Au mois de mars dernier nous avons fêté nos noces de diamant. Avec nos enfants et nos petits-enfants. Et nous avons eu la bonne idée de le faire à Rome. Et une meilleure idée encore, cela a été de choisir un très bel hôtel d’où l’on voyait les grands pins parasols des parcs de la villa Médicis et de la Villa Borghese. Alors quand Francine nous a dit : nous, Manu et moi, on a déjà visité Rome ; alors cette fois-ci on va se concentrer sur ce qu’on admire plus que tout ici, Le Bernin et Caravage. Et cela tombe bien, a-t-elle ajouté, les plus belles œuvres de ces deux-là se trouvent à la Galerie de la Villa Borghese !
Alors dès le lendemain matin de notre arrivée on est partis à pied, avec un guide, rejoindre la fameuse Villa qui avait été la propriété de ce mécène et amateur d’art extraordinaire, Scipion Borghese, neveu du pape Paul V (un Borghese) et ami de Maffeo Barberini qui devint le pape Urbain VIII. Et puis, très rapidement, dans une des premières salles, c’est tout de suite l’émerveillement… L’enlèvement de Prosperine par Pluton.
Le mouvement, la tête de Pluton, l’effroi de Proserpine, la main qui s’enfonce dans la cuisse douce, la main de l’enlevée qui s’élève au ciel, les trois têtes du chien infernal ! On tourne autour du groupe, encore et encore. Jouissance !
Et on continue la visite. Voici un autre enlèvement. Raté celui-là. Apollon veut enlever Daphné. Et cette idiote préfère se changer en arbre, en laurier. Pour toujours ! Nouvelle incroyable performance (ce groupe date de 1625, le précédent de 1622) : saisir dans la pierre l’instant précis du début de la métamorphose !
Pourquoi cet effroi chez Daphné alors qu’Apollon a l’air tellement mignon ?
Quel art pourtant ! La chevelure devenant feuillage, les pieds racines, la peau du ventre déjà écorce d’arbre…
Et ce n’est pas fini : voici David et sa fronde, troisième groupe de ces Galeries, toujours de la même époque, 1623-24. David déterminé tueur de Goliath. Une tête particulièrement expressive !
On trouve encore un quatrième groupe à la Galerie de la Villa Borghese : c’est Enée fuyant Troie, portant son vieux père sur ses épaules etsuivi par son jeune fils Anchise, une œuvre qui précède les autres (1619) et qui est encore inspirée par le père de Gian Lorenzo Bernini qui se prénommait Pietro et qui lui a appris son métier.
Pietro était originaire de Florence et Gian Lorenzo était né en décembre 1598. Cela veut dire qu’il a créé les 4 groupes dits de Borghese entre 1619 et 1625, alors qu’il avait entre 20 et 26 ans ! Incroyable précocité ! Car en même temps il s’est libéré du style maniériste de son père. Créant quelque chose de nouveau : le style baroque. C’est du moins ce que disent les spécialistes de l’art. Un style qui retrouve l’art grec et y impose le mouvement. Moi je veux bien. Moi qui suis bien béotien dans ces matières je trouve qu’il y a quand même beaucoup de continuité entre l’art grec, l’art romain et l’art de ces sculpteurs italiens de génie qu’ils soient du XVIème siècle comme Michel-Ange ou du XVIIème comme Bernini ! Et il suffit de se promener dans Rome pour s’en convaincre. Nulle part ailleurs dans le monde, dans aucune ville, on trouve autant de statues nues, hommes et femmes, plus d’hommes que de femmes d’ailleurs, que ce soit dans les musées ou en plein air, qu’elles soient gréco-latines ou italiennes des temps de la munificence artistique. Et elles ne semblent guère gêner tous ces ecclésiastiques et ces nonnes qui papillonnent partout, à travers la ville papale.
On trouve encore beaucoup d’autres œuvres de Bernini à la Galerie de la Villa Borghese, d’abord tous ces bustes, ces têtes incroyablement expressives où Bernini se révèle véritable sculpteur portraitiste. Encore un aspect de son génie. Le plus extraordinaire de ces bustes, celui du Pape Urbain VIII, ne se trouve d’ailleurs pas à la Galleria, mais à l’église San Lorenzo di Fonte.
Et puis, entre deux salles, on tombe soudainement sur un autre chef d’œuvre, une représentation en miniature, en terre cuite, de ce qui devait être la statue équestre, en marbre, de 4 mètres de haut, de Louis XIV. Mais qui, une fois réalisée, avec des élèves français de la nouvelle Académie française de Rome (ordre de Colbert), et envoyée en France après la mort de Bernini, n’a pas plu à notre Roi Soleil. Qui voulait carrément la détruire. C’est le Marquis de Louvois qui la sauve et c’est le sculpteur français Girardon qui modifie la tête, direction et expression : le grand Roi est changé en Marcus Curtius ! Je crois qu’on peut quand même la voir aujourd’hui à l’Orangerie à Versailles.
Et puis il y a même des tableaux, toujours à la Galerie. Car Bernini était également peintre. Et surtout architecte. C’est ce qui a été probablement sa principale occupation plus tard. Les fontaines aussi. Le lion de la Fontaine des 4 Fleuves de la Piazza Navona.
Mais je crois bien que les véritables chefs-d’œuvre qui font sa gloire, ce sont ces quatre groupes qu’on vient de voir et qu’il a réalisés quand il avait vingt ans !
Post-scriptum : quand je pense encore à ces quatre groupes de la Galerie de la Villa Borghese, je me dis soudain qu’ils représentent à nouveau notre actualité du XXIème siècle. On parle beaucoup du harcèlement des femmes en ce moment. Or l’enlèvement de Prospérine est bien un véritable viol ! Et ô combien sauvage, avec son chien à trois têtes ! Et Apollon et Daphné est une tentative de viol, bien malheureuse pour la victime qui échappe à la défloraison en se changeant en arbre. Et David ? Le combat d’aujourd’hui se passe toujours en Palestine, sauf que David est Palestinien et Goliath un soldat israélien ! Et c’est toujours la même fronde.
Quant à Ennée qui porte son père et tient son fils à la main, ce n’est plus à Troie que cela se passe, mais un peu plus loin sur la côte méditerranéenne, en Syrie. Ou ailleurs. Les familles obligées de fuir les guerres cela ne manque pas dans notre monde actuel…
Post-scriptum 2 : c'est après mon retour au Luxembourg que j'ai encore découvert une autre oeuvre, plus tardive, et bien étonnante, de Bernini : l'extase de Sainte Thérèse que l'on peut encore admirer à Rome, dans la chapelle Cornaro de l'église Santa Maria della Victoria. Extraordinaire même. Parce que non seulement Bernini ne nous cache rien de la sensualité inhérente à ces extases mystiques mais y ajoute encore un ange tout sourire muni d'une flèche ! Vous avez déjà vu un ange avec une flèche? Non, mais un Amour, oui...