(à propos de Erich Kästner : die Montagsgedichte, avec un avant-propos de Marcel Reich-Ranicki, Atrium-Verlag, Zurich, 2012)
Erich Kästner fait partie avec Tucholsky et Fallada de ces écrivains et poètes populaires, sceptiques, satiristes, berlinois de naissance ou d’adoption, humanistes surtout, et acrobates linguistiques, truffant leur langue de locutions populaires et argotiques, même par ci par là de quelques mots de yiddish.
Marcel Reich-Ranicki l’adore bien sûr, comme il adore Tucholsky. Il avait d’ailleurs inclus les deux poètes dans sa petite Anthologie (Die besten deutschen Gedichte, ausgewählt von Marcel Reich-Ranicki, Insel, Belin, 2019) dont j’avais rendu compte au tome 5 de mon Voyage autour de ma Bibliothèque sous le titre : la Poésie allemande selon Marcel Reich-Ranicki. J’y avais d’ailleurs repris et traduit deux poèmes de Kästner : Kennst Du das Land, wo die Kanonen blühn ? (Connais-tu le pays où fleurissent les canons ?) et Die Entwicklung der Menschheit (L’évolution de l’humanité qui finit avec ce vers : mais à la fin, ce sont toujours les mêmes vieux singes).
Kästner n’est pas Berlinois mais est né à Dresde en 1899. Il est d’abord devenu célèbre avec des livres pour la jeunesse : Emil und die Detektive (1929. Emile et les détectives), Pünktchen und Anton (1931, publié en français avec le titre : Petit point et ses amis) et, plus tard, Das doppelte Lottchen (1949, publié en français sous le titre : Deux pour une). Mais il a aussi écrit un roman sérieux qui décrit la situation sociale au cours des dernières années de la République de Weimar : Fabian, die Geschichte eines Moralisten (1931. Fabien, l’histoire d’un moraliste). Et puis il publie de nombreux poèmes et écrit articles et critiques de théâtre pour des journaux et revues. Lorsque les Nazis arrivent au pouvoir il reste en Allemagne (Je suis comme un arbre qui a poussé en Allemagne et qui, s’il le faut, se dessèche en Allemagne, écrit-il). Il est surveillé de près par la Gestapo, interdit de publication et ses livres sont brûlés. Après la guerre il continue à écrire, devient un peu alcoolique et meurt en 1974.
Les Poèmes du lundi sont des poèmes d’actualité qu’il fournit régulièrement à un journal du lundi, justement, le journal berlinois : Montag Morgen, entre 1928 et 1930. Kästner est un formidable témoin de la vie urbaine, il défend la modernité et l’esprit libéral de la République de Weimar, tout en mettant en évidence la vacuité de certains aspects de la culture et de la société, et il n’arrête jamais de mettre en accusation le militarisme, le nationalisme et le grand capital.
Voici quelques-uns de ces poèmes. Des poèmes qui m’ont frappé plus particulièrement, mais que je ne vais pas tous traduire. D’autant plus que la traduction en est difficile et souvent, même carrément impossible, à cause de sa langue, ses tournures et les rapports entre ses mots.
Poèmes se moquant de certains travers de la société :
Ein paar neue Weltrekorde (dem 6-Tage-Redner gewidmet) (Quelques nouveaux records mondiaux. Dédié à l’orateur de six jours)
J’en connais d’autres encore, dit Kästner, comme ce garçon qui tente le record de regarder par la fenêtre (la foule se masse devant sa maison, on le nourrit avec des œufs crus, etc.). Ou cet homme qui ne s’est pas lavé depuis cinq ans, les femmes lui courent après, l’UFA l’a engagé, etc.). Ou l’homme qui rit depuis 1918. Sans s’arrêter. Et qui lui dit, en reprenant son souffle :
Wenn ich mal nicht mehr lachen kann,
seh ich mir bloß die Menschen an.
Da kann ich gar nichts machen.
Ich seh sie – und muss lachen.
Et quand je n’arrive plus à rire,
je n’ai qu’à regarder vivre les hommes.
Alors là, il n’y a plus rien à faire.
Je les regarde – et je me mets à rire.
De la même veine : 6-Tage-Rennen (les six jours)
Sie sitzen sechs Tage auf Rädern.
Sie fahren sechs Tage im Kreis.
Ihr Podex wird zusehends ledern.
Ils sont assis six jours sur leurs vélos.
Ils courent pendant six jours en rond
Leur derrière devient du cuir
…
Sie brauchen den Kopf nur zum Bücken
und schmissen ihn lieber fort.
Denn bloß der verlängerte Rücken
führt hier das große Wort.
Ils n’ont besoin de leur tête que pour se pencher
et aimeraient autant s’en débarrasser
Car seul le prolongement de leur dos
est important pour ce qu’ils font.
Un autre poème qui fait mal : Klassenzusammenkunft (rencontre de classe)
Sie trafen sich wie ehemals,
im 1. Stock des Kneiplokals.
Und waren zehn Jahre älter
Sie tranken Bier..
…
Und nannten die Gehälter.
Ils se sont rencontrés comme dans le temps,
au 1er étage de la taverne.
Et ils étaient plus vieux de dix années.
Ils ont bu de la bière…
…
Et ont cité leurs salaires.
Sie saßen da, die Beine breit,
und sprachen von der Jugendzeit
…
Sie hatten, wo man hinsah, Bauch,
und Ehefrauen hatten sie auch
und fünfe waren Vater.
Ils étaient assis là, allongeant les jambes,
et évoquaient le temps de leur jeunesse
…
Ils avaient, vus de près, tous du ventre
ils avaient aussi des épouses,
et cinq d’entre eux étaient devenus pères.
Sie tranken rüstig Glas auf Glas
und hatten Köpfe bloß aus Spaß
und nur zum Hütetragen.
Sie waren laut und waren wohl
aus einem Guss, doch innen hohl,
und hatten nichts zu sagen.
Ils buvaient verre sur verre
et leurs têtes n’étaient là que pour la frime
et juste pour porter un chapeau.
Ils étaient bruyants et étaient tous faits
du même moule mais creux à l’intérieur,
et n’avaient rien à dire.
…
Sie saßen breit und aufgebläht
wie nicht ganz tote Leichen.
…
Ils étaient assis, larges et gonflés d’air
comme des cadavres pas tout-à-fait morts.
Da, gegen Schluss, erhob sich wer
und sagte kurzerhand, dass er
genug von ihnen hätte.
Er wünsche ihnen sehr viel Bart
und hundert Kinder ihrer Art,
und gehe jetzt zu Bette.
Alors, à la fin, l’un d’eux s’est levé
Et leur dit, simplement,
qu’il en avait marre d’eux.
Il leur souhaitait beaucoup de barbe
et cent enfants de leur sorte,
et qu’il allait maintenant se coucher.
Den andern war es nicht ganz klar,
warum der Kerl gegangen war.
Sie strichen seinen Namen
und machten einen Ausflug aus.
Für Sonntag früh. Ins Jägerhaus.
Doch dieses Mal mit Damen.
Les autres n’ont pas bien compris
pourquoi le type était parti.
Ils ont rayé son nom du club
et projeté une excursion.
Pour dimanche matin. Dans la maison de chasse.
Mais cette fois-ci avec les dames.
Il y a d’autres poèmes qui ne sont pas très joyeux. C’est ainsi qu’on parle souvent de suicide. Comme dans celui-ci : Saldo mortale.
Où le suicidé sauvé, une fois réveillé, engueule ses sauveurs : Vous ne m’avez jamais payé mes impôts, jamais prêté une seule Mark. Vous m’avez volé mon boulot et ne m’en avez pas procuré un autre. Vous m’avez envoyé chercher du travail mais n'avez fait que me regarder comme si j’étais un voleur. Quand j’étais malade vous ne m’avez pas soigné. Ma femme s’est même donnée à vous. Comment avez-vous eu le courage de me réveiller ? Quand on fait ce que j’ai fait, sauver la vie c’est assassiner. On n’a pas besoin de vivre quand on ne le peut pas. Alors, pour finir, il monte au 4ème étage et se jette dans le vide. En économisant même le gaz.
Il y a même un poème que je vais vous traduire en entier car il diffère des autres. Parce que cette fois-ci on n’y trouve aucun trait d’humour, même pas ce Galgenhumor, l’humour des potences, l’humour noir des Juifs des Stettl échappés aux massacres et qui est parvenu jusqu’à Berlin. Un poème triste et qui s’intitule Tristesse : Traurigkeit
Man weiß von vornherein, wie es verläuft.
Vor morgen früh wird man bestimmt nicht munter.
Und wenn man sich auch noch so sehr besäuft –
die Bitterkeit, die spült man nicht hinunter
On sait à l’avance comment ça va se passer.
Avant demain matin on ne retrouvera pas le moral.
Et même si on se saoule à mort,
l’amertume vous reste dans la bouche.
Die Trauer kommt und geht ganz ohne Grund.
Und man ist angefüllt mit nichts als Leere.
Man ist nicht krank. Und fühlt sich nur gekränkt.
Et ist, als ob die Seele unwohl wäre.
La tristesse vient et part sans raison aucune.
Et on n’est plein que de vide.
On n’est pas malade. On n’est que mal.
C’est comme si c’était l’âme qui n’était pas bien.
Man will allein sein. Und auch wieder nicht.
Man hebt die Hand und möchte sich verprügeln.
Vorm Spiegel denkt man : « Das ist dein Gesicht ? »
Ach, solche Falten kann kein Schneider bügeln !
On voudrait être seul. Et puis, non.
On lève la main et voudrait se gifler.
Devant la glace on pense : « c’est toi ça ? »
Oh, ces rides-là, aucun tailleur ne peut les repasser.
Vielleicht hat man sich das Gemüt verrenkt ?
Die Sterne ähneln plötzlich Sommersprossen.
Man ist nicht krank. Man fühlt sich nur gekränkt.
Und hält was es auch sei, für ausgeschlossen.
Peut-être s’est-on foulé l’humeur ?
Les étoiles ressemblent soudain à des taches de rousseur.
On n’est pas malade. On est juste mal.
Et on pense que, quoi que ce soit, tout est impossible.
Man möchte fort und findet kein Versteck.
Es wäre denn, man ließe sich begraben.
Wohin man blickt, entstellt ein dunkler Fleck.
Man möchte tot sein. Oder Urlaub haben.
On aimerait partir mais ne trouve pas de cachette.
A moins de se laisser enterrer.
Où que l’on regarde, on ne voit que des taches noires.
On aimerait être mort. Ou être en congé.
Man weiß, die Trauer ist sehr bald behoben.
Sie schwand noch jedes Mal, sooft sie kam.
Mal ist man unten, und mal ist man oben.
Die Seelen werden immer wieder zahm.
On le sait, la tristesse sera bientôt partie.
Chaque fois qu’elle est venue, elle a de nouveau disparu.
Il y a des jours on est tout en-bas, et d’autres on est en-haut.
Les âmes, toujours, redeviennent dociles.
Der eine nickt und sagt : « So ist das Leben ».
Der andre schüttelt seinen Kopf und weint.
Die Welt ist rund, und wir sind schlank daneben.
Ist das ein Trost ? So war es nicht gemeint…
L’un incline la tête et dit : « c’est la vie ».
L’autre secoue la tête et pleure.
La Terre est grosse et nous sommes bien petits à côté.
Est-ce une consolation ? Non, pas vraiment…
Voilà. Visiblement, ce lundi-là, Kästner avait le blues… Dommage que les derniers vers soient un peu ratés.
Beaucoup des poèmes d’Erich Kästner dénoncent l’oppression des salariés par les grands patrons. Comme ce poème intitulé Choral für Ruhrbarone (Choral pour barons de la Ruhr), écrit à la suite des grandes grèves dans la Ruhr de novembre 1928, suivies du lock-out par le patronat de 230000 ouvriers.
Der Gott der Eisen wachsen ließ,
schuf auch die Überstunden,
die Aktien und die Syndicis.
Wir sind Ihm verbunden.
Le Dieu qui a fait pousser le fer,
a aussi créé les heures supplémentaires,
les actions et les trusts.
Nous lui sommes reconnaissants.
Ja, Gottes Güte reicht so weit
wie Kabel und Kanonen !
Er ist meist mit der Minderheit,
und nicht mit den Millionen.
Das möchten wir betonen.
Oui, la bonté du Seigneur va aussi loin
que les câbles et les canons !
Il est en général du côté des minorités
et non de celui des millions d’autres.
C’est ce que tenons à affirmer.
…
Wir sind der Adel der regiert,
und bleiben es auch künftig.
…
Nous sommes l'aristocratie qui commande,
Et le serons encore à l’avenir.
Mit uns, da macht man keinen Staat !
Wir kennen nur noch Klassen.
Minister schreiben nach Diktat.
Sonst muss man sie entlassen.
Avec nous, il n’y a pas d’Etat !
Nous ne connaissons que les classes.
Les ministres écrivent sous la dictée.
Sinon, il faut les licencier.
Ach, wer noch nie Direktor hieß,
der braucht auch keine Rechte.
Der Gott, der Eisen wachsen ließ,
der wollte weiter nichts als dies :
Knechte !
Celui qui n’a jamais été appelé Directeur,
n’a pas besoin d’avoir des droits.
Le Dieu qui a fait pousser le fer,
n’a jamais voulu autre chose que ceci :
Des valets !
Un autre poème, plus humoristique, intitulé Schlaflosigkeit (Insomnie), parle d’un homme qui ne dort plus une seule nuit depuis bientôt 15 ans. C’est lors de la guerre de 14 qu’il a été frappé par un obus :
Im Weltkrieg traf den Mann ein Schuss.
Seitdem ist’s mit dem Schlafen Schluss.
C’est lors de la guerre mondiale qu’un tir l’a frappé.
Depuis lors il n’a plus jamais dormi.
Alors évidemment, beaucoup de professeurs de médecine cherchent à comprendre mais n’y comprennent rien. Pourtant, dit Kästner, si on pouvait comprendre ce serait bien utile :
Denn : wird das Schlafen abgeschafft,
verbilligt das die Arbeitskraft
um ungefähr den halben Preis !
Man sieht : es lohnt sich der Beweis.
Car si on pouvait supprimer le sommeil,
cela diminuerait le coût du travail
d’environ la moitié !
On voit : cela vaudrait le coup.
En tout cas, dit Kästner, les patrons sont très intéressés. Le besoin en personnel diminuerait beaucoup, chacun travaillerait pour deux, les patrons ne seraient plus endettés, ce serait le retour de l’âge d’or. Et on pourrait même aller encore plus lon :
Wann wird man endlich operiert,
dass man den Durst, den Appetit,
die Sehnsucht und den Schlaf verliert
und trotzdem kerngesund aussieht ?
Das wäre für die Arbeitnehmer,
im Gegensatz zu heute, viel bequemer.
Quand allons-nous être opérés,
de façon à perdre la soif et l’appétit,
le sommeil et la nostalgie
et paraître quand même en excellente santé ?
Ce serait en tout cas pour les salariés,
contrairement à aujourd’hui, bien plus agréable.
Il y a aussi ce dialogue, une réflexion sur les grandes Pyramides, Belauschte Allegorie (Une allégorie entendue) :
A. :
Sämtliche Steine der Pyramiden
gleichen einander so ungefähr.
Nur in einem Punkt sind sie verschieden :
Die unteren Steine tragen viel mehr.
Toutes les pierres des Pyramides
sont plus ou moins semblables.
Il n’y a que sur un seul point qu’elles diffèrent :
Les pierres du bas portent plus.
B. :
Ihre Anteilnahme ist ehrenswert.
Die Steine haben sich wohl beschwert ?
Es sind nun mal nicht alle die Ersten.
Die Untersten haben es immer am schwersten.
Votre intérêt vous honore.
Est-ce que les pierres se seraient plaintes ?
Que voulez-vous, tous ne peuvent pas être les premiers.
Et ceux d’en-bas souffrent toujours plus.
Alors A. demande si on ne devrait pas retourner la pyramide et la poser sur la pointe. Mais B répond que dans ce cas tout s’écroulerait et qu’en reconstruisant la pyramide, la pointe serait toujours au sommet et les pierres d’en-bas, en-bas. C’est bien embêtant, dit A., car les pierres d’en-bas, comme les hommes d’en-bas, sont justement la majorité, non ? Oui, dit B., remarquez, il y aurait bien une solution. Laquelle, demande A. Peut-être, dit B, à l’avenir, ne plus construire de pyramides !
Et puis il y a ce poème qui nous parle de natalité, de manière fort plaisante : Bettgespräche (Conversations de lit), un poème que j’avais découvert dans un autre volume de poèmes de Kästner : Erich Kästner : Sachliche Romanzen – Gedichte über die Liebe und andere unvermeidliche Dinge (Romances objectives - De L’amour et d’autres choses que l’on ne peut éviter) et dont j’avais rendu compte dans une note de mon Bloc-notes 2014 à propos du Décès de Marcel Reich-Ranicki. Voilà ce que j’avais écrit : « Il y a ce couple qui parle de politique le soir au lit : le Parlement s’est plaint de notre taux de natalité, un Ministre a dit que c’est la fin de l’Allemagne, l’avortement un crime, il te reproche même ta fausse couche, dit le mari…
Oui, nous devons fabriquer des enfants
Pour l’Armée. Pour l’Industrie
Pour que l’on puisse baisser les salaires. Et pour perdre les guerres
(Jawoll, wir sollen Kinder fabrizieren.
Fürs Militär. Und für die Industrie.
Zum Löhnesenken. Und zum Kriegsverlieren.)
Viens, chérie, on va le satisfaire
…
Pourtant, ceux qui ne naissent pas ne seront pas chômeurs !
(Wer nicht zur Welt kommt, wird nicht arbeitslos.)
…
Enfin, viens, on va soigner le taux de natalité
Mais éteins la lampe. Pour que le Parlement ne nous voie pas.
(Komm, lass uns den Geburtenrückgang pflegen !
Und lösch die Lampe aus. Des Landtags wegen.)
Comme on le voit, voilà une question qui est toujours d’actualité (avais-je ajouté). Les enfants qui ne naissent pas ont un bel avenir : ils ne seront pas chômeurs. Ce qui explique pourquoi il y a si peu de chômage en Allemagne (encore aujourd’hui) et tant chez nous. C’est simple, on fait trop d’enfants. »
Il y a aussi ce poème amusant qui contient dans son titre un mot yiddish (il faut dire que bien des mots yiddish ont fait leur entrée dans le patois berlinois) : Alles hat Dalles (Tout le monde a le dalles) (Avoir le dalles veut dire manquer d’argent, avoir des soucis financiers). Et il s’étonne :
Kein Mensch hat Geld. Und Geld hat keiner.
Doch ich versteh nicht : wo ist es hin ?
Plus personne n’a de l’argent. Plus personne.
Je ne comprends pas : où est-il allé ?
Erst war es da. Nun ist’s verschwunden.
Doch irgendwo muss es scließlich sein.
D’abord il était là. Puis il a disparu.
Il doit pourtant être quelque part.
Peut-être une explication : Wer heute Geld hat, hat im Ausland Konten,
Die andern werden nur sehr spät gescheit.
Qui a encore de l’argent, a des comptes à l’étranger
Les autres ne deviennent intelligents que bien trop tard.
Mais Kästner n’oublie pas la montée de l’extrême-droite, des Croix gammées, du racisme. Comme dans ce poème où il parle des premières bombes, contre le Reichstag déjà, (Bombenwerfer-Hymne, Hymne des lanceurs de bombes) ou celui qu’il consacre à son coiffeur (Der eingeseifte Barbier, Le barbier ensavonné) : les coiffeurs sont des grands bavards, dit Kästner. Le mien aussi. Il sait tout, comme s’il y était, et il sait surtout quand un journal ment (on voit que la notion de presse mensongère n’est pas nouvelle !). Et depuis un certain temps il sait aussi ce que le peuple veut (Zur Zeit doziert er übers Volksbegehren)
Er ist der Bartels unter den Friseuren.
Nichtarier schneidet er sehr gern ins Kinn.
Il est le Bartels des coiffeurs
Et aime bien couper le menton des non-ariens.
Adolf Bartels (1862-1945) était un écrivain antisémite que les Nazis ont glorifié plus tard. Der Deutsche, sagt er, wäre schwer zu reizen.
Doch wenn, dann würde er zum wilden Tier.
L’Allemand ne se laisse pas exciter facilement, dit-il.
Mais quand il l’est, il devient une bête sauvage.
Wir müssten, sagt er, Deutschland niederbrennen
Und ganz zugrunde gehen müssten wir.
Damit wir auf unsern Stolz besännen.
Er mache wieder mit. Als Stabsbarbier.
Nous devrions, dit-il, mettre le feu à l’Allemagne
Il faudrait qu’on soit complètement foutus.
Pour que nous retrouvions notre fierté.
Il était prêt à repartir. Comme coiffeur d’Etat-Major.
Si Erich Kästner semble avoir été plus choqué par la situation sociale que par l’avènement des Nazis, c’est qu’au cours de ces années 1928 à 1930, c’était bien la crise économique qui était le premier souci de la population et qui annonçait le début de la fin pour la République de Weimar. Une crise dont la cause principale a été la grande crise américaine de 1929 qui a eu des effets immédiats sur l’Allemagne. Parce que les banques allemandes étaient fortement endettées et parce que l’Allemagne dépendait déjà de manière importante de l’exportation et donc du marché mondial (ce qui n’était pas le cas de la France où les effets de la crise de 29 se sont fait sentir plus tard).
Kästner était encore bien jeune quand il a écrit ces vers impertinents. Juste la trentaine. Mais il était déjà lui-même. Quelqu’un de profondément humain. Et sensible…