Kemal, Tchoukourova et poésie épique

(Suite n° 2 au Levantin israélien. Littérature turque : Mèmed le Mince de Yachar Kemal et Yachar Kemal – Le roman d’une transition de Nedim Gürsel) 


Benny Ziffer, le Levantin israélien, n’a pas beaucoup parlé dans son livre (Entre nous, les Levantins) de Kemal et encore moins de Gürsel. Simplement, lors de sa conversation avec Zülfü Livaneli, celui-ci a soudainement pris son téléphone et a appelé son vieil ami Kemal. Et lui a dit qu’il se trouvait avec le fils de Reine Farhi qui avait été l’amie intime de Thilda Serrero, l’épouse de Kemal. Les deux étaient des juives séfarades d’Istanbul et des maîtresses-femmes. La mère de Ziffer avait fait des études de médecine et, idéaliste, était partie en Israël pour être médecin dans un kibboutz. L’épouse de Kemal a été traductrice et a consacré sa vie à faire connaître le nom de Kemal dans le monde. Elle était polyglotte et c’est elle qui a traduit une grande partie de son œuvre en anglais. Elle était la petite-fille du médecin principal du sultan Abdülhamid II, surnommé le Sultan rouge à cause de ses massacres d’Arméniens (bien avant leur grand génocide). En tout cas cela montre déjà combien la Turquie est à part car je ne connais aucun grand écrivain arabe dont l’épouse est juive ! 
Il faut dire que Kemal avait déjà vécu une enfance multi-ethnique puisque son père était kurde, que c’était la langue que l’on parlait à la maison (jusqu’à ce que j’ai eu 16/17 ans dit Kemal à Gürsel) alors que les habitants du village où il est né étaient tous turkmènes. Et ce village se trouve dans cette plaine de Tchoukourova bordée à l’ouest, au nord et à l’est par la montagne du Taurus et au sud par la Méditerranée que Kemal ne va pas cesser de chanter dans toute son œuvre, et qui est l’antique Cilicie, Province romaine, plus tard le Royaume des Arméniens. D’ailleurs les parents de Kemal étaient originaires de la région de Van qu’ils ont fuie en 1915 à cause de la guerre (invasion des Russes). Encore une région habitée par les Arméniens. Et quand Kemal raconte cette fuite à Gürsel, un véritable exode vers le sud anatolien qui a duré un an et demi et pendant lequel son père n’a pas cessé de porter sa grand-mère sur son dos, et qu’il décrit leur arrivée dans la région d’Adana, la grand-mère demandant à sa bru de la vêtir de ses plus beaux habits et à son fils de louer une belle maison avant de s’asseoir au soleil et de mourir, il ajoute : on a offert à mon père de prendre la maison vide d’un Arménien, mais mon père a refusé.. 
Mais là on est déjà passé au style de Kemal, à sa façon d’écrire, sa façon de changer la réalité en fiction. Fiction épique et poétique. Car si je reprends ici l’œuvre de Kemal c’est aussi un peu pour faire amende honorable. Après avoir traité la population villageoise de l’est anatolien de peuple rétrograde, obscurantiste et fanatique dans ma note sur le roman de Livaneli, je souhaite donner une autre image de la Turquie en général. 
Et rappeler d’abord que la Turquie a toujours abrité une importante mouvance soufie. Mystique, pacifiste et refusant tout intégrisme littéral. Et ce soufisme ne se limite pas aux derviches toupies de Konya dont la tradition, comme le rappelle Benny Ziffer, remonte au grand poète soufi du XIIIème siècle Jalâl al-Dîn Rûmi (même si Ziffer oublie de signaler que Rûmi était d’origine persane). Car la Perse a influencé la Turquie. Lors de l’âge d’or arabo-persan, mais aussi plus tard encore. C’est ainsi que, ne trouvant pas le fameux Leylâ et Mejnûn du poète persan Nizâmi, je suis tombé sur la version d’un poète turc du XVIème siècle de Mésopotamie, Fuzûlî, et découvert que celui-ci accentuait visiblement l’aspect mystique du roman persan. Fuzûlî qui écrivait en turc azéri, mais aussi en persan et en arabe, a eu cette belle formule : « L'amour est tout l'univers, la science qui reste en dehors de l'amour n'est qu'une rumeur ». Mon édition du poème de Fuzûlî comporte une longue introduction du grand spécialiste italien de la littérature turque (et qui a été Professeur à l’Institut universitaire oriental de Naples) Alessio Bombaci (1914 – 1979). Il y évoque la biographie du poète et cite de nombreux extraits de son Divan et de ses ghazals (voir : Fuzûlî : Leylâ and Mejnûn, translated by Sofi Huri, introduction and notes by Alessio Bombaci, édit. George Allen & Unwin, Londres, 1970). On y découvre, à côté de ghazals à l’érotisme mystique, des vers plutôt coquins qui rappellent certains poèmes d’Abû Nûwâs, comme celui qui décrit l’arrivée au hammam d’un beau jeune homme, comparé ici à un gracieux cyprès, et qui laisse tomber ses habits, entre dans l’eau, puis se frotte avec une éponge que tous les assistants aimeraient tenir en mains. Ou ce diptyque plutôt mécréant qui rappelle Omar Khayyam :
 
Au mois de Ramadan, la porte du paradis va s’ouvrir 
Pourquoi alors la porte de la taverne doit-elle rester fermée ? 

Fuzûlî n’est évidemment pas le seul poète turc de l’époque des splendeurs des Ottomans. L’érudit Epiphanius Wilson qui introduit mon Anthologie de littérature turque distingue trois périodes dans l’histoire de la littérature turque (voir Turkish literature, comprising fables, belles-lettres and sacred traditions, The Colonial Press, New-York, 1901). La première qui va de 1301 à 1520 subit une forte influence persane, dit-il, en ce qui concerne la production romantique et mystique des poètes ottomans. La deuxième qui débute en 1520 avec le règne de Soliman le Magnifique et s’étend jusqu’en 1730 est appelée la période classique (la troisième n’a guère d’importance ici puisque c’est celle de l’influence occidentale). C’est dans cette période classique que l’on trouve Fuzûlî (1494 – 1556) mais aussi Mohammed Fasli (décédé en 1563), l’auteur de ce poème célèbre, La Rose et le Rossignol, un long poème en 60 chants, qui date de 1560, que l’érudit allemand von Hammer-Purgstall (1774 – 1856) a traduit en allemand et qu’Epiphanius Wilson (1845 – 1916) a transposé pour la première fois en anglais (à partir de la traduction originale de von Hammer, semble-t-il. C’est le texte qui se trouve dans mon Anthologie). Là encore l’origine est un vieux mythe persan. C’est un summum de préciosité, un texte follement romantique, aux très belles images, avec un arrière-plan bien évidemment mystique (l’avant-dernier chant en donne l’interprétation). 
Je m’arrêterai là. Je n’ai pas la prétention ni d’ailleurs la capacité, de faire un historique de la poésie turque et de sa composante soufie. Je voulais simplement attirer l’attention sur la présence de la pensée soufie dans l’ancienne poésie de ce peuple, une présence qui a dû se perpétuer car je suis certain que le poème de la Rose et du Rossignol (Gül et Bülbül en turc) est connu de tous les poètes turcs contemporains. 
Je voudrais juste encore ajouter un mot, avant de passer à Kemal et à la veine épique de la poésie populaire turque, sur la présence en Turquie du chiisme (venu lui aussi d’Iran ou de Mésopotamie, puisque c’est là, à Kufa en Mésopotamie, que le calife Ali a été assassiné). On croit en général que la Turquie est entièrement sunnite. Ce n’est pas vrai : il y a une importante présence chiite. Mais qui est essentiellement duodécimaine, donc non-dogmatiste et opposée à tout intégrisme religieux et qui se situe clairement dans la tradition soufie. On pense qu’ils représentent au moins 15% de la population. On les appelle les Alévis. Et l’une de leurs confréries mystiques est celle des Bektachis. C’est d’eux que parlait Livaneli dans sa conversation avec Ziffer, disant que les Bektachis sur lesquels il avait fait une conférence aux Etats-Unis, étaient de véritables « hérauts de la non-violence, d’un pacifisme si convaincant que, dans leurs lieux de résidence, la police reste les bras croisés et que l’on a fermé la prison ». Dans le roman Délivrance il y a une famille alévie assise sur la banquette du wagon en face de la jeune Meryem et de son cousin, quand ils sont dans le train qui les amène à Istanbul. Une fille qui va voir son frère prisonnier politique à Ankara, accompagnée de ses parents, et qui va prendre Meryem en pitié. Et c’est à leur propos que Livaneli va donner quelques indications précieuses (à moins que ce ne soit sa traductrice, Shirin Melikoff Sayar) : ils dansent la semah lors de leurs cérémonies rituelles, une danse qui « imite le vol de la grue cendrée », et les « personnes âgées s’agrippent au Dede (leur chef religieux) pour avouer leurs fautes ». Comme dans la confession catholique ! 
Tout ceci pour dire que le soufisme est fortement présent en Turquie. Et pas seulement chez les Alévis. Il est probable qu’il influence tout l’islam en Turquie. Et que c’est cela qui fait sa différence avec l’islam arabe. 

Alors revenons à Yachar Kemal et à tout ce qui va avec, ses romans épiques et la poésie de l’ancienne tradition orale des grands nomades, principalement Turkmènes et Kurdes, qui a survécu, pour un moment du moins, dans la plaine de la Tchoukourova chère au cœur de Kemal. J’ai, bien sûr, commencé par relire mon Mèmed le Mince (traduction Guzine Dino, Gallimard, 1961). Et l’ai redécouvert car je ne m’en souvenais plus. Et j’y ai pris du plaisir. Facile, diront certains. C’est du roman populaire : un jeune garçon rebelle, victime non pas d’un méchant, mais de deux, l’oncle qui a tué son père et lui a volé son champ, et l’agha, tyrannique qui exploite tous les villageois et qui, en plus veut lui voler celle qu’il aime. Et voilà que le jeune rebelle se fait bandit… Oui, mais il y a l’art de Kemal. Art nourri à la fois des anciens contes chantés par les bardes et de sa propre vie, de ses épreuves à lui, bien réelles, et de son amour pour la nature, cette nature qui était encore tellement vivante au temps de son enfance. Car pour comprendre l’œuvre de Kemal il faut à la fois connaître l’histoire de sa vie et celle de la Tchoukourova. Alors pour connaître tout cela on a la chance de pouvoir s’appuyer sur un autre écrivain turc, Nedim Gürsel. 
Ziffer ne le mentionne que très brièvement, disant simplement qu’il vit en France. En fait Gürsel écrit aussi bien en turc (ses romans et nouvelles) qu’en français (certains de ses essais). Il est d’ailleurs attaché au CNRS français. Le très intéressant livre qu’il a consacré à Kemal a été écrit en français. Voir : Nedim Gürsel : Yachar Kemal – Le roman d’une transition, édit. L’Harmattan, 2001. La transition c’est celle de la Tchoukourova et de sa population. D’abord sédentarisation forcée des Nomades, essentiellement Turkmènes, éleveurs qui descendaient dans la plaine en hiver et montaient dans la montagne en été quand la chaleur devient insupportable en-bas. Une sédentarisation accompagnée de combats sanglants. Cela se passe après 1865. Puis arrivée en scène du capitalisme. Les Anglais, le coton, les aghas qui remplacent les chefs nomades, les marais asséchés, la nature asservie et les hommes aussi, et ceux qui choisissent la liberté, les bandits, d’honneur ou pas. 
Cette transformation de la Tchoukourova et de ses habitants fournit tous les thèmes de la tradition orale dont Kemal va se servir. La fin de la transhumance c’est aussi le paradis perdu (la montagne en été). Les Beys des Nomades (essentiellement Turkmènes) pratiquaient la vendetta entre familles. Sur des générations (comme sur les hauts-plateaux albanais, voir Avril brisé de Kadaré, ou dans la Colomba corse de notre Mérimée). La vendetta c’est l’honneur selon les rites anciens. La vendetta et les combats contre les soldats du pouvoir central sont un des éléments de la création épique (bravoure, mort). Le monde nouveau ne détruit pas seulement le monde de la vendetta (les nouvelles générations s’entendent entre eux pour créer des co-entreprises), mais enlève également la terre aux paysans, alors que les beys ont le devoir de les protéger (de la faim, de l’exode). Les aghas venus d’ailleurs pour accaparer les terres vont les exploiter. C’est l’injustice qui va créer les bandits, d’où nouveaux thèmes : injustice, cruauté, révolte. En même temps la mécanisation de l’agriculture, le dessèchement des marais vont avoir des conséquences sur la nature, vont la détruire (détruire la bio-diversité, déjà), cette nature avec laquelle les beys avaient une relation intime. Faire disparaître le cheval, fierté des beys ! Nouveaux thèmes. 
Kemal les a assimilés. Tous. Tous les thèmes de la vie passée et présente de la Tchoukourova. On verra plus loin comment. Mais c’est aussi sa propre expérience qui nourrit son œuvre, une expérience bien dramatique. Lors de la longue pérégrination de la famille de la région de Van jusque dans la région d’Adana, ils ont recueilli un orphelin. Ma grand-mère avait entendu des gémissements sortant des broussailles des bords du chemin, raconte Kemal à Gürsel. Elle dit à mon père : va voir. Il trouve un enfant meurtri de partout, couvert de plaies, n’ayant plus que la peau sur les os. Ils l’emmènent et le père de Kemal l’adopte. Or c’est ce fils adopté et qui adore son père qui va plus tard l’assassiner d’un coup de poignard au milieu de la mosquée et devant Yachar qui a 5 ans. Difficile à comprendre. Une énorme jalousie envers l’enfant de sang né bien après lui. Peut-être aussi une nature perverse : Yachar raconte qu’enfant il était terrorisé par son grand frère qui torturait les petits animaux devant lui, grenouilles, oiseaux, coléoptères. Après son forfait il devient bandit. Un bandit particulièrement cruel. Et la mère de Kemal ne va pas cesser de lui inculquer son devoir de venger son père (ce sera son oncle qui le fera). Quoi qu’il en soit, la mort terrible de son père crée un choc chez le jeune enfant. Qui cessera de parler jusqu’à l’âge de 11/12 ans. Mais ne cessera jamais d’écouter et de se remémorer les chants des bardes qui viennent dans son village. Et un jour, lorsque le barde, fatigué, s’arrête, c’est le jeune Yachar qui continue son récit. Et, après cela, sorti de son mutisme, il n’arrêtera plus jamais de jouer au barde lui-même. A Gürsel Kemal parle de tous ces bardes qu’il a connus dans sa jeunesse et dont il connaît encore les noms. L’un d’eux récitait l’épopée de Keuroghlou (le fils de l’aveugle, je vais encore y revenir) pendant des jours. « Au printemps, près des rochers, quand les feux étaient allumés, tout le village, enfants, jeunes et vieux, l’écoutait avec admiration ». Il y avait aussi un grand poète et conteur kurde, « l’Homère des Kurdes », qui venait coucher dans la maison familiale. « J’ai été le disciple de tous ces maîtres. J’étais l’un de ceux qui récitaient le mieux Keuroghlou. Un bâton à la main, j’allais de village en village. Sans jouer du saz, je racontais cette épopée, en usant de mon bâton ». Sans saz (un luth à manche long à trois ensembles de cordes) car sa mère les lui brûlait. Elle ne voulait pas qu’il devienne barde ! 
Plus tard il se fait folkloriste et recueille tout ce qu’il peut trouver. Les mythes, les légendes, les récits épiques et aussi les élégies des pleureuses. Il faut dire qu’il en a l’occasion : il est instituteur en 1940 (et publie dès 1943, alors qu’il n’a que 20 ans, un recueil d’Elégies), puis, bien plus tard, à partir de 1951, il collabore régulièrement au journal Cumhurijet et fait de nombreux reportages dans la Tchoukourova. 

Mèmed le Mince date de 1955 et lui assurera très vite une renommée mondiale. Car c’est par sa poésie que le roman de Kemal dépasse de loin la simple littérature populaire. Les descriptions de la nature sont toujours somptueuses. Comme quand le vieux chef turkmène Ismaïl le Grand raconte à Mèmed le Mince qui vient de prendre le maquis comment c’était avant. « La plaine de Tchoukourova n’était que marais et forêts… Pas une âme qui vive… Venait la transhumance, avec son chatoiement, la transhumance des Turkmènes, quand la plaine mettait ses habits de fête, quand les arbres, la terre, le monde dénudés se paraient… Des caravanes rouge et vert s’ébranlaient. Nous partions, nous franchissions les montagnes, nous campions sur le plateau des Mille-Taureaux. Et, quand arrivait l’hiver nous redescendions dans la plaine de Tchoukourova. Ses taillis et ses jonchaies étaient si épais, si serrés que même le tigre avait peine à s’y frayer un chemin. Dans les prairies, l’herbe aux genoux pendant douze mois, des troupeaux de gazelles se promenaient, des gazelles effarouchées, aux yeux au kohol. Nous les chassions, montés sur de superbes chevaux… Les roseaux de Tchoukourova montaient comme des peupliers. Aux abords des étangs, le pollen des joncs, éclatant de lumière, tombait sur les eaux. Nuit et jour, la plaine entière sentait le narcisse ; même la brise de Tchoukourova sentait le narcisse… ». Et puis il y a les tribus. « Des tribus s’installaient, en campements. La fumée s’élevait en volutes… ». Et puis il les nomme toutes, les tribus. La plupart turkmènes, mais il y a des Kurdes aussi. Et il se souvient des batailles. Contre l’Ottoman. La grande bataille perdue. Quand l’Ottoman emmène leur chef valeureux, le bey Kozanoglou. Et c’est là que le bey Ismaïl le Grand entame le début de la complainte de Kozanoglou : 


J’ai gravé la montagne de Kozan, 
Avec de la neige jusqu’aux genoux. 
Mes blessures font autant de trous 
Que le chirurgien examine. 
… 
Puisque les tentes noires sont abattues, 
Que leur toit touche la terre, 
A quoi bon fuir, mon brave Kozanoglou, 
Devant cinq cents cavaliers ? 


Gürsel trouve que ce texte est mal inséré dans le récit car il ne joue aucun rôle dans l’histoire. Et il note que Kemal pratique le « collage » avec des emprunts du folklore. Il tisse son roman comme un « kilim ». La complainte de Kozanoglou est en réalité un agit, une élégie funéraire. Ces élégies sont une partie importante de la tradition orale turque. Au moins aussi importante que les chants épiques. On va y revenir. Mais les autres poèmes insérés dans Mèmed ne sont pas aussi tragiques. Il y en a même qui sont carrément frivoles. Comme Mèmed le jour où il a décidé d’arracher sa bien-aimée à la prison, qui chante ce joli quatrain : 


Il y a cinq poires sur la branche. 
C’est la pointe de l’aube blanche. 
Sa mère n’avait pas mis la couverture, 
Et ses blancs tétons ont pris froid.

 

Ou ce chant que fredonnait l’homme qui s’en allait sur la route, précédé de son âne, rentrant dans son pays après avoir travaillé durement dans la plaine de Tchoukourova, et que le bandit Dourdou le Fou allait dévaliser : 


Du pin coule la résine, 
Fille ! ton fiancé regarde. 
Dans ton corsage, tes seins 
Sont de petites oranges odorantes. 
Ohé, ohé, fille brune, 
Peigne tes boucles, fille brune ! 
Ton père va-t-il prendre un gardien 
Pour les grenades de tes seins ?


De toute façon des agits on en trouvera encore beaucoup dans l’œuvre de Kemal. Car si le meurtre de son père a été un tel choc pour le petit garçon qu’il l’a frappé de mutisme, il l’a aussi marqué pour la vie. Des pères assassinés il y en aura encore après Mèmed. Et des meurtres. « Je raconte le meurtre », dit Kemal à Gürsel. « Le thème central de mes romans est le meurtre ». Car la violence a encore entouré l’enfant dans son village. Et les bandits. Son oncle maternel était le plus grand bandit de tout l’est anatolien, dit-il. Et le père de son oncle maternel aussi. Et l’oncle paternel de sa mère également. Kemal n’a pas seulement tiré son œuvre de sa connaissance de la tradition orale populaire, mais aussi de sa propre existence. 


L’œuvre de Kemal est considérable. Très souvent il crée des ensembles, trois, quatre romans qui se suivent et se complètent. Ainsi il y a quatre romans dont le héros est Mèmed. Et puis il y a une suite de trois livres connue sous le nom de Kimsedjik qui est largement autobiographique. Les trois romans ont été traduits en français : Salman le solitaire (Gallimard, 1984), La Grotte (Gallimard, 1990) et La voix du sang (Gallimard, 1994). J’ai choisi d’acheter La Grotte parce que l’action centrale de ce volume est le meurtre du père qui prend ici le nom d’Ismail Agha, donc son deuil et la description des pleureuses, celles qui chantent les agits. La scène est grandiose. Il y a d’abord un Kurde, car chez les Kurdes les hommes aussi participent à ces récitals funèbres. Ce bey kurde qui « surgit des montagnes » est le grand-oncle de l’enfant. « Alors le bey entonna une complainte en kurde. Sa voix était puissante et jaillissait comme une clameur, à croire qu’il voulait faire entendre ce chant interminable à toute la plaine, à la montagne, au fleuve, à l’Anavarza, à toutes les herbes, à toutes les fleurs, à tous les insectes. Et dès qu’il interrompait son chant funèbre, les cavaliers derrière lui le reprenaient d’une seule voix. Puis tous se taisaient et c’était à nouveau la voix du bey qui s’élevait vers le ciel ». Puis viennent les femmes. 
Il y a d’abord la grande et majestueuse Dame Telli fille et veuve de beys turkmènes. « L’apparition de Dame Telli qui avait entonné son chant funèbre dès qu’elle avait surgi de la passe, avait plongé tous les présents dans la stupeur ». Elle monte un cheval splendide et est escortée de sept jeunes hommes à pied, « tous grands et beaux, vêtus avec soin ». Puis il y a Dame Zala, la Kurde, qui a perdu ses trois fils dans les luttes entre tribus. Dame Esse est accompagnée d’une quinzaine de pleureuses. On dit d’elle « qu’elle transformait ses élégies en chants du Paradis » et que « le mort qu’elle pleurait ne disparaissait jamais, mais vivait éternellement dans les mémoires ». La dernière à venir est Dame Husné la Virile, celle que la vendetta avait rendue veuve le jour de ses noces à 13 ans et qui s’habillera toujours depuis ce jour-là comme une jeune mariée, avec une robe de satin vert, montant un cheval noir. 
Alors Kemal met en scène la cérémonie, toutes les pleureuses se regroupant autour du catafalque, chacune tenant dans sa main un objet appartenant au mort. Dame Telli agite un grand mouchoir blanc et pousse un long cri. Toutes se taisent. Et alors les chants peuvent commencer. En douceur d’abord. Puis progressivement le chant s’enfle et se laisse entendre jusqu’au loin sur la plaine. Jusqu’à ce que la veuve, à son tour, pousse une longue lamentation qui fait se lever tous les beys. Et alors vient le chant de la veuve. Et cette déclamation, magnifique, va se prolonger sur plusieurs pages dans le roman. Je reprends ici les mêmes extraits que Gürsel a repris au chapitre Elégies de son étude de l’œuvre de Kemal. La veuve rappelle l’origine du mort, le lac de Van, et s’adresse aux grues qui volent au-dessus d’eux : 
« O grues couronnées, vous qui volez haut dans le ciel… Ici la terre brûle, le ciel s’embrase, le ruisseau et le bourgeon se dessèchent avant même de naître ou d’éclore… Le soleil calcine même le sommeil. O grues couronnées qui volez haut dans le ciel, qui battez des ailes en tournant au-dessus des montagnes, allez là-bas, au bleu du lac de Van… Sur la rive il est un peuplier solitaire qui frissonne de toutes ses feuilles, Ismail Agha l’avait planté de ses mains, allez dire au peuplier qu’Ismail Agha a été assassiné sur les rochers, que son sang a séché sur la pierre… Ici les rochers sont violets, ils scintillent. Les éclairs qu’ils lancent sont acérés comme la lame du rasoir, ils sont brûlants… Là-bas, au-delà de ces montagnes bleues, très loin, il est une plaine, une montagne et un lac bleu. Ce lac, c’est mon cœur douloureux. O grues couronnées, allez là-bas l’apprendre à mon cœur : on a tué Ismail… Les ténèbres pèsent sur mon cœur, le vent ne souffle plus sur mon cœur, ô grues couronnées, allez au-delà de ces montagnes, allez voler au-dessus de ce lac de lumières, tournez sur ce lac trois jours et trois nuits. O grues couronnées, mon cœur se refuse à croire à la mort d’Ismail ». 
Bien sûr, dit Gürsel, cette complainte c’est Kemal qui l’a écrite, elle n’est pas authentique, mais les grues, en tout cas, on les retrouve souvent dans les agits. Et puis Kemal en a recueillis tellement des agits qu’il est parfaitement capable de coller aux réels. Pour ceux qui doutent de la capacité des femmes à créer de tels poèmes il me suffit de citer ce diptyque que Kemal a recueilli dans la plaine de Tchoukouvora et qui a été dit par une mère qui venait de perdre son fils :
 
Quand mon fils est mort 
Les fleurs se sont ouvertes en criant ! 


Je suis prêt à échanger bien des vers de poètes connus contre ces fleurs qui s’ouvrent en criant…

Gürsel parle longuement d’une autre œuvre de Kemal, Les Seigneurs de l’Aktchasaz (1er tome : Meurtre au marché des forgerons, Gallimard, 1981, 2ème tome : Tourterelle ma tourterelle, Gallimard, 1982) qui est le véritable roman de la transformation physique et sociale de la Tchoukourova, avec les grands beys de deux familles qui pratiquent encore la vendetta et leurs descendants et les nouveaux aghas qui se consacrent au nouveau capitalisme, détruisent l’ancienne société et la nature. Mais je préfère m’intéresser à cette œuvre non traduite en français, la version écrite de la grande épopée turque de Keuroghlou (La formation de Keuroghlou, dans Üç Anadolu Efsaresi, Cem, Istanbul, 1977). Parce que c’est une épopée, qu’elle est authentiquement turque : on la trouve dans toutes les régions qui parlent la langue turque, chez les Kurdes aussi, et chez leurs voisins immédiats, en Azerbaïdjan, Arménie, Géorgie, Ouzbekhistan, Tadjikistan, chez les Kazakhs, les Kirghizes et même les Tatares. Et si cette épopée me plaît tellement c’est aussi à cause du rôle du cheval. 
Keuroghlou veut dire Fils de l’Aveugle. Le père de Keuroghlou était palefrenier d’un Seigneur cruel qui lui fait crever les yeux parce qu’il s’est permis de lui présenter un cheval d’apparence chétif. Alors le fils se révolte, prend le maquis et deviendra un héros célèbre, un justicier, et son cheval, Kirat, va acquérir des forces surnaturelles et aidera son maître dans ses exploits. Keuroghlou se retire sur un mont inaccessible, enlève les femmes, saccage les villes, tout en corrigeant l’injustice des puissants. Alors l’épopée, au cours du temps, prend des dimensions énormes, variées, devient mythe. 
Voici le début de l’histoire telle que le raconte Kemal (et on comprendra peut-être pourquoi cette histoire m’excite) : 
« La mer était calme. Un vent léger, plein d’odeurs, soufflait. Juments et chevaux exposaient au soleil leurs larges croupes avec volupté ». C’est le palefrenier, Kodja Youssouf, qui fait paître les chevaux de son Seigneur dans la plaine qui borde la mer. « Soudain tout s’embrouilla. Des colonnes de poussière s’élevèrent de la plaine et de la mer. La mer commença à s’agiter, des vagues toutes blanches d’écumes devinrent énormes et se déchaînèrent. La terre, le ciel et la mer se mêlèrent. Tout s’ébroua, les arbres, les fleurs, les nuages, les chevaux, le sable, l’herbe, vraiment tout. Des nuages noirs illuminés d’éclairs s’entassèrent au-dessus de la mer bleue, immense et déchaînée. Ils roulaient en même temps que les flots… Crinières au vent, les chevaux effrayés parcouraient la plaine d’un bout à l’autre… Accroché au tronc d’un arbre, Kodja Youssouf essayait de se protéger du vent, résistant de toutes ses forces pour ne pas se laisser emporter vers les flots. Stupéfait devant cet univers enragé, il attendait la langue collée au palais… 
Soudain tout se calma. Comme si le vent n’avait jamais soufflé. Comme si la mer ne s’était jamais agitée. Il y eut un grand silence. Pas une feuille qui bouge, pas un seul bruit ! La surface de la mer est toute plate. Pas le moindre flot, ni d’écume Et les chevaux dans la plaine sont figés, tout raides, comme des statues. 
Au loin, très loin au-dessus de la mer, une tête de cheval blanc apparut. C’était une tête de cheval aux yeux brillants, pleins de lumière. Elle approchait du rivage comme la foudre. D’abord le cou du cheval surgit de l’eau, puis tout le corps. Maintenant il s’approchait comme s’il volait au-dessus de la mer… 
L’étalon mit pied à terre, scruta les alentours, dressa la tête et la queue, puis galopa vers la jument grise qui le contemplait. Youssouf se réjouit de cette scène. Le miracle allait enfin s’accomplir. Il aurait un poulain de l’étalon de mer. Quelle chance, quel grand bonheur !... 
Quand la jument grise s’aperçut que l’étalon de mer se dirigeait vers elle, elle se mit à galoper. Et l’étalon de mer se lança à sa poursuite. La jument l’aguichait tout en galopant. Elle poursuivit sa course, puis ralentit pour attendre l’étalon. Au moment où celui-ci allait la rattraper, elle s’échappa de nouveau. Mais à la fin, fatiguée et impatiente, elle s’arrêta et attendit l’étalon en lui exposant sa large croupe. L’étalon la prit par le cou et la saillit deux fois. Youssouf ne pouvait croire ses yeux, il devenait fou de joie… ». 
En juillet 1995 Daniel Rondeau avait écrit un article dans l’Observateur en hommage à Yachar Kemal qui venait d’être traduit, une fois de plus, devant la Cour de Sûreté de l’Etat pour ses critiques de la répression kurde. Dans cet article Rondeau cite une lettre que Kemal avait envoyé à son ami Alain Bosquet et où, découvrant cette réflexion dans l’Iliade (Homère était un de ses modèles) : « De toutes les créatures c’est l’homme qui souffre le plus ; il est la seule créature à avoir conscience de la mort inéluctable », il écrit ceci : « Comment parvenons-nous à souffrir ce monde avec l’idée de l’inéluctable ?... Les mythes, les épopées ne sont-ils pas des cris de joie ? Sans cette magie, pensez-vous que le genre humain aurait été capable de supporter, avec toute sa conscience, les douleurs et les chagrins qu’il affronte ? ». 
Eh, oui, les épopées sont magiques ! 

Yachar Kemal est décédé en février 2015. Je ne sais pas si tous ces bardes dont il a parlé à Yedim Gürsel vivent encore ou si d’autres ont pris le relais. Gürsel qui a étudié toutes les sources de l’épopée de Keuroghlou n’en dit rien. Mais il est à craindre que là comme partout ailleurs les traditions orales se perdent. Je m’étais beaucoup intéressé à ces traditions il y a quelques années et en avait parlé à la suite de mes notes sur les Mille et une Nuits et sur les Contes de fées européens au tome 2 de mon Voyage autour de ma Bibliothèque. Comme à la geste tunisienne des Banou Hilal entre autres, recueillie par Lucienne Saada du CNRS auprès de l’aède tunisien Mohammed Hsini (voir : La Geste Hilalienne, version de Bou Thadi, recueillie, établie et traduite de l’arabe par Lucienne Saada, récitation de Mohammed Hsini, édit. Gallimard, Paris, 1985). Les Banou Hilal étaient quatre tribus bédouines qui s’étaient jetés « comme une nuée de sauterelles » sur l’Afrique du Nord en 1050 et Hsini était le descendant d’une famille qui récitait une geste composée au plus tôt au XIème, au plus tard au XIVème siècle, et transmise depuis environ 250 ans, de père en fils, sur huit à dix générations ! Mais comme le pense Lucienne Saada, la vie moderne avec radio et télé a probablement entre-temps déjà rompu la chaîne humaine et dans la Tunisie d’aujourd’hui il n’y a probablement plus beaucoup de gens qui connaissent encore la famille Hsini et les Hilaliens. 
Mais en même temps j’avais aussi découvert un personnage assez étonnant qui avait connu des familles de conteurs turcs (des guildes). Une Allemande, baronne de surcroît. Sophia von Kamphoevener. « Cette femme est extraordinaire », avais-je écrit. « Son père était un maréchal parti en Turquie à la fin du XIXème siècle pour assister le gouvernement dans son effort de modernisation du pays. Il avait le titre de pacha. Elsa Sophia, jeune sportive (elle adorait nager et monter à cheval), aimant l’aventure, connaissant parfaitement la langue turque (en tout elle a vécu quarante ans en Turquie), a demandé à son père l’autorisation de voyager à cheval à travers le pays, déguisé en garçon, et accompagné de quelques vieux serviteurs fidèles de son père (on dirait le début d’un conte). Le soir elle couchait dans un caravansérail où trouvaient également refuge les grands troupeaux des Nomades. Au centre de la grande salle intérieure brûlait un grand feu et on s’y asseyait au milieu des chameaux, des chevaux, des ânes et des animaux des troupeaux. Alors les conteurs qui accompagnaient les Nomades commençaient à raconter leurs histoires pour garder éveillés les gardiens des précieux troupeaux. « On rencontrait toujours les mêmes », dit-elle, « et surtout le plus célèbre d’entre tous, le fameux Fehim Bey. Un beau jour il s’adresse à moi, sensé être le fils du pacha, et me dit : raconte donc mes histoires ce soir, je suis fatigué, et je sais que tu les connais bien. Et après un certain nombre d’années, Fehim Bey, ce grand homme, cet homme de génie, me fait entrer dans sa guilde de conteurs ». 
« Ces histoires qui sont bien propres à la Turquie, bien différentes des contes arabes ou persans, sont transmises depuis 800 ans par des guildes de conteurs, des guildes familiales », avais-je encore écrit. « Et chaque guilde a ses contes à elle. Elle ne raconte que les siens. Et aucune guilde ne peut raconter les histoires d’une autre famille que la sienne. Ce serait du vol, la honte, et celui qui aurait commis un tel forfait n’aurait plus qu’à quitter le pays (une histoire de copyright en somme). Elsa Sophia n’a été reçue dans la guilde, cela va de soi, que parce qu’elle a continué à se faire passer pour un garçon, et a promis de ne jamais mettre ces contes par écrit. Elle a longtemps tenu parole (pendant cinquante ans), a raconté ses histoires, pendant la dernière guerre, aux militaires de la Luftwaffe allemande (elle était connue sous le nom de « Kamerad Märchen »), puis à la radio (son émission s’appelait : « Elsa Sophia Baronin von Kamphoevener erzählt »), enfin elle s’est malgré tout décidée à les mettre par écrit (voir : Elsa Sophia von Kamphoevener : An Nachtfeuer der Karawan-Serail, Märchen und Geschichten Alttürkischer Nomaden, 1. u. 2. Folgen, édit. Christian Wegner Verlag, Hambourg, 1958 et Elsa Sophia von Kamphoevener : Anatolische Hirtenerzählungen, édit. Christian Wegner Verlag, Hambourg, 1960). « Je pense que même Fehim me donnerait son accord aujourd’hui », dit-elle, « car l’oubli les guette, et elles ne m’appartiennent pas. Les changements sont rapides dans la Turquie moderne. La scolarisation généralisée, le développement technique vont, comme partout ailleurs, affaiblir la puissance de la mémoire. Comme cela a été le cas en Europe, il y a longtemps déjà ». 
Avec l’assèchement de la transmission orale, ce sont trois choses merveilleuses qui disparaissent en même temps : d’abord les conteurs eux-mêmes avec leur mémoire, leur imagination, leur façon de conter avec leurs gestes, leurs attitudes et leurs instruments de musique ou leurs simples bâtons, la chose contée elle-même, épopée poétique ou conte magique, et la troisième : la ferveur de l’assistance, leur écoute, leur communion avec le conteur et ce qu'il conte. C’est un érudit français, Jean-Joseph-François Poujoulat (1808 - 1880), dans son introduction au Roman d’Antar qu’il a édité sur la base du manuscrit rapporté et traduit par von Hammer-Purgstall (déjà cité) qui le décrit de la meilleure façon (voir : Aventures d’Antar, Roman Arabe, trad. française par M. de Hammer, publiée par M. Poujoulat, édit. Amyot, Paris, 1868-69) : 
« Il faut avoir pris place à une assemblée de Bédouins au milieu de leur camp, à l’heure où le soleil a disparu derrière les collines de sable et où la fraîcheur descend du ciel splendidement étoilé... Leur âme est tout entière au héros... Est-il victime d’une perfidie ? Que Dieu confonde les traîtres ! disent-ils. Lorsque le héros triomphe : Louanges à Dieu, le seigneur des Armées ! Mais tout devient silencieux, quand le conteur peint une beauté : le portrait se termine toujours par ces mots : Dieu soit loué qui a créé de belles femmes ! Et cette exclamation est répétée par les auditeurs, émus d’enthousiasme et d’admiration ». 
J’en resterai là. 
Pour le moment.