Le fisc français vient de découvrir l’île d’Arros. Moi j’ai eu la chance de la découvrir il y a presque dix ans déjà. Elle n’est qu’à une heure et demie environ (en bateau à moteur rapide) de Desroches dans les Amirantes. Là où j’ai plongé pour la première fois. Je l’ai raconté dans mon poème Nostalgies :
C’est dans l’Océan Indien que j’ai plongé pour la première fois
Aux Seychelles, à Desroches dans les Amirantes
Je n’oublierai jamais les premières sensations
Libéré de la pesanteur, on plane, on vole
On pense à Icare et à son rêve fou
Rêve impossible à réaliser dans l’air
Et que l’on réalise dans l’eau
On nage au-dessus d’un plateau, l’effleurant à peine
On bascule par-dessus bord, descend le long d’un tombant
On entre dans une grotte, effarouchant une raie
Ou un requin dormeur, heureusement herbivore
On passe sous un arc, on regarde partout
La murène sort sa tête et vous montre ses dents
Les antennes de la langouste dépassent de son trou
Et elle ne le sait pas
Deux petites pieuvres se tiennent par la main
Et vont se cacher plus loin
L’eau n’est plus ce milieu hostile à l’homme
Grâce aux bouteilles on peut prendre son temps
Les rayons du soleil filtrent jusqu’à nous
Et font briller les bulles qui s’échappent vers le haut
Et donnent des couleurs aux coraux, aux poissons et aux herbes
Beaucoup d’années plus tard, revenu à Desroches, j’y ai trouvé un nouveau chef de centre de plongée, particulièrement sympa, Léo le Hollandais. Et lorsqu’un des clients de l’hôtel, plongeur chevronné, nous a raconté qu’il avait eu l’occasion de plonger à d’Arros, dans la passe entre d’Arros et son île sœur, un site magnifique, complètement vierge, Léo a accepté de nous y amener. Et ce fut effectivement une expérience inoubliable, en matière de plongée du moins. Je le raconte également dans Nostalgies :
Je me souviens aussi d’une plongée à d’Arros
L’île du Shah, toujours dans les Amirantes
Avec Leo et un autre plongeur
Une passe entre d’Arros et son île-sœur
Un site inexploré
Nous flottons au-dessus d’un champ de coraux noirs
Dans une grotte nous découvrons un mérou géant
Le plus gros mérou que j’aie jamais rencontré
(Pour parler comme le Reader’s Digest)
Nous l’observons tous les trois
La lippe retroussée, le regard curieux
Il nous observe aussi
Puis nous repartons à la queue leu leu
Leo se retourne et tend son bras :
Le mérou est derrière nous. Le mérou nous suit
Un peu plus loin un Napoléon vient à notre rencontre
Lippu et bossu lui aussi
Dans sa superbe livrée verte et bleue
Et fait demi-tour et nous suit aussi
Et pendant tout ce temps
Trois poissons-anges, encore vêtus de leurs pyjamas
Rayés jaune et noir
Passent entre nous, frôlant nos jambes
Et ne nous quittent plus
Même pendant que nous faisons notre palier
A seulement trois mètres de la surface de l’eau
Mais les bouteilles sont vides
Et le bateau nous attend
Il faut quitter les amis
Que l’on s’est faits dans l’autre monde
D’Arros est situé dans un petit groupe d’îles, l’atoll St. Joseph, qui contient également une île qui porte un nom célèbre, Poivre, du nom de cet homme qui a tant fait pour la promotion de la culture des épices aux îles Mascareignes, un Lyonnais au nom prédestiné, Pierre Poivre, ou Le Poivre (voir Louis Malleret : Pierre Poivre, édit. Ecole française d’Extrême-Orient, 1974). Celui qui était à l’époque le gérant de l’île d'Arros, était un Anglais, un homme bien connu aux Seychelles, et qui y a publié plusieurs livres sur la région, dont celui-ci : Glynn Burridge : Voices from a corner of Eden, édit. Savy Publishers, Seychelles, 1998. Dans l’introduction il raconte que sa famille s’était installée en Iran en 1960 et que lui-même avait été très proche de Reza Pahlavi. C’est son ami, le Prince Chahram Pahlavi qui avait acheté l’île dès 1975 prévoyant que grâce à son grand isolement elle pourrait servir un jour de refuge, en cas de chute du Shah, à une partie de la famille. Burridge était arrivé aux Seychelles en 1977 et de-vait participer à la mise en valeur de l’île et plus tard à sa gérance. Car je ne crois pas que Chahram Pahlevi a dû beaucoup y séjourner. La plupart du temps elle était louée à de riches clients. C’était le cas lorsque nous y sommes allés pour notre plongée. On nous avait prévenus par radio que nous pourrions ancrer le bateau, pour un moment, de l’autre côté de la passe mais qu’il nous était strictement interdit d’aborder à d’Arros. J’ai quand même pu photographier la belle demeure que l’on pouvait apercevoir du bateau, demeure que j’ai appelée dans mon album de photos : la Chaumière du Shah (alors que c’était probablement déjà celle de Madame de Bettencourt). Et puis nous avons pu pique-niquer sur la petite île sœur, La Ressource, une île d’ailleurs pas très hospitalière et infestée de moustiques. Ce qui fait que j’ai beaucoup de sympathie pour le photographe, ce pauvre François-Marie Banier, qui a déclaré qu’il sait qu’il doit en hériter un jour mais qu’il n’aime pas beaucoup y séjourner. « C’est infesté de requins et de moustiques », aurait-il déclaré.
J’ai retrouvé quelques dates dans mes albums de photos de vacances. Mon premier séjour à Desroches et ma première plongée datent de janvier 1989. Mon premier instructeur de plongée, Bob, était un type formidable, un Sud-Africain plus très jeune. A la fin de la semaine il organisait un pique-nique pour tous les plongeurs et leurs compagnes au bord d’une plage près d’un endroit qu’il avait baptisé l’aquarium, tellement il y avait de poissons de toutes les espèces, même un requin dormeur qu’on allait tirer par la queue et la tortue de service. Il faut dire que l’île Desroches n’avait été ouverte au tourisme que l’année d’avant et qu’elle était encore très préservée. Il suffisait de s’éloigner de la plage d’une centaine de mètres en snorkeling pour voir sur deux mètres de fond des requins dormeurs, des tortues et des raies. Plus tard un gérant d’hôtel idiot y a introduit des scooters de mer et certains clients encore plus idiots, dont un certain astronaute français que le Gouvernement seychellois avait invité gracieusement, se sont amusés à labourer le plan d’eau en faisant le plus de bruit possible, poussant les raies et les requins dormeurs à aller dormir ailleurs.
Notre escapade à d’Arros s’est faite lors d’un séjour ultérieur à Desroches, en avril/mai 2001. Pour moi ce séjour était particulièrement important. Dix mois auparavant j’avais été opéré d’un cancer au colon. Mon intestin ayant fait grève, refusant de redémarrer après l’opération, je suis resté bloqué 25 jours dans ma chambre d’hôpital au CHU de Hautepierre dans la banlieue de Strasbourg. Alors tous les jours, cela aussi je le raconte dans mon poème, je rêvais de Desroches ou de l’île Denis, et nageais au-dessus des bancs de coraux dans cette mer couleur d’émeraude, si claire, si chaude, si caressante et qui s’étendait jusqu’à l’infini.
En l’an 2000 un crabe avait attaqué mes intestins
Après l’opération mon corps a fait la grève
Bloqué pendant vingt-cinq jours dans ma chambre d’hôpital
Au CHU de Hautepierre
Je contemplai de ma fenêtre les jolis tramways au design italien
Que Madame Trautman avait offert aux Strasbourgeois
Je pensais aux joyeux lurons du quartier
Qui illuminaient tous les ans les Noëls alsaciens
En allant mettre un feu de joie à la voiture de leurs voisins
Alors chaque jour mon esprit partait à l’île Denis
Je plongeais mon corps dans l’eau chaude et bienfaisante
Mes yeux s’enivraient de ses couleurs
Je sentais le goût du sel sur mes lèvres
J’allais faire du snorkeling au-dessus des bancs de coraux
Je suivais une drôle de raie, brune à points blancs
J’admirais les couleurs bigarrées des perroquets
Et j’entendais leurs coups de bec contre le corail
Et je voyais derrière moi un petit requin de récif qui me suivait à la trace
Voilà la drogue qui m’a permis de tenir et de garder l’espoir
Mille fois plus puissante que la morphine des premiers jours
Alors, vous pensez : quelle victoire, quelle jouissance de pouvoir vivre tout cela en vrai moins d’une année plus tard. Et, en plus, je tombe une fois de plus sur un moniteur de plongée parti-culièrement sympa, Leo le Hollandais. Et puis là-dessus l’expédition à d’Arros !
Nous sommes revenus à Desroches en octobre 2003. Entre-temps j’avais subi une nouvelle opération. Métastases au foie. Pas plus plaisante que la précédente. Mais cette fois-ci Des-roches nous a un peu déçus. On avait l’impression que l’île commençait à s’ensabler. Des agences de voyage crétines avaient demandé au propriétaire de cette magnifique île corallienne d’y construire une piscine. Le nouveau chef du Centre de plongée, un Anglais, plutôt froid, ne connaissait pas les bons sites de plongée. Et quand on a demandé si on pouvait retourner à d’Arros, on nous a répondu que l’île avait des hôtes et qu’il était toujours interdit de s’installer sur leur plage. Alors, comme Annie qui ne fait pas de plongée bouteille, n’avait pas envie de nager en rond pendant une heure autour du bateau comme la dernière fois on a renoncé. Mais je crois bien pouvoir affirmer que les fameux hôtes de d’Arros cette année-là étaient les Bettencourt. Je ne me souviens plus si c’est à ce moment ou un peu plus tard que l’on nous a expliqué que l’île avait changé de mains, mais ce dont je suis absolument certain c’est qu’en 2007, lorsque nous avons séjourné pour la dernière fois aux Seychelles, tout le monde dans l’archipel savait que la famille du Shah n’était plus propriétaire de d’Arros et que le nouveau maître des lieux était Madame de Bettencourt. Si ce pauvre Monsieur Woerth et cette pauvre Madame Woerth avaient été aux Seychelles à ce moment-là ils l’auraient appris également. Mais tout le monde ne peut pas se payer des vacances aux Seychelles.