Connaissez-vous le Kàhle Wàse ? Non, probablement pas. En français il s’appelle bêtement le Petit-Ballon. En alsacien c’est plus imagé : le Mont chauve ou plutôt le chaume chauve. On pense tout de suite à des lunes de pleine lune et des bals de sorcières, leurs balais laissés au parking et le diable jouant du violon. Mais moi, je le connais bien, ce Kàhle Wàse. On y monte depuis Luttenbach dans la vallée de Munster et moi j’y étais, à Luttenbach, en 1947. J’avais 12 ans. Et le Bacille de Koch m’avait attaqué. Primo-infection, cela s’appelait. Mon oncle et ma tante, dans les temps difficiles de l’après-guerre, avaient loué un petit logement dans une ferme. Alors je les ai rejoints pendant deux mois. Février et mars, je crois. Et j’y suis retourné pendant les grandes vacances. Ce qui m’a permis de faire ample connaissance avec la vie du village, avec les enfants de mon âge, nettement plus polissons qu'en ville. En été, je l'ai déjà raconté, on était tous couchés en rond sur l'herbe, les filles montraient leurs culottes, racontaient ce que faisait leur grande sœur quand elle montait dans les bois avec son amoureux, et se mettaient autour des garçons quand ils faisaient pipi contre un arbre, et se moquaient du petit instrument qu'elles n'avaient pas. En hiver on montait à pied pendant une bonne heure, avec nos luges, le sentier qui allait jusqu'au col qui menait au Petit-Ballon et puis, pendant un long moment, on glissait dans le silence et l'odeur des sapins jusqu'à arriver rouges et réjouis à la ferme pour déjeuner.
Bien plus tard, je suis retourné sur le Mont avec Annie. Nous nous sommes couchés à notre tour dans l’herbe et puis nous sommes allés jusqu’à la ferme qui se trouvait là-haut, et qui produisait encore ce bon fromage de Munster, le roi de nos fromages vosgiens, et nous nous en sommes régalés. Alors quand j’ai découvert ce petit poème de l’Alsacien Gaston Jung, j’ai bien ri. Et je l’ai transposé en français. Un peu librement, même très très librement, en espérant que Gaston, de là-haut, me pardonnera…
Sundaa
Am Kahle Waase sietze d’haase
Un rumpfle d’kalde schnuddelnaase
Em gröje graas lej ich un lääs
D’sun iesch wissgääl wie gaissekääs
Drunde am pfaad ruefe mich d’litt
Awer ich gieb ken antwort hitt
Sundaas brücht mer e biessel ruej
D’ganz wuch het’s bolitik genuej
Drum lej ich uffm Kahle Waase
Miedemme buech, zwiesche de haase.
Dimanche
Les lapins remuent leurs nez sur le Mont chauve
Autour de moi qui lis, couché dans l’herbe mauve
Le soleil est pâle, couleur de lait
Comme un fromage de Munster pas fait
Des gens me saluent du chemin d’en bas
Mais aujourd’hui je ne leur réponds pas
Le dimanche il faut rester pacifique
Toute la semaine on ne parle que politique
C’est pour cela que je lis, des poèmes, sur le Mont chauve
Couché dans l'herbe, entre mes lapins mauves