On parle beaucoup de l’écrivain Le Clézio ces temps-ci. Le Monde littéraire du 3 octobre rendait compte de son dernier ouvrage, Ritournelle de la faim. C’est le roman d’Ethel, celui de sa mère, semble-t-il. « L’un des plus beaux portraits écrits par Le Clézio, tremblant, fragile… », écrit Patrick Kéchichian, le critique du Monde. Je ne l’ai pas lu. Et puis, quelques jours plus tard, Le Clézio reçoit le Nobel de littérature (le 9 octobre). Le Monde retrace alors sa carrière littéraire depuis ce Procès-verbal pour lequel il reçoit le Renaudot en 1963 (Le Clézio a 23 ans) jusqu’à cette Ritournelle parue en 2008. C’est un poète (aventure poétique et extase sensuelle, dit le Jury du Nobel). C’est un nomade (tant dans sa vie que dans ses livres). C’est un humaniste (qui défend la terre et les civilisations menacées).
Et puis voilà que dans le même journal daté du 19/20 octobre un professeur de littérature, Frédéric-Yves Jeannet met en cause la décision du jury du Nobel, intitulant son article : Jean-Marie Le Clézio ou le Nobel immérité. L’écrivain, « malgré la qualité de ses débuts… est devenu depuis longtemps un auteur de best-sellers plus qu’un classique », dit-il. Aussitôt les lecteurs du Monde se déchaînent et la médiatrice, Véronique Maurus, est bien ennuyée (Le Monde des 26/27 octobre). Le jour précédent, déjà (le 25 octobre), un autre prof de littérature, et écrivain de surcroît, Alain Mabanckou, avait fustigé le professeur Jeannet, intitulant son article : Le Clézio, Nobel mérité, et affirmant : Il est pour le moins péremptoire de juger que l’écrivain nobélisé est « bavard ». Sauf à ne rien comprendre à une œuvre qui contient le monde. Dans toute cette histoire il faut bien sûr faire la part des coteries littéraires. Jeannet met Le Clézio au niveau d’Amélie Nothomb et d’Alexandre Jardin (ce qui est effectivement un peu vache) et trouve que Hélène Cixous et Annie Ernoux (je n’ai lu ni l’une ni l’autre, à ma grande honte) sont des « auteurs d’œuvres universelles et reconnues comme telles ». Or, comme par hasard, Jeannet a publié deux livres d’entretiens, l’un avec Ernaux (L’écriture comme un couteau, édit. Stock, 2003), l’autre avec Cixous (Rencontre terrestre, édit. Galilée, 2005). Quant à Mabanckou ou Nabanckou, Annie l’a aperçu à la télé à une émission littéraire du dimanche matin. Il est professeur de littérature à Los Angeles et écrivain africain francophone (il a d’ailleurs un site sur le net). On peut donc supposer qu’il apprécie tout particulièrement l’écrivain « nomade » qu’est Le Clézio.
Or les deux qualificatifs que Jeannet applique à Le Clézio et qui choquent Mabanckou (et certains lecteurs du Monde) sont bavard et prolixe. Et malheureusement c’est exactement le même reproche que je fais moi-même depuis longtemps à cet écrivain. Mabanckou dit que Proust lui-même employait trois cents mots là où il en fallait deux ! Peut-être, mais chez Proust les trois cents mots ont leur utilité, ils sont là pour préciser, pour approfondir. Chez Le Clézio ils sont duplications. Il multiplie les paraphrases et ces paraphrases ne font que répéter la même idée. J’aime pourtant l’homme Le Clézio. Il est sympathique. Il s’intéresse aux civilisations perdues, aux Indiens d’Amérique. Il défend les causes écologiques. C’est un humaniste. Mais pour ce qui est de la littérature il me déçoit un peu. Alors qu’il était un véritable espoir de la littérature française quand il publie le Procès-verbal en 1963. Au même titre que Pierre-Jean Rémy avec Le sac du Palais d’été en 1971 (Gallimard). Encore un qui a déçu avec la suite de son œuvre. J’ai encore dans ma bibliothèque : La mort de Floria Tosca, édit. Mercure de France, 1974, Mémoires secrets pour servir à l’histoire de ce siècle – un titre bien pompeux – (Gallimard, 1974), Ava, (1974) et Cordelia ou l’Angleterre, (1979). Dès le départ Pierre-Jean Rémy a cherché la facilité en s’appuyant sur un livre existant, René Leys de Victor Segalen. Et pourtant ce premier livre, qu’il a probablement écrit alors qu’il était conseiller culturel à Pékin, était une réussite. Mais la suite est marquée là aussi par le bavardage et le manque d’inspiration. Et puis plus rien. En tout cas rien d’important. Ce qui n’empêche pas Monsieur Angrémy d’être Académicien aujourd’hui !
Quant à Le Clézio je l’ai suivi pendant longtemps. Il n’y a qu’à voir tous ces ouvrages qui se trouvent sur les rayons de ma bibliothèque. La liste est, je crois, assez parlante : Terra amata (1967), Guerre (1970), Voyages de l’autre côté (1974), Désert (1980), La Ronde et autres faits divers (1982), Le chercheur d’or (1985), Voyage à Rodrigues (1986), Le Rêve américain ou la pensée interrompue (1988), Printemps et autres saisons (1989), Onitsha (1991). Et, pourtant, dès les deux premiers ouvrages que j’ai lus, et qui sont d’ailleurs très beaux, Terra amata et Guerre, je me souviens d’avoir été choqué par cette redondance dans le style de Le Clézio. Je me disais : quel dommage qu’il n’ait pas eu une formation scientifique. Il aurait eu l’écriture plus modeste. Et puis il y eu Désert, un pur chef d’œuvre, qui m’a de nouveau réconcilié avec lui. Un superbe portrait de fille du Sud, Lalla Hawa fille de Hawa, aux yeux « pareils à deux silex, couleur de métal et de feu, et au visage pareil à un masque de cuivre lisse », un portrait qu’entrelacent les images flamboyantes des cavaliers bleus du désert, ceux des tribus insoumises, à l’époque de leur guerre aux Français. Maintenant que je sais que Jemia, la seconde épouse de Le Clézio, est originaire du sud du Maroc, je comprends quelle passion l’a poussé à créer cette Lalla et à l’habiller de sa poésie… Mais il est vrai que l’on trouve encore bien d’autres jeunes filles émouvantes chez Le Clézio (dans les Voyages de l’autre côté, la Ronde, Printemps)... Le chercheur d’or et le Voyage à Rodrigues nous ont donné, à Annie et à moi, le désir de connaître cette île-soeur de Maurice et nous nous y sommes rendus dès l’ouverture du premier hôtel de l’île, le Cotton Bay. Nous étions même leurs premiers clients et le soir de notre arrivée ils avaient dressé un grand buffet alors qu’il n’y avait que deux tables occupées au bord de la piscine, la nôtre et celle de PPDA et de son frère, invités d’Air Mauritius, propriétaire de l’hôtel. Mais nous avions bien fait d’aller à la découverte de Rodrigues, y trouvant un endroit encore préservé du tourisme de masse et une population bien plus noire, plus hospitalière, plus francophone et plus francophile qu’à Maurice. Et puis j’ai encore suivi Le Clézio au Mexique chez les anciens Aztèques avec Le rêve mexicain. Et puis à nouveau une demie-déception avec Onitsha : du déjà vu, peut-être le manque d’inspiration. Enfin rien d’important. Comme tout le reste de notre littérature française contemporaine. Mais je ne suis pas professeur de littérature.
Et pour revenir au sujet de la controverse : si Pierre-Jean Rémy mérite l’Académie, je ne vois pas pourquoi Le Clézio ne mériterait pas le Nobel !