît ce genre de problèmes. On l’a connu en Algérie avec la torture. Et les Etats-Unis le connaissent aussi (torture, camps, assassinats ciblés aussi). Et puis de toute façon si on parle de morale il faudrait aussi parler de tous les moyens utilisés par l’Armée, au Liban entre autres, et qui sont eux aussi pas toujours très légaux (munitions à fragmentation, phosphore blanc, etc.).
L’un des Gatekeepers, celui qui était en charge au moment de l’assassinat de Rabin, n’arrive pas à se remettre de cet échec. On l’avait prévenu. On savait d’où pouvait venir le danger. On aurait dû y intervenir. Tous ont l’air las. Yaakov Peri qui était aux commandes au moment de la première Intifada, estime n'avoir jamais reçu de consigne des gouvernements qui se sont succédé au cours des six années de son mandat. Notre grand avantage par rapport à la très grande majorité des Israéliens, mais aussi par rapport aux militaires qui ne les voient que comme des ennemis, dit Ami Avalon, c’est que nous, nous les côtoyons les Palestiniens, nous les interrogeons, nous cherchons à comprendre leurs motivations. Yuval Diskin est plus précis. Il décrit un processus autodestructeur où, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, la vie de plusieurs millions de Palestiniens devient insupportable. Moi qui connais très bien les Palestiniens, je peux dire qu'on ne fait pas la paix avec des relations militaires mais de confiance. Il faut parler avec tout le monde et, s'ils répondent mal, il faut continuer à parler. Il n'y a pas d'autre choix. Quel dommage que tous ces Gardiens n’aient pas eu voix au chapitre. Qu’ils n’aient pas été écoutés quand ils étaient encore en poste.
[Hamas] Dans le compte-rendu du film publié par Le Monde on faisait remarquer que les deux derniers directeurs du Mossad, le service de sécurité extérieure, Ephraïm Halévy et Meïr Dagan, ont eux aussi osé contredire leurs Gouvernements à propos de leur politique, le premier sur la relation avec le mouvement palestinien Hamas, le second sur la stratégie israélienne vis-à-vis de l'Iran. Or, pour ce qui est du Hamas, je suis persuadé que Halévy a raison et que Israël a commis beaucoup d’erreurs dans ce domaine, d’abord en le favorisant pour utiliser la dissension dans les organisations palestiniennes : Charles Enderlin qui a mauvaise presse en Israël à cause de son reportage sur l’enfant tué (une photo qui a fait le tour du monde), qui a été longtemps le correspondant en Israël d’Antenne 2 et qui est un homme honnête, en parle, de la politique d’Israël envers le Hamas, dans son livre : Le Grand Aveuglement, Israël et l'irrésistible ascension de l'Islam radical, éditions Albin Michel, 2009. Et puis plus tard Israël l’a diabolisé, le Hamas (refus de lui parler, interdiction à Abbas de s’allier à lui, demande aux Etats-Unis et à l’Occident de le mettre sur la liste des organisations terroristes). Or il faudra bien un jour lui parler, au Hamas, et il faudra bien que Hamas et Fatah se réconcilient et parlent d’une seule voix. En attendant le Hamas s’islamise de plus en plus (ou pour être plus précis : islamise Gaza de plus en plus) : on vient de décider que dans Gaza garçons et filles seront séparés dans l’éducation publique. Et en janvier l’Université Al-Aqsa rendait le hidjab plus ou moins obligatoire. Il y a une islamisation rampante à Gaza, dit la journaliste et écrivaine Asmaa El-Ghoul qui continue son combat par tous les moyens à sa disposition : blogs, livres, manifestations. Voir l’article de Laurent Zecchini dans Le Monde du 3 mars 2013, intitulé : Asmaa, dernière femme libre de Gaza. Tout ceci est d’autant plus regrettable que beaucoup de Palestiniens ont voté pour le Hamas non parce qu’ils sont attirés par l’islamisme mais simplement par désespoir. Pour proclamer, comme l’exprime Jeff Halper dans son livre : nous ne voulons plus coopérer au sein d’un processus politique qui ne nous mène nulle part sinon dans un enfermement. Au Diable vous tous, Israël, Etats-Unis, Occident, Communauté internationale, et aussi toi Fatah, qui, en plus d’être atteint par la corruption, a échoué à poursuivre notre chemin vers l’auto-détermination. Car, dit encore Jeff Halper, les peuples opprimés peuvent paraître faibles et défaits, mais il leur reste un levier : celui de dire non. Celui de la non-coopération. Et voilà que Gaza s’islamise : un autre dommage collatéral de la politique du Gouvernement israélien !
[Actions] Alors revenons à la question que nous devons nous poser, comme nous le demandent tous ces Israéliens libéraux qui viennent nous rendre visite. Que pouvons-nous faire ? Faire pression sur nos Gouvernements ? Mais comment les faire bouger quand on sait qu’ils ne respectent même pas leurs propres principes réaffirmés à plusieurs reprises : les colonies israéliennes implantées au sein des territoires palestiniens sont illégales au regard du droit international, elles sont un obstacle à l’instauration de la paix, elles risquent de rendre impossible une solution fondée sur deux Etats. En réalité l’Union Européenne fait l’inverse. Le rapport de 22 ONG européennes qui a été rendu public le 30 octobre 2012 (voir Le Monde du 31 octobre 2012) montre que l’Union achète 15 fois plus aux colonies qu’aux Palestiniens (230 millions d’euros contre 15 : chiffres fournis par Israël à la Banque Mondiale). Si on le rapportait à l’habitant on constaterait qu’on importe au moins 100 fois plus par colon que par Palestinien. Voilà comment l’UE renforce les colonies israéliennes illégales, dit le rapport. Et, en dernière instance, comme la plupart des produits provenant des colonies portent une étiquette susceptible d’induire en erreur, qui indique : « Fabriqué en Israël », ce sont les consommateurs européens eux-mêmes, in fine, qui soutiennent, à leur insu, la colonisation. C’est d’autant plus paradoxal que c’est aussi l’UE qui est le plus important bailleur de fonds des Palestiniens. Ce que demandent les ONG paraît logique : exiger l’étiquetage correct des produits des colonies, produits manufacturés compris (le Danemark et la Grande-Bretagne l’ont fait), d’en envisager le boycott (l’Irlande le demande), de les exclure au moins de l’accès préférentiel aux marchés européens. Mais quand on sait l’accueil réservé par les Gouvernements européens au rapport des consuls on ne peut que rester sceptique sur le succès de ces demandes. Il ne reste plus qu’à passer au boycott complet de tous les produits israéliens comme vient de le lancer au Luxembourg, avec campagne d’explications à l’appui, le Comité pour une Paix juste au Moyen-Orient. Et comme je le pratique moi-même déjà depuis un certain temps.
Ce que j’ai retenu à ce sujet du livre de Jeff Halper et de ses explications lors de sa conférence au Luxembourg, c’est qu’au lieu de se fatiguer à demander éternellement que les colonisations cessent et que des pourparlers de paix véritables (et sincères) soient engagés, on ferait mieux de demander à ce que les lois internationales s’appliquent en Cisjordanie. Car il y a des lois internationales qui définissent les droits et les devoirs d’un occupant. En particulier celles de la 4ème Convention de Genève qui exigent que la population d’un territoire occupé soit traitée humainement, que sa propriété soit respectée, comme sa législation, et qui interdit explicitement l’expulsion des occupés et le transfert de sa propre population dans le territoire occupé. Israël le sait parfaitement mais joue avec les mots. Territoires disputés et non occupés.
Conclusions : Toute cette note peut sembler n’être qu’un témoignage unilatéral à charge. Et pourtant je n’oublie pas les attentats, le terrorisme. Je n’oublie rien de l’horreur des bus qui explosent. Nous avons tous suivi cela dans nos journaux. Je me souviens de ce qu’écrivait Grossman dans son roman, Ava cherchant désespérément un chemin que ses enfants pourraient emprunter pour revenir de l’école sans passer par une rue vierge de tout attentat et… n’en trouvant pas une seule. Je n’oublie pas la poésie désespérée de Claude Vigée qui implore l’enfant de rester dans son lit, bien au chaud, loin des brigands, des assassins… et ne pas monter dans le premier autobus venu… Et nous connaissons, nous Français, les attentats à la bombe d’Alger, et ceux de Paris, et je me souviens de la terrible peur d’après coup quand la bombe a explosé au métro de la station du Luxembourg que notre fille prenait tous les jours alors qu’elle travaillait à côté chez Universal-Musique. Et je sais bien que tous ceux qui sévissent en Cisjordanie ou à Gaza n’agissent pas uniquement parce qu’ils croient au Grand Israël mais parce qu’ils croient ainsi assurer la sécurité d’Israël. Mais, en fait, ils n’assurent rien du tout de cette manière. Même le Hamas avait accepté de changer de politique avant même la construction du mur et d’arrêter les attentats (ce qu’on oublie généralement de rappeler). Tout ce qu’ils font aujourd’hui c’est de semer la haine pour l’avenir. Donc mettre en péril la sécurité recherchée. Ce que fait Israël en Palestine c’est tuer une mouche avec un marteau.
Je n’oublie pas non plus qu’Israël est restée malgré tout encore une démocratie. Les ONG peuvent s’exprimer librement, les journaux aussi, et des mouvements comme le Comité pour une paix juste au Moyen-Orient peuvent aujourd’hui organiser librement des voyages en Palestine. Et je sais aussi que le vote est démocratique, même trop, parce que intégralement à la proportionnelle ce qui peut être catastrophique, surtout dans des pays à populations particulièrement individualistes comme les pays latins (la IVème en France, l’Italie d’aujourd’hui) et Israël. Il n’empêche que la démocratie israélienne est loin d’être une démocratie en Israël même, pour ce qui est du statut des Arabes d’Israël. Et en Cisjordanie et à Gaza cette fameuse démocratie se dévoie : on ne respecte ni les conventions de Genève sur l’occupation, ni les injonctions des Nations Unies, ni les simples Droits universels de l’Homme (et je ne parle même pas des crimes de guerre).
Quel est l’avenir ? Jeff Halper nous a longuement parlé de la solution d’un Etat bi-national, seule solution d’après lui (et bien d’autres pensent la même chose que lui) puisque la solution à deux Etats est morte. Et d’énumérer toutes les conditions pour qu’un tel Etat soit démocratique et respecte les droits de tous. Je n’ai aucune envie d’entrer dans ces théories. Pour moi une telle solution est encore plus utopique que celle qui reviendrait aujourd’hui à une solution à deux Etats avec démolition de la plus grande partie des colonies. C’est bien le drame : la politique israélienne des dernières décennies a conduit dans un mur. C’est ce que je pense depuis fort longtemps. Et ne peux que constater que six anciens chefs du Shin-Bet semblent penser comme moi.
Au moment où je conclue cette note paraît un éditorial particulièrement optimiste du Monde (de qui ? de la nouvelle Directrice du journal ?), proclamant : Kerry revient déjà pour la troisième fois dans la zone, Obama n’a pas abandonné, on va peut-être parler au Hamas, mêler la Jordanie à la négociation (cela m’étonnerait que le Roi de Jordanie ait envie de se mouiller là-dedans), etc. Et au même moment on apprend que le Premier Ministre de l’Autorité palestinienne démissionne, qu’il est en désaccord avec Abbas, que le Ministre des Finances avait lui-même démissionné… Bonne chance à Kerry dans ces conditions.
Le 7 avril dernier paraissait un article, toujours dans Le Monde, intitulé : Mahmoud Abbas s’efforce d’accompagner la colère des Palestiniens. Une flambée de violence avait éclaté dans plusieurs villes de Cisjordanie. Les autorités israéliennes ne croient pas à un soulèvement général, dit l’article (pourtant plusieurs responsables ont déjà parlé, avec appréhension, d’une possible Intafada III). Mais, plus loin, l’article continue : c’est une situation potentiellement dangereuse, qui confirme un phénomène dont les autorités israéliennes ne semblent pas prendre la mesure. La colère devant l’occupation de toute une génération de jeunes Palestiniens atteint peut-être son paroxysme. Contrairement à leurs aînés, ils n’ont pas subi les conséquences très négatives de la seconde Intifada parce qu’ils étaient trop jeunes. Il y a presque soixante ans maintenant (c’était en 56-57) mon ami Fouad me mettait en garde contre le danger méconnu des réfugiés palestiniens au Liban : c’est un tonneau de poudre, me disait-il. Il ne croyait pas si bien dire : il allait exploser beaucoup d’années plus tard et conduire à une longue guerre civile et la haine entre communautés. Aujourd’hui le tonneau de poudre est en Palestine.
Post-scriptum : A peine une semaine après l’éditorial optimiste du Monde paraît un autre article d’un journaliste spécialiste du Proche-Orient, Gilles Paris (Le Monde du 21 avril 2013), intitulé Israël-Palestine : l'option des deux Etats a vécu. L'article commence par raconter que le Ministère des Affaires étrangères israélien a réalisé une vidéo à l’occasion de la fête de l’indépendance de l’Etat juif, vidéo retraçant l’histoire qui a façonné l’Etat d’aujourd’hui et que le voisin palestinien n’y est guère mentionné, ni, bien sûr, la poignée de mains historiques Rabin-Arafat d’il y a vingt ans. Après deux décennies de rendez-vous ratés, lit-on encore dans l'article, qui peut encore croire que la solution… des deux Etats… constitue toujours un aboutissement raisonnable auquel on parviendra après avoir surmonté quelques contrariétés ? … La colonisation israélienne de la Cisjordanie a produit un enchevêtrement qui rend progressivement impossible une division territoriale. L’absence de véritable alternative (un Etat unique constituerait la négation brutale de deux nationalismes), pas plus que les mises en garde sur les effets potentiellement destructeurs du statu quo ne semblent avoir de prise… Dans ces circonstances, on voit mal comment la diplomatie précautionneuse et modeste de la navette relancée par M. Kerry pourrait produire le moindre résultat… Le renoncement à la formule des deux Etats a beau rester un tabou international, c’est pourtant une autre réalité qui se structure et qui s’enracine, promesse d’aggiornamento douloureux.
C’est une autre façon d’évoquer le « tonneau de poudre ».
Et, à propos d’une nouvelle demande d’étiquetage des produits originaires des colonies avancée par un certain nombre de pays européens, Israël refuse tout simplement : ce serait discriminatoire !