Emmanuel Macron m’a fait l’honneur de m’écrire et de me demander mon avis en tant que Français de l’étranger (j’y suis depuis 47 ans) sur les problèmes de la France vus de l’extérieur. Je lui ai écrit que j’étais d’autant plus enclin à lui répondre que j’avais de grandes chances de voter pour lui après l’élimination de Valls. Je lui ai donc répondu. Sans me faire d’illusions. D’ailleurs il y a peu de chances qu’il m’ait lu et encore moins qu’il tienne compte de ce que je lui ai dit. Mais bon, cela ne change rien. Ce n’est pas la première fois que je m’égosille pour rien. Voilà en tout cas ce que je lui ai dit. En gros.
Je suis Centralien, IAE, trilingue, ai toujours travaillé à l’international, d’abord dans la mécanique lourde (engineering sidérurgique), puis en tant que dirigeant pendant 31 ans d’un groupe multinational de PMEs de la mécanique basé à Luxembourg. Groupe vivant d’abord d’un monoproduit et que j’ai diversifié, devenant leader mondial pour deux activités parties de zéro (treuils d’échafaudages et installations d’entretien des façades). C’était un groupe familial que j’ai pu reprendre avec quelques managers et un ami au moyen d’un LMBO maintenu pendant 11 ans (les financiers étaient minoritaires) avec d’excellents taux de croissance annuels et une très belle rentabilité, puis revendu en organisant un deuxième LMBO à la suite du premier, en faveur des managers plus jeunes. Tout ceci pour dire que je crois avoir accumulé une certaine expérience en matière économique, en matière industrielle et en matière d’export. Voici mes observations :
Coût du travail – charges sur salaires.
Lorsqu’en 1991 j’ai pu faire entrer une entreprise française dans mon groupe j’ai tout de suite été frappé par l’extrême lourdeur des charges dites patronales sur les salaires et les appointements. Au cours des années 96-97 j’ai réalisé des comparaisons entre les différentes sociétés européennes de notre groupe et constaté que le taux français approchait les 52% alors que ce taux était de 22% et de 20% respectivement dans nos entreprises d’Allemagne et de Luxembourg (et 25% en Espagne, 32% en Belgique, 15% aux Pays-Bas, 17% en Grande-Bretagne et plus ou moins 0% au Danemark). Et j’étais sûr de mes chiffres m’étant impliqué moi-même dans l’harmonisation de nos plans comptables. J’ai bien sûr communiqué mon étude à de nombreuses instances (à l’Ecole Centrale, à Gattaz père et son association des Entreprises patrimoniales familiales, à Martine Aubry par l’intermédiaire du patron, à l’époque, de Sommer-Allibert, à l’attaché commercial du Luxembourg et à l’institution des CCE – j’ai été Conseiller du Commerce extérieur français pendant une quinzaine d’années). Bien sûr sans aucun résultat. Et j’en ai encore parlé dans une lettre au Monde en 2007 (annexe 1), toujours sans réaction aucune. Et à nouveau la même année au poste commercial français en Belgique à propos de la comparaison France-Allemagne en matière d’exportation (annexe 2).
Je suis retraité depuis trop longtemps pour disposer encore des relais nécessaires pour une mise à jour de mon étude. Je suppose que la situation s’est améliorée un peu depuis lors. Vous me permettrez néanmoins d’énoncer quelques observations :
1) Si on veut combattre efficacement le chômage, il me paraît évident qu’il faut à tout prix diminuer le coût du travail et non le charger. Il faut certainement continuer l’effort dans ce sens.
2) Je n’ai pas très bien compris le système mis en place par le Gouvernement dont vous avez fait partie. La diminution des charges est-elle effectuée sous la forme d’une ristourne fiscale ? Dans ce cas j’y vois beaucoup de désavantages : les entreprises non soumises à l’impôt, parce que non bénéficiaires, n’y auraient-elles pas droit ? Ce serait absurde. Lorsque l’entreprise calcule le coût d’un produit tient-elle compte de la diminution des charges et donc de la diminution du coût horaire ? Mais surtout la ristourne ressemble diablement à ce fameux « cadeau fait aux patrons » cher à une certaine gauche. Ce qu’il faut à tout prix éviter. La diminution des charges n’est pas un cadeau « permettant aux entreprises de rétablir leurs marges ». Ridicule ! C’est une mesure permettant de diminuer le coût du travail. Basta ! Et donc une mesure permettant de combattre le chômage par un effet double, engager plus facilement des salariés qui coûtent ainsi moins cher, améliorer la compétitivité du made in France. Arrêter de les appeler charges patronales. En Allemagne on parle de Arbeitgeber (donneurs de travail) et Arbeitnehmer (preneurs de travail). Appelons-les charges de l’entreprise.
3) Pourquoi ne pas transférer définitivement un certain nombre de charges comme taxe sur les transports, l’aide au logement, la formation professionnelle, l’effort de construction, la taxe d’apprentissage, etc. et même les allocations familiales (qui, à l’époque, représentaient 5.40%) sur le budget de l’Etat ? En Allemagne comme au Luxembourg les seules charges patronales sont la retraite, la caisse de maladie et le chômage. Et encore : au Luxembourg le budget de l’Etat participe pour un tiers au financement des retraites (les deux autres tiers étant supportés par les salariés et l’entreprise, à parts égales). Et c’est encore le budget de l’Etat qui prend en charge une bonne partie du coût hospitalier…
4) En cas d’impossibilité de transférer le coût de toutes ces diminutions de charges, il reste toujours la possibilité de transfert à la TVA, bien que tout le monde sache que c’est l’impôt le plus injuste socialement parlant !
5) Attention : ne pas favoriser les bas salaires dans la réduction des charges. Le coût excessif du travail des cadres français est encore beaucoup plus dangereux en matière de compétitivité (c’était la raison de ma note au Monde). D’ailleurs le coût des retraites des cadres français me paraît bien élevé. Mauvaise gestion ? Retraites trop élevées ? Ne faudrait-il pas introduire ici une part de fonds privés ?
Imposition des bénéfices des sociétés.
Quand j’ai commencé à prendre la direction de mon groupe en 1970 les impôts sur les sociétés tant en Allemagne qu’au Luxembourg étaient bien supérieurs à 50%, d’autant plus que dans les deux pays, il existait deux impôts, impôt fédéral et impôt du Land en Allemagne, impôt gouvernemental et impôt dit commercial servant aux ressources de la municipalité au Luxembourg. Les impôts non fédéraux ou non gouvernementaux n’étaient d’ailleurs pas basés uniquement sur le bénéfice mais aussi sur d’autres facteurs comme l’actif net par exemple. Puis les deux types d’impôts ont été basés tous les deux sur le seul bénéfice des sociétés qui restait taxé globalement à plus ou moins 50%. Ce n’est que progressivement que le taux d’imposition a baissé sous la pression de la dictature du capitalisme financier mondial. Actuellement le taux global, au Luxembourg, était descendu à 29.22% en 2016 et va descendre encore : 26.01% en 2018. Personnellement je regrette profondément cette évolution (voir ce que j’en dis sur mon Bloc-notes 2016 : Nouvelles du capitalisme financier) qui n’apporte strictement rien à la compétitivité des entreprises. Et je ne comprends pas pourquoi notre Cour des Comptes nous pousse à suivre la même démarche en France. Par contre je serais tout-à-fait en faveur d’une progressivité de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, comme cela existe en Suisse et aux Etats-Unis et qui favorise les petites et moyennes entreprises (qui en ont bien besoin en France).
NB : Depuis on sait que Macron veut descendre l’impôt sur les sociétés en France de 33% à 25%. C’est une mesure qui lui est inspirée par ses amis financiers. S’il veut que des gens de gauche le soutiennent il ferait mieux d’abandonner cette mesure qui n’a d’ailleurs aucun effet sur le chômage.
Complexité française : administrative, juridique, fiscale, sociale. Code du travail.
Je montre dans ma note CCE sur la compétitivité à l’export quel handicap le dirigeant français a sur l’allemand dans ce domaine. Il faut avoir travaillé en Allemagne pour se rendre compte de notre tendance à rendre tout le plus compliqué possible. Rien que pour les charges sur salaires il m’a fallu 5 pages de tableaux alors qu’une demi-page suffit pour le Luxembourg et l’Allemagne. Le code du travail est une montagne infranchissable sans avocat ou DRH de grande société. Il m’est arrivé, au moment de préparer une démarche un peu nouvelle, sortant de l’ordinaire, de demander conseil à mon délégué CGT. Lui au moins, grâce à force séminaires de formation organisés par le Syndicat et payés par l’entreprise, avait pu accumuler les connaissances sur cette jungle.
Dans le domaine de la simplification administrative, juridique, fiscale et sociale tout est à faire en France !
Export et PMEs
J’explique dans ma note CCE placée en annexe tous les handicaps qu’a la France dans le domaine de l’export par rapport à l’Allemagne (et pas seulement). Or tout se tient. Pour diminuer le chômage il faut que les entreprises françaises puissent se développer. Il n’y a que deux solutions : relance sur le marché intérieur ou développement de l’export.
Premier handicap : nous avons beaucoup moins de sociétés moyennes familiales que l’Allemagne. L’avantage des sociétés familiales c’est qu’elles ont plus tendance à pratiquer le long terme, moins sortir de dividendes, plus investir. Il faut donc les aider, trouver des solutions fiscales qui évitent leur vente forcée en cas de succession (j’ai vu de près le drame des grues Potain). Arrêter de mêler très petites (qui ne peuvent exporter), petites (plus fragiles) et moyennes. Obtenir de l’UE une réévaluation des plafonds qui les définissent (se rapprocher pour les moyennes du Small Business à l’américaine).
Deuxième handicap : le support à l’export de l’industrie allemande est bien plus efficace. Nos conseillers commerciaux ont de moins en moins de moyens, ils ont été supprimés dans certains endroits (comme au Luxembourg par exemple), ils ont toujours eu un grand mépris pour les PME. J’ai indiqué dans ma note beaucoup d’exemples que j’ai vécus personnellement. Douloureusement. Les entreprises allemandes profitent d’un deuxième support, la VDMA, la Fédération de l’industrie mécanique allemande. Je l’ai vue à l’œuvre à Singapour, à Hong-Kong et surtout à Tokyo. La puissante Fédération de l’UIMM au MEDEF devrait être capable du même déploiement, elle en a les moyens et le Gouvernement pourrait l’aider (d’ailleurs je me souviens qu’il y a longtemps le Syndicat patronal du MTPS avait un délégué à Hong-Kong, depuis longtemps supprimé !).
Troisième handicap : les Français n’ont pas autant que les Allemands l’esprit d’entreprise, le respect pour l’entreprise (aucun citoyen allemand ne s’imaginerait que lorsque Hollande a déclaré la guerre à la Finance dans son discours au Bourget qu’il voulait dire guerre à l’Entreprise !) et l’intérêt pour le produit fabriqué par l’entreprise. Mais peut-on changer les Français ?
Post-scriptum : je suis effaré de voir que nos candidats ne parlent guère (ou alors d’une manière complètement irresponsable comme Marine Le Pen et Mélenchon) de notre désindustrialisation et de notre descente aux enfers en matière d’export. Les deux sont d’ailleurs liées. Or c’est bien là que réside essentiellement notre problème de chômage. Qui est pourtant notre problème numéro 1 ! Le Monde vient de commencer une série d’articles sur ce qu’ils appellent « le capitalisme français ». Nos candidats feraient bien de l’étudier. Car le problème que ces articles soulèvent c’est d’abord la nécessité de disposer d’un actionnariat responsable. Qui fait cruellement défaut en France.
Annexes : ces notes sont déjà anciennes (2007) mais je crois que les problèmes qu’on y soulève n’ont pas beaucoup évolué depuis lors.
Ma lettre au journal Le Monde, datée de juin 2007 (annexe 1), avait été écrite au moment où l’on envisageait de baisser les charges sur salaires mais uniquement pour les bas salaires. J’y exposais mes craintes à ce sujet.
Ma Note CCE (annexe 2) (j’ai été Conseiller du Commerce extérieur français pensant une vingtaine d’années) qui date de novembre 2007 avait été rédigée à la demande de l’antenne commerciale de l’Ambassade de France à Bruxelles et portait sur les problèmes rencontrés par la France à l’exportation. Je commence par répéter ce que j’ai écrit au Monde à propos des charges sur salaires avant d’aborder les autres problèmes relatifs à notre capacité d’exportation (nos complexités, nos PMEs, nos postes commerciaux, etc.). A l’époque notre balance commerciale était devenue négative depuis une quinzaine d’années. De plus en plus négative. Et personne ne semblait s’en inquiéter ni au MEDEF, ni au Gouvernement…
Annexe 1
Lettre au journal Le Monde
Travail, Charges patronales et Impôt
(extrait)
Dans un éditorial récent le Monde a posé un certain nombre de questions à propos du travail et de la TVA. La France a-t-elle un problème de coût de travail ? Le problème ne concerne-t-il que les bas salaires ? Faut-il transférer les charges qui pèsent sur le travail sur l’impôt ? Sur quels impôts ?
Il se trouve que j’ai dirigé pendant 31 ans un groupe multinational de petites et moyennes entreprises, etc….
…Ayant pris ma retraite il y a 6 ans maintenant (le texte date de 2007) je ne sais pas si la taxe professionnelle – que l’on avait appelée l’impôt le plus bête du monde – n’a toujours pas été modifiée. Mais ce que je sais c’est que dans tous les pays industrialisés d’Europe ou d’Amérique du Nord l’impôt dû à une collectivité locale (commune, Länder, Etats fédérés) est aujourd’hui exclusivement calculé sur le bénéfice. On peut utiliser un ratio, comme on le fait aux Etats-Unis, basé sur les salaires, les loyers, les stocks, pour répartir cet impôt entre les Etats où une société a des implantations. Mais plus personne ne songe à baser un impôt sur des salaires. Il y a plus de 20 ans que le Luxembourg et l’Allemagne ont changé le mode de calcul de l’impôt local. Et plus de 10 ans que l’Autriche a supprimé l’impôt sur les salaires.
Autre remarque importante : les salaires des ouvriers et des petits employés en France sont en général inférieurs à ce qu’ils sont en Allemagne et au Luxembourg. Dans le cas de mon groupe la différence était de l’ordre de 30%. Ainsi la France, en dépit de ses charges, conservait (c’était avant les 35 heures) un certain avantage de compétitivité par rapport à certains de ses voisins. Mais ce n’est pas du tout le cas des cadres. En comparant les rémunérations de certains cadres importants tels les délégués commerciaux, les gens de l’export, les chefs de bureaux d’études, de production et des achats, je me suis aperçu que la différence avec l’Allemagne n’était au maximum que de 10%. Or le taux de charges est le même pour toutes les catégories professionnelles. C’est là que se trouve, à mon avis, un danger très généralement méconnu. C’est le travail le plus qualifié qui est le plus handicapé par cette importante différence de charges. Et je pense que tout le monde sait aujourd’hui qu’on peut délocaliser n’importe quelle activité, pas seulement la production !
A l’époque j’avais rédigé un rapport de synthèse à ce sujet. Comme j’étais président de la section des CCE de Luxembourg je l’ai transmis au poste économique local et à d’autres sections. Centralien, j’ai participé à l’époque des 35 heures à une commission de travail organisée par les Anciens de l’Ecole sur le problème du chômage et je l’ai remis à mes collègues. J’ai même assisté à une assemblée de l’Association des Moyennes Entreprises patrimoniales de mon camarade Yvon Gattaz (créateur d’une PME, Radiall, et Président d’honneur du MEDEF) et je l’ai envoyé au grand patron de l’époque de Sommer-Allibert qui devait déjeuner avec Martine Aubry. Tout ceci sans résultat. L’Hexagonal a ceci de particulier c’est qu’il ne veut absolument rien savoir des solutions qui existent en-dehors de l’Hexagone. C’est d’autant plus dommage qu’il y avait d’autres observations intéressantes dans mon rapport : entre autres la complexité inouïe de nos formules de cotisation. Il me fallait six pages pour expliquer la situation française et une demi-page pour chacun des autres pays.
Qu’il faille transférer une bonne part de ces charges ailleurs me paraissait évident. Le Chancelier Kohl l’avait déjà dit : pour diminuer le chômage il faut d’abord diminuer le coût du travail. Ce qui m’étonne c’est que personne n’y ait jamais pensé en France. Alors que cela fait trente ans que le chômage augmente. Mais quand je disais à des gens de droite qu’il fallait transférer une bonne partie de ces charges sur le budget de l’Etat, ils me disaient : mais alors il faudrait augmenter les impôts ? Quelle horreur ! Et mes amis de gauche : quoi ? Diminuer les charges patronales ? Faire un cadeau aux patrons ? Vous n’y pensez pas !
De toute façon, comme l’a dit Rocard, c’est la culture économique qui manque le plus à gauche. On est au stade du capitalisme financier (total, dit Peyrelevade) et on n’a toujours pas compris comment marche l’économie de marché. Comment corriger les défauts du système si on ne comprend pas comment il fonctionne ? A l’époque des 35 heures j’ai passé des heures à essayer de faire comprendre à des amis socialistes que le nombre d’heures de travail disponibles en France n’était pas un gâteau fixe qu’il suffisait de mieux partager. Le résultat des 35 heures tel que moi je l’ai vécu est le suivant : d’abord augmentation du coût du travail d’au moins 10% (personne n’a accepté de gagner moins en travaillant 35 au lieu de 39 heures malgré les déclarations faites à l’époque dans le Monde tant par Martine Aubry que par le Secrétaire général de FO), ensuite cette augmentation s’est faite sans amélioration du pouvoir d’achat des salariés, pire, les chefs d’entreprise, prévoyant le surcoût à venir ont rogné pendant plusieurs années sur les augmentations annuelles, enfin démobilisation des cadres moteurs sans lesquels rien ne se fait dans les entreprises moyennes (on a été obligé de leur donner 7 semaines de vacances pour qu’eux qui travaillaient auparavant sans compter leur temps acceptent au moins de continuer à travailler 39 heures au lieu de 35. Et bonjour l’avancement des nouveaux produits et la présence à l’export).
Alors maintenant la droite reprend l’idée de la diminution des charges. Et pour une fois on regarde ce qui se fait ailleurs. Et on copie Mme Merkel qui a augmenté la TVA de 3%. Mais on oublie qu’en Allemagne le taux TVA de départ était inférieur de plus de 3% au nôtre. Et que Mme Merkel le fasse ou pas c’est la solution la plus injuste, socialement parlant, qui soit. Ce sont les moins favorisés qui dépensent tous les mois la totalité de leur paye. Augmenter la TVA c’est les taxer directement sur 100% de leurs revenus. Et qu’on arrête de faire semblant de croire que cela n’influerait pas le pouvoir d’achat. Qu’est-ce qu’on croit ? Que les entreprises vont compenser l’augmentation de la TVA par une diminution de leur marge bénéficiaire ?
Il n’empêche. Il faut trouver le moyen de diminuer le poids des charges et taxes qui pèsent sur le coût du travail en France et le transférer ailleurs. On aurait dû le faire depuis longtemps. Mais, à mon avis, pas sur la TVA. Ni d’ailleurs sur la Valeur Ajoutée. C’est encore une mauvaise bonne idée avancée déjà pour la taxe professionnelle et maintenant pour cet impôt dit social. Or il ne faut pas être expert-comptable pour comprendre que la majeure partie de la valeur ajoutée c’est encore le coût du personnel. Et de plus c’est une prime à l’extériorisation des activités (puisque extérioriser diminue la valeur ajoutée). Or il n’y a pas loin de l’extériorisation à la délocalisation…
Je sais bien que les autres solutions ne sont guère en odeur de sainteté en ce moment. Mais elles existent : augmentation des impôts directs, des impôts sur le bénéfice des sociétés, de la CSG, taxation du chiffre d’affaires. Et il faut savoir ce que l’on veut…
Jean-Claude Trutt
Ancien PDG du Groupe Tractel
(juin 2007)
Annexe 2
Note CCE (les Conseillers du Commerce extérieur de la France)
Comparaison France-Allemagne à l’export
(extrait)
Coûts
(pour mémoire)
Produits
La stratégie Produits a toujours été à la base de la stratégie des entreprises allemandes. Déjà, au début de ma carrière professionnelle lorsque je travaillais dans la mécanique lourde j’avais été frappé par le fait que les PDG et Directeurs des grands départements des grandes sociétés industrielles allemandes étaient des gens qui étaient passés à un moment donné dans la production ou dans le commercial et avaient une connaissance parfaite de leurs produits.
Mais ce qui est vrai de la grande entreprise l’est encore beaucoup plus de la petite et surtout de la moyenne entreprise. Or la véritable supériorité des Allemands sur nous c’est l’importance et le dynamisme de leurs entreprises moyennes.
Un article paru récemment dans la revue des CCE indiquait que seuls 5% des PME françaises exportaient alors que ce chiffre était de 10% chez les Allemands. Ces chiffres sont trompeurs. D’abord le terme de PME est trompeur : il mélange les TPE, très petites, en dessous de 10 personnes qui de toute façon ne peuvent exporter, les petites, en dessous de 50, qui ne peuvent exporter très loin, et les moyennes qui sont les véritables entreprises exportatrices potentielles. Il serait grand temps de redéfinir le terme de PME. J’y reviendrai. En attendant il faut noter que le nombre de PME est bien plus important en Allemagne. Et que la différence est encore plus frappante si on ne considère que les seules entreprises moyennes.
J’avais développé, au cours de la dernière partie de ma carrière professionnelle, un concept que j’avais appelé un triangle vertueux, triangle ayant en son centre le produit et aux trois extrémités : le marketing mondial, l’appel à l’innovation et la maîtrise des coûts.
Je crois que nous avons eu assez longtemps, en France, un certain avantage sur nos voisins dans le domaine de l’innovation. Pour ce qui est du marketing mondial, nous avons toujours fait montre d’une certaine timidité, souffert d’un déficit d’image par rapport aux Allemands et manqué d’appui officiel : la PME a toujours été négligée tant par la gauche que par la droite et cela s’est senti jusque dans nos représentations commerciales dans le monde. J’y reviendrai.
Quant au 3ème point : maîtrise des coûts, nous n’y avons pas suffisamment fait attention. Les Allemands ont été obligés de survivre avec deux handicaps majeurs : la politique du Mark cher, chère à la Bundesbank, l’inflation des coûts salariaux ouvriers due à la puissance de l’IG-Metall et de la volonté de conciliation du patronat allemand. Alors que nos chefs d’entreprise – et souvent les plus grands d’entre eux – ont régulièrement réclamé une politique du Franc faible, les Allemands ont fait front en utilisant deux moyens : d’abord l’investissement permanent en machines-outils de plus en plus perfectionnées, installations d’automatisation, et tous moyens permettant de réaliser des économies en main d’œuvre (dans mon entreprise de Bergisch-Gladbach nous avons été jusqu’à sous-traiter à nos propres ouvriers en travail à domicile des travaux impossibles à automatiser (boîtiers électriques p. ex.) et les ouvriers, à condition de prendre un numéro de TVA, ont pu le faire en toute légalité). Ensuite la délocalisation de la sous-traitance et des achats dans des pays à coût salarial inférieur. Dans ce domaine l’Allemagne bénéficie d’une très ancienne tradition qui remonte à leurs très anciennes et vénérables maisons d’import-export de Hambourg et de Francfort (tels que Coutinho Caro, Schuback, etc.). Ces maisons ont toujours su créer de la valeur ajoutée export en achetant en Asie et en réexportant avec la garantie d’une entreprise bien connue. Les industriels ont réagi très tôt en suivant cet exemple lorsque les frontières avec l’Europe de l’Est se sont ouvertes (sous-traitance en Pologne, Tchécoslovaquie, puis Roumanie, etc.). Et dès le début de la mondialisation ils ont été rechercher des possibilités d’approvisionnement et de sous-traitance en Chine.
Les 35 heures ont été également – et le sont toujours, hélas – un handicap majeur pour ce qui est de cette primauté à donner au produit. Je ne reviendrai pas sur toutes les conséquences économiques évidentes : augmentation du coût salarial d’au moins 10%, personne ne voulant gagner moins, c’était pourtant facile à prévoir, augmentation qui n’en est pas une pour le salarié (on peut même considérer qu’il a perdu en pouvoir d’achat car pendant plusieurs années de suite les chefs d’entreprise voyant venir la chose, ont réduit au minimum vital les augmentations accordées), etc. (et effet quasi-nul sur le chômage). Non, le plus grave c’était l’incidence sur la productivité des cadres. Le chef d’une entreprise moyenne s’appuie forcément sur un certain nombre de cadres que j’appelle moteurs : chef BE, responsable marketing, responsables commerce national et export pour la définition des produits et leur commercialisation, chef achats, chef méthodes pour la maîtrise des coûts et bien sûr responsables finance et informatique pour le contrôle d’ensemble. La loi des 35 heures a démoralisé ces cadres. Et finalement, pour les satisfaire, et parce que la loi nous y obligeait, on a été obligés pour qu’ils continuent au moins à travailler 39 heures, de leur accorder 7 semaines de vacances ! Or la stratégie produits exige aujourd’hui qu’un produit soit finalisé par le BE dans un temps record, et qu’ensuite il soit mis sur le marché, sur un maximum de marchés, dans un temps record lui aussi. Les Allemands ont fait la même erreur que nous mais l’erreur était réversible car il n’y avait pas de loi, simplement un accord patronat-syndicats. Dans notre entreprise allemande, mon cogérant local a immédiatement fait des contrats individuels avec chacun des cadres et employés pour qu’en compensation d’une amélioration de leurs revenus ils continuent à travailler 40 heures comme avant. Quant aux ouvriers ils ont accepté une flexibilité étonnante (un congé tous les dix jours, travail sur deux postes, un temps même sur 3 postes, et même des semaines de 50 heures en cas de surcharge exceptionnelle). La loi des 35 heures a été un crime contre l’industrie française, surtout celle des PME, - et je le dis sans sectarisme, sur le plan des idées je me situe plutôt au centre gauche – et je ne comprends toujours pas pourquoi on n’est pas revenu sur cette loi lorsque la droite est revenue au pouvoir il y a 5 ans !
PME
Je suis persuadé que si la France veut sortir de la situation catastrophique actuelle il faut une véritable politique PME.
Pour cela il faut plusieurs choses.
D’abord revoir les définitions et arrêter de mélanger des entités qui n’ont rien en commun. Sortir les TPE. Se limiter à deux entités, petite et moyenne. Ensuite revoir le plafond, beaucoup trop faible à mon gré pour la moyenne entreprise. Je l’ai déjà dit, je ne suis plus en activité et je ne connais plus exactement la définition actuelle, mais il me semble qu’à l’époque le plafond se situait aux alentours de 60 millions d’Euros, alors que le plafond du Small Business américain était beaucoup plus haut, 200 ou 250 Millions de Dollars. Ensuite il y a un flou artistique sur la façon d’appréhender l’entité : une filiale est-elle encore PME, même si elle répond à la définition mais si sa société-mère, en chiffre d’affaires consolidé dépasse le plafond ?
Ensuite faciliter le travail du chef d’entreprise de PME. Rien n’a été fait, tout reste à faire pour ce qui est de la simplification administrative, juridique, fiscale, sociale, en France. J’ai vu la différence énorme qui existe sur ce plan entre le chef d’entreprise français et son collègue allemand. Dix fois plus de temps passé à ces tâches pour le Français. Rien que pour ce qui est du social : Pratiquement une journée entière perdue chaque mois en France pour présider le Comité d’Entreprise. Plus de nombreuses séances, chaque année, pour renégociation salariale. Et malheur s’il y a conflit, difficultés, mise en alerte, etc. Alors que mon cogérant local, en Allemagne, ne voyait les délégués que s’il y avait problème (en général d’horaire) et ne leur remettait même pas le bilan annuel bien qu’il y était en principe obligé. Quant aux négociations salariales elles étaient conduites au niveau patronal avec l’IG-Metall de Rhénanie du Nord – Westphalie. Une fois les accords conclus il n’y avait plus qu’à les appliquer. Une bonne image de notre terrible attirance pour le compliqué : pour expliquer le système des charges patronales en France il m’a fallu 5 pages de tableaux. Une demi-page a suffi tant pour l’Allemagne que pour le Luxembourg.
Promouvoir la PME et attirer les diplômés des grandes Ecoles d’ingénieurs et grandes Ecoles commerciales à devenir chef d’entreprise petite ou moyenne, un des plus beaux métiers du monde. Vœu pieux ? Peut-être. Pourtant on a connu de belles réussites en France avec les Anciens de ces Ecoles.
Enfin les aider à l’export. Ce que je vais dire maintenant ne va pas faire plaisir à tout le monde, en particulier aux responsables des Missions économiques. Mais je sais de quoi je parle. J’ai travaillé toute ma vie à l’international. 7 ans dans la mécanique lourde responsable de l’export de matériels d’équipement et d’usines sidérurgiques, 6 mois encore, toujours à l’export, de matériels de papeterie, traitement de minerais, équipements pour l’industrie agro-alimentaire, etc. tout ceci dans beaucoup de parties du monde : Amérique du Nord et Sud, Europe de l’Ouest et de l’Est, Afrique du Nord. Et puis ensuite 31 ans comme responsable d’un groupe de PME multinational (avec 25 filiales dans 15 pays, des agents dans le monde entier, leader mondial pour plusieurs activités spécifiques et réalisant 25% de son activité aux Etats-Unis). Or ce que je prétends c’est que nos antennes économiques ont toujours favorisé les grandes entreprises et souvent – pardonnez-moi l’expression – traité nos PME un peu par-dessus la jambe. C’est en tout cas la conclusion que j’ai tirée de mon expérience personnelle avec la grande et la petite entreprise. C’est d’ailleurs tout à fait compréhensible. Le malheur c’est que la grande entreprise n’a en général guère besoin de l’antenne locale alors que ce n’est pas du tout le cas de la moyenne ou de la petite entreprise. Et c’est encore une fois un domaine où les Allemands ont un avantage essentiel sur nous entreprises moyennes (mieux considérées, mieux représentées, puissance de la VDMA, le Verein deutscher Maschinen- und Anlagenbau (équivalent de notre FIMTM). Les produits que nous exportions étaient fabriqués dans nos trois usines de France, du Luxembourg et d’Allemagne. Je pouvais donc indifféremment faire appel aux représentants de la France, de la Belgique (pour le Luxembourg) ou de l’Allemagne. Je vais donner ci-dessous quelques exemples.
Chine. Projet d’investissement et études de marché. A Hong-Kong le Conseiller commercial n’a pas pu me recevoir. A Pékin le Conseiller m’a demandé d’aller voir la Chambre de Commerce franco-chinoise où je pourrais « acheter » la liste d’entreprises françaises établies en Chine que je lui ai demandée. Le Conseiller commercial allemand m’a reçu dans l’heure, remis immédiatement et gracieusement, la dernière liste des entreprises allemandes établies dans le pays, une liste des avocats recommandés par l’Ambassade et un dossier complet sur les dernières législations chinoises en matière d’investissement, de joint-venture, de fiscalité et de facilités douanières.
Japon. Projet de lancement d’une nouvelle activité. Le Conseiller commercial français n’a que peu de temps à me consacrer. L’attaché commercial belge m’accompagne pendant deux jours visiter des partenaires éventuels, des PME, situés dans la campagne dans la région de Kobé. Au siège local (à Tokyo) de la VDMA (énorme bureau en plein centre de la ville) un ingénieur me recherche toutes les normes et les règles qui régissent l’acceptation pour nos produits (levage de personnes). Il me propose de traduire les documents pour lesquels il n’existe pas de traduction anglaise. A part la traduction tout est gratuit (ma filiale est membre de la VDMA).
Indonésie. Prospection. Un attaché commercial indonésien de l’antenne belge m’accompagne pendant 6 jours !
Moyen-Orient. Au Caire notre Directeur marketing (un Essec) essaye désespérément d’obtenir un rendez-vous avec le Conseiller commercial. Il entend à l’arrière-plan le mot de Cambronne. L’attaché libanais de l’antenne belge le reçoit, lui prend des rendez-vous et vient l’assister sur son stand à la foire. Et à Bagdad, au moment de la guerre Iran-Irak, ce même Directeur marketing, voulant assister malgré tout à la foire de Bagdad, est recueilli le soir en voiture par l’Ambassadeur belge en personne et couche à la Résidence.
Beaucoup de ces exemples datent déjà de plusieurs années. Les choses ont évolué depuis. Et il ne faut pas généraliser à partir d’expériences individuelles. Mais tout ne va pas toujours dans le bon sens. La suppression de l’antenne commerciale du Luxembourg le montre. Il n’y a qu’à se demander à qui nuit cette suppression. Certainement pas à Alcatel ou à Air Liquide. Les chefs des PME françaises n’ont pas besoin de subventions. Mais ils trouvent absolument mesquin de devoir payer pour une liste d’entreprises françaises en Chine. Et ils veulent de la disponibilité…
Nous avons aussi un atout par rapport aux Allemands : c’est notre réseau de Conseillers du Commerce extérieur français. Chaque fois que j’ai fait appel à ces CCE (à New-Delhi, à Djakarta, à Hong-Kong, à Tokyo, à Sao Paulo) ils m’ont énormément aidé, et toujours avec beaucoup de gentillesse. Mais ils mènent en général une vie professionnelle très active et ne peuvent pas toujours être disponibles.
En conclusion je dirais que nous avons un certain nombre de handicaps par rapport aux Allemands qui sont les suivants :
- coût élevé du travail le plus qualifié à cause de nos charges exagérées
- les 35 heures : leur impact sur le temps de développement et de mise sur le marché des nouveaux produits. Autre impact : sur l’efficacité commerciale des services d’export
- délocalisation insuffisante (ou trop tardive) des achats et sous-traitances. On n’a pas compris que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, une telle politique permet une plus-value à la réexportation et finalement le maintien de l’entreprise et de ses postes de travail.
- Insuffisance de l’investissement productif en vue de la diminution du facteur main d’œuvre.
- Insuffisance de nos PME en nombre et en poids. Nécessité de les revaloriser, revaloriser l’esprit d’entreprise chez les futurs cadres dirigeants. Nécessité d’une véritable politique PME nationale, nécessité de les aider. Les aider partout. Depuis l’administration centrale en France jusqu’aux différentes représentations françaises dans le monde.
Jean-Claude Trutt (ECP)
26/11/2007