Un Florilège poétique en langues de France

J’ai déjà raconté dans quelles circonstances j’ai été contacté pour collaborer à la réalisation d’un florilège poétique dans ce qu’on appelle les principales langues minoritaires de France : alsacien, basque, breton, catalan, corse et occitan. On aurait bien voulu ajouter le créole mais les deux initiateurs du projet n’ont pas trouvé de référent prêt à s’en occuper. Et j’ai déjà dit dans une note de mon Bloc-notes 2018 intitulée L’Alsaco combien j’ai pris de plaisir à m’enfoncer dans l’univers poétique de cette langue qui a été ma première langue maternelle, aussi bien dans sa version du sud que dans celle du nord. 
Mais maintenant que l’ouvrage a été publié (en mai dernier) sous le titre : Par tous les chemins – Florilège poétique des langues de France : alsacien, basque, breton, catalan, corse, occitan, sous la direction de Marie-Jeanne Verny et Norbert Paganelli, préface de Jean-Pierre Siméon, éditeur Le Bord de l’Eau, Lormont, j’aimerais revenir sur certains aspects de ce travail. Car tout n’a pas été rose. A côté de grandes satisfactions j’ai eu aussi quelques frustrations. Frustrations pour lesquelles je porte une bonne part de responsabilité. Je l’avoue. Il faut dire que je n’étais pas du sérail. Amoureux de la poésie, mais ingénieur de formation. Amateur face à des universitaires et des enseignants. Et référent pour une langue dont l’histoire était totalement différente des histoires des autres langues. 
Qui étaient les autres intervenants ? Marie-Jeanne Verny est une Universitaire, grande spécialiste de l’occitan et qui se bat depuis toujours pour la conservation et le développement de sa langue comme des autres langues minoritaires. Marie-Jeanne Verny est originaire du Cantal. Agrégée de lettres, professeure de langue et littérature occitanes à l’Université Paul Valéry de Montpellier, elle est aussi une militante dans ce domaine. Elle raconte quelque part sur le Net que lorsqu’elle a dit à ses parents qu’elle allait se consacrer à l’étude de l’occitan, ceux-ci ont commencé par s’en inquiéter car la réussite à leur époque passait par l’abandon du parler local en faveur de la langue nationale. Norbert Paganelli a fait sa carrière dans la haute Administration, mais, originaire de Sartène, il est aussi poète lui-même et a réalisé une mémorable Anthologie de poésie corse publiée chez le même éditeur (Florilège de la poésie corse contemporaine, 2017). C’est lui qui a été mon interlocuteur constant. La plupart des référents pour les autres langues étaient des enseignants. La Bretonne Mannaig Thomas est maîtresse de conférence en littératures bretonnes à l’Université de Brest. La Catalane Colette Planas a exercé la fonction de conseillère pédagogique pour la langue catalane. Quant au Basque Lucien Etchezaharreta il a été journaliste et éditeur. Presque tous ont déjà acquis une expérience dans la publication d’ouvrages anthologiques (nouvelles, poésies, etc.) en langues locales. 
D’où sont venus mes problèmes ? D’abord de certains articles du cahier de charges que j’ai dû lire en diagonale et que je n’ai pas dû prendre au sérieux. Or ce cahier de charges imposait entre autres que pour chaque poète retenu une seule page devait réunir aussi bien la bio, la biblio et la façon dont le poète concevait son travail poétique. Or l’ingénieur qui est en moi avait tendance à considérer que ce genre de considérations risquait de conduire à des bavardages vains. Ensuite il me semblait absolument nécessaire d’apporter des éclairages extérieurs sur le travail du poète et sur les poèmes sélectionnés (et je le pense encore). Et, ensuite, il me semblait impossible de tout contenir en une seule page lorsqu’on avait affaire à des poètes aussi complexes et prolifiques qu’André Weckmann pour n’en citer qu’un seul. Et je me suis accroché trop longtemps à ce que je pensais raisonnable. Ce qui fait qu’à la fin j’ai eu tort car dans plusieurs cas c’est l’éditeur qui a raccourci et réaménagé mes textes. Et c’est dommage. Il aurait mieux valu que ce soit moi qui aie fait ce travail. 
L’autre grande difficulté que j’ai eue c’est de vouloir expliquer à tout prix ce qui faisait la grande différence entre l’alsacien et les autres langues minoritaires (décidément je n’aime pas ce mot : minoritaire ! Un minoritaire est forcément inférieur !). La chute vertigineuse de la pratique de l’alsacien (100% de locuteurs en 45, 2 à 3% de pratique parmi les élèves de l’enseignement primaire dans toute l’Alsace en 2006) : j’ai longuement évoqué ce problème dans ma note intitulée Mort d’une langue sur mon Bloc-notes 2018. Et ensuite le fait que l’administration et l’éducation nationale avaient deux raisons de combattre la pratique du dialecte en Alsace : d’une part la politique jacobine centralisatrice de la République, comme partout ailleurs en France, et, d’autre part, parce que l’alsacien était la forme dialectale d’une langue qui était l’allemand et que cette langue était la langue de l’ennemi. Ce qui n’était le cas d’aucune des cinq autres langues « minoritaires » de France. 
J’ai voulu me battre jusqu’au bout pour faire passer ce message. J’ai d’abord voulu parler de l’histoire de ce déclin dans la préface, puis, comme ce n’était pas possible, j’ai voulu imposer une postface. Ce n’était pas possible. Question d’homogénéité. J’aurais dû le comprendre. 
Ensuite, toujours dans le même ordre d’idées j’ai pensé présenter mes poètes dans l’ordre chronologique. Pourquoi ? Parce que, très clairement, mes poètes sélectionnés correspondaient à trois générations qui, toujours pour des raisons historiques, avaient des préoccupations communes à leur génération, mais différentes des autres générations. Ceux nés avant la première guerre mondiale n’étaient guère inquiets du sort de leur langue et ne parlaient que rarement de la guerre (à part Nathan Katz dans son poème : Les camarades qui sont morts à la guerre). Ceux nés entre les deux guerres ont pratiquement tous été frappés par le malheur de l’incorporation forcée et par le déclin du dialecte : Weckmann a vécu le front russe et a déserté à la dernière minute lors d’une permission à la maison, Muller a été incorporé et a pu fuir en Suisse, Gunsett a été incorporé, Finck a perdu son frère sur le front russe (voir son poème : A mon frère disparu et ce que j’en dis dans ma note intitulée : André Finck et le frère disparu sur mon Bloc-notes 2018). Tous en ont parlé et tous ont parlé de la langue perdue. Et l’un d’eux a dû partir en exil parce qu’il était juif : Claude Vigée. Et on ne s’étonnera pas de constater que le mal est un leitmotiv de toute sa poésie aussi bien alsacienne que francophone. Quant à ceux nés après la guerre leur palette est plus diversifiée même si la perte de la langue n’en est jamais absente. Comment pourrait-elle l’être ? 
Mais là aussi je me suis obstiné à défendre ma position. En faveur d’une présentation chronologique. Trop longtemps. C’était d’autant plus ridicule que je savais bien que toutes les anthologies sont alphabétiques ! 
Je reste par contre persuadé que certains poèmes gagnent à être commentés et ont besoin d’être expliqués. Cela me paraît toujours évident d’autant plus qu’il s’agit de langues locales et que certains poèmes sont donc souvent liés à des particularités locales. Et, ensuite, parce que le recueil s’adresse très généralement à des Français qui n’en connaissent qu’une de ces langues ou aucune. Et que les particularités de la forme du poème original ne peuvent pas toujours être rendues dans la transposition française. 
Je vais prendre quelques exemples pour expliquer mon propos : 
Ronald Euler. Ce poète de Sarre-Union a été une découverte pour moi. D’autant plus qu’il pratique une variante dialectale qui n’est pas alémanique, mais francique. Or le francique est également connu non seulement dans la Lorraine voisine mais aussi en Sarre et au Luxembourg. J’avais signalé la lettre d’un lecteur sarrois qui avait apprécié la poésie d’Euler. Je voulais montrer ainsi que certaines langues régionales pouvaient profiter d’un lectorat d’au-delà des frontières comme c’est aussi le cas du bas-alémanique alsacien voisin du badois et du haut-alémanique du Sundgau identique au dialecte suisse (et c’est peut-être aussi le cas de nos poètes catalans et basques). J’avais également fait suivre le très beau poème (admiré également par mon ami Georges Voisset) sur « une dernière fois murmurer les mots de l’enfance » par un poème mettant en scène « la grande dame du Cap Vert » pour montrer, avais-je dit, que ce n’est pas parce qu’on célèbre sa terre natale que l’on n’est pas capable de s’ouvrir sur le monde ! L’éditeur m’a coupé tout ça. Maintenant les lecteurs doivent se demander ce que Cesaria Evora vient chercher dans notre Alsace Bossue ! 
Jean-Christophe Meyer. J’avais cité un échange de mails que j’avais eu avec ce poète que j’aime beaucoup et qui parlait de sa palette de paysagiste et où il me confiait que c’est bien ce qu’il cherchait : J’espère avoir cette sensibilité-là. Et j’aimerais croire que je suis un poète du paysage. Là encore l’éditeur a coupé. Et, pourtant, pour une fois c’était le poète qui parlait de sa conception de la poésie ! 
Germain Muller. Comment voulez-vous que quelqu’un comprenne que, dans son poème Le Sphinx, l’auteur se compare à Abraham et la Cathédrale à un monstre froid si on n’explique pas que les Strasbourgeois ont été évacués au début de la guerre (comme 30% des Alsaciens) vers le Périgord, que le personnage du poème, une fois la guerre perdue, décide de rentrer au pays par amour de la Cathédrale et qu’alors les Nazis lui prennent son fils, l’incorporent dans leur armée, l’envoient au front russe et qu’il n’en est jamais revenu ? Je vous le demande ! 
Lina Ritter. Cette poétesse a écrit 368 poèmes sous forme de haïkus mais qui n’en sont pas, des haïkus. Tout au plus des poèmes de sagesse, de bon sens, des proverbes, des dictons. Sauf quatre ou cinq. Qui ressemblent à de vrais haïkus et que j’ai tous cités (4 sur 12), comme celui-ci : Les hannetons de la Saint-Jean / Passerelles d’or / des fleurs aux étoiles… Mais une fois de plus l’éditeur a coupé mes explications. D’ailleurs le Centre National du Livre avait été du même avis que l’éditeur : les commentaires manquent de valeur ajoutée. Il faut vraiment se demander où on va quand ceux qui sont censés promouvoir la poésie (et la culture en général) parlent comme des financiers ! 
Emile Storck. La grande révélation pour moi. C’est un grand poète du paysage et beaucoup de ses poèmes sont de véritables bijoux. Par les images, le rythme, les rimes. Il fallait le dire. Or l’éditeur a, là encore, coupé la moitié de mon commentaire, dont ceci : « Et ces rimes souvent bien riches comme dans ce poème plein d’assonances, Jours de pluie dans la montagne où tous les vers de chaque quatrain et de chaque tercet riment ensemble (et quelle réussite, en rimes elle aussi, abab dans les quatrains et aba et abb dans les tercets, dans la merveilleuse transposition de Jean-Paul Sorg !). Et quand il se sert de la forme italo-française du sonnet, on y détecte quelquefois même la savante coupure de sens entre les deux quatrains et les deux tercets comme dans Merle dans la neige où le merle des quatrains est l’image du poète des tercets ». Dommage ! 
Claude Vigée. L’un de nos plus grands poètes, dialectophone et francophone. Ses deux magnifiques poèmes en dialecte, les Orties noires et le Feu d’une Nuit d’Hiver, sont très longs et très variés dans la forme et le fond. J’étais obligé de choisir des extraits. Et je me suis laissé guider par l’émotion et le plaisir des images. Mais je n’ai pas pu empêcher que s’en dégage un grand sentiment du malheur, du mal, sous toutes ses formes. L’éditeur a conservé un long texte d’explication de Claude Vigée sur son attachement au dialecte, dans le but, disait-il, de « maintenir mes attaches premières avec le monde sensible, telles que l’enfance les créa, autrefois, en Alsace ». C’est bien. Mais il n’a pas voulu conserver mes considérations sur le mal. Les voici : « A lire les extraits de ses deux longues compositions poétiques repris ici, on constatera que ces poèmes sont souvent bien noirs, marqués par le malheur, un grand pessimisme concernant l’homme et qui dépasse de loin la seule expérience de la Shoah, du malheur juif. Anne Mounic, introduisant son œuvre poétique française, constate la même chose : « Dans la poésie de Claude Vigée affleure ici ou là un irréductible désespoir face au mal, à la cruauté, à la fatalité du destin humain ». Comme dans l’extrait 10 où la douleur sourde vous submerge la nuit ». L’éditeur n’a peut-être pas pu faire autrement. Dommage quand même. 
André Weckmann. Ce poète est tellement riche qu’il y aurait beaucoup à dire. Mais finalement l’essentiel des commentaires a été conservé, en notes de bas de page. Une remarque néanmoins à propos de la traduction. Dans deux cas, le poème Petite musique d’automne de Claude Vigée et Que dois-je dire d’André Weckmann, j’ai essayé de reproduire en français la forme du poème alsacien. Dans le cas du poème de Claude Vigée j’ai essayé de rendre en français rien que la concision du dialecte en faisant appel à une sorte de syntaxe à la chinoise, sans articles, sans déclinaisons, sans conjugaisons… L’éditeur me l’a supprimé sans me le dire. Weckmann, dans son poème, a agglutiné les mots de grands morceaux de phrases. J’ai fait la même chose dans la transposition française. Là encore l’agglutination a disparu dans l’édition finale. Est-ce l’éditeur ? Ou le robot correcteur automatique ? Qui le sait ? 
Passons et restons-en là. De toute façon il ne faut pas accabler l’éditeur. C’est lui qui a la responsabilité financière. Alors… 

Maintenant j’en viens aux joies que ce travail m’a procurées. Et elles sont nombreuses. Il y a d’abord le plaisir de la traduction poétique. J’ai transposé les textes pour lesquels il n’existait pas de traduction. Mais pas seulement. Dans certains cas j’ai simplement pris la liberté de traduire à ma façon. Je ne suis pas poète. J’ai fait quelques pantouns en français, et même en alsacien, pour faire plaisir à mon ami Georges Voisset, et un unique poème long intitulé Nostalgies en hommage à l’inventeur de la géo-poétique Kenneth White. Mais sinon, je n’ai pas la veine lyrique. La traduction poétique est alors une compensation. On plonge dans la création lyrique du poète et puis on essaye de faire renaître sa création dans un autre univers, celui d’une autre langue. A la fois par le fond et par la forme. C’est jouissif. Et souvent difficile. Je suis d’ailleurs en train de rédiger une note sur la traduction poétique et ses pièges. Et sur ce qu’en ont dit ceux qui ont travaillé et réfléchi sur la façon de recréer en français ou en anglais les mondes lyriques lointains : chinois, japonais, malais, arabes, persans. Et sur ce que j’ai personnellement ressenti quand je me suis attaqué à des poètes particulièrement difficiles de langue allemande comme Paul Celan. Mais cette note elle sera pour mon site Voyage (au tome 5) (Note de juillet 2019 : cette Note est prête et mise en ligne sur le site Voyage, au Tome 5, sous le titre : Poésie et traduction) . Mais il y a surtout la découverte de poètes et de poèmes que je ne connaissais pas. Je viens de prendre la décision de créer ma propre Anthologie de poésie alsacienne que je placerai en ligne au tome 7 de mon site Voyage autour de ma Bibliothèque (Poésie alsacienne). Cela me permettra de reprendre les présentations plus étoffées que j’avais préparées pour le Florilège, certains commentaires aussi de poèmes, et, j’ajouterai peut-être encore d’autres poètes que j’ai oubliés ou simplement écartés par manque de place. Et elle sera chronologique !
Je vais quand même en citer quelques-uns ici. Et d’abord, puisque j’ai parlé du poète francique, ces deux poèmes de Ronald Euler, l’un sur sa langue maternelle, l’autre sur l’apparition miraculeuse d’une lointaine Africaine : 


E létschtes mol 

e létschtes mol 
de wertere von de kindhett pischple 
de wertere von de kindhett schmëëchle 
de wertere von de kindhett schlecke 

e létschtes mol 
de awwe iwwer s ländel losse strëëfe 
de awwe iwwer de liewe dode losse ruhe 
de awwe iwwer s klëëne kind gross uffmàche 

noch e létschtes mol 
de lieb von de kindhett schnüfe 
de wärmt von de hëëmet spire 
de duft von de brunzblum schmàcke 

burzelbääm uff de goldgëële màtte schlawe 
bis s lëwes ràdd sich iwwerschlàt 
un àlles widder ànfàngt von vurne 
noch emol 

Une dernière fois 

une dernière fois 
murmurer les mots de l’enfance 
caresser les mots de l’enfance 
goûter les mots de l’enfance 

une dernière fois 
laisser glisser les yeux sur le petit pays 
laisser reposer les yeux sur les chers disparus 
ouvrir grand les yeux sur le petit enfant 

encore une dernière fois 
respirer l’amour de l’enfance 
sentir la chaleur de la heimat 
humer la senteur du pissenlit 

faire des culbutes sur les prairies jaunes d’or 
jusqu’à ce que la roue de la vie s’emballe 
et nous ramène au commencement 
encore une fois 

(extrait de E Plàtz zum Schnüfe – Un endroit pour respirer, 2017) 

*** 

coragem irmon 

barfussig wàtschelt de Cesaria 
sima cstuma 
iwwer de Bühn 
un singt 
s Lëwe 
s Liewe 
s Lide 
s Sterwe 
s Lëwe 
un nix isch meh wie vurhër 
un nix isch meh schwër 
fàss Mut 
Bruder 
àlles isch jétzt gutt 
ingewickelt 
in de wëëche Wéretere 
vàn de gross Dàm 
vàn Cabo Verde 

coragem irmon 

Cesaria se dandine pieds nus 
sima cstuma 
sur la scène 
et chante 
la vie 
l’amour 
la douleur 
la mort 
la vie 
et plus rien n’est comme avant 
et plus rien n’est dur 
prends courage 
frère 
tout va bien maintenant 
emmitouflé 
dans les douces paroles 
de la grande dame 
du Cap Vert 

(extrait de zwische schwarz un wiss – zwischen schwarz und weiss – entre noir et blanc, 2011) 


Il y a aussi ce poème magnifique d’Adrien Finck, de ces deux qui se sont donnés de l’amour pendant la nuit (et dont les yeux brillent encore), un poème que, même la poétesse Sylvie Reff qui l’avait pourtant bien connu, l’Adrien, ne connaissait pas : 


Zwei wu sich Liawa ga han in d’r Nàcht 

Zwei wu sich Liawa ga han in d’r Nàcht 
ma sieht’s na glich à 
sa han a Liacht im Aig 
wenn sa ufstehn àm Morge un gehn 
fremd dur d’finschtra Stàdt üs Stei 
‘s wàcht nur d’r Wàchthund vom Tràim wu sa tràima 
ma sieht’s na glich à 
zwei wu sich Liawa ga han in d’r Nàcht 
ihra Gàng isch gràd 
àwer sa gan güat àcht 
àss sa ke Wurm uf ‘m Wag 
vertratta un ke Gràs wu wàchst 
sa kennta keiner Mucka ebbis màcha 
zwei wu sich Liawa ga han in d’r Nàcht 
un so lehn sa jeder Stei uf ‘m ànder 
ihra Hànd isch a Maiakelch sunnavoll 
wu nimma züageht 
vom viela n Anànderga 
ohna Frog ihra Stirn 
Wàsserspiagel himmelvoll 
denn sa han trunka tiaf un han 
ke Gluscht wu vo d’r Ketta àn d’r Gurgla 
vo G’setz un G’wàlt wild wird 
(wia ‘s àbundena Vieh wu briallt un bisst 
denn ‘s weiss noch wu d’r Wàld isch) 
un ihra Hüt 
weich vo da wàrma Strichelwalla 
vertrait ke Kutta vertrait ke Kàppa 
so gehn sa mit dana wu nei sàga 
da Vàterlàndsfàhna da Waltandwàffa 
da G’wàltgoscha da Hüarahelda 
da Stiefelschritt da Màrschreiha 
so gehn sa mitdana wu Liader singa 
gega ‘s Gift un ‘s Gald 
so gehn sa mit dana wu reda 
d’eigna Sproch 
Harzsproch Heimetsproch 
àss d’Erinnerung nitt verrisst 
Liawesrosakrànz 

Zwei wu sich Liawa ga han in d’r Nàcht 
ma sieht’s na glich à 
sa han a Liacht im Aig 

Deux qui se sont donné leur amour pendant la nuit 

Deux qui se sont donné leur amour pendant la nuit 
on les reconnaît de suite 
ils ont une lumière dans l’œil 
quand le matin ils se lèvent 
et passent étrangers par la ville de pierre 
il n’y a que le chien de garde qui veille 
dans le rêve qu’ils rêvent 
on les reconnaît de suite 
deux qui se sont donné leur amour dans la nuit 
ils marchent droit 
mais font bien attention 
pour ne pas écraser le moindre vers sur le chemin 
ni aucune herbe qui pousse 
ils ne pourraient faire de mal à aucune mouche 
deux qui se sont donné leur amour dans la nuit 
ainsi ils laissent pierre sur pierre 
leur main est un calice de fleur plein de soleil 
qui ne se ferme plus 
d’avoir tant donné à l’autre 
sans rien demander leur front 
un plan d’eau où se mire le ciel 
car ils ont bu à satiété et n’ont pas 
cette luxure qui se déchaîne 
à cause d’une chaîne au cou 
à cause de la loi à cause de la violence 
(comme ces animaux attachés qui beuglent et qui mordent 
parce qu’ils savent encore où se trouvent les bois) 
et leur peau 
tendre encore de la chaude vague de caresses 
ne supporte plus ni cape ni chapeau 
alors ils vont avec ceux qui disent non 
aux drapeaux cocardiers aux armes de fin du monde 
aux gueules qui vocifèrent aux héros qui gesticulent 
à la marche au pas à la mise en rangs 
alors ils vont avec ceux qui chantent des chants 
contre le poison et contre l’argent 
alors ils vont avec ceux 
qui parlent leur propre langue 
la langue du cœur la langue de leur terre 
pour que la mémoire ne se rompe pas 
couronne de roses d’amour 

Deux qui se sont donné leur amour pendant la nuit 
on les reconnaît de suite 
ils ont une lumière dans l’œil 

(extrait de Hàndschrift) (traduction Jean-Claude Trutt) 


Et puis le plus jeune des poètes cités dans le Florilège (arrêtez de m’appeler jeune, j’ai 40 ans, m’a-t-il dit), Jean-Christophe Meyer, un poète paysagiste aux tableaux colorés tel celui-ci : 


Aurum rheni 

àm muerige nWajrànd 
ha mr gewàrt wìe 
d’àlte Hëide às 
d’Morjesùnn ùfgeht. 
Ürkùpfergiesserèi 
sprìtzt se ùns flìssigi 
Metàllsplìtter vùm 
Schwàrzwàld 
erìwwer. 

hange bli mr 
e Will à dam 
Kessel Gold wù 
àm Horizùnt wìrwelt – 
fer andlig erlichtert 
hoffnùngsvoll 
ùfzesteh. 

Aurum rheni 

sur le bord du chemin 
boueux nous avons attendu 
comme les anciens païens 
que le soleil se lève. 
fonderie de cuivre 
originelle elle nous 
projette ses éclats de 
métal fondu depuis 
la Forêt Noire. 

nous restons un moment 
accrochés à ce chaudron 
d’or qui tourbillonne à 
l’horizon – pour enfin 
nous lever soulagés 
et emplis 
d’espoir. 

(traduction de l’auteur)