Tous les soirs avant de me coucher je monte au deuxième étage de ma maison, et avant d’arrêter mon ordinateur, je consulte les actualités sur Google. Hier soir je lis : McCain a rattrapé Obama dans les sondages. Et McCain a comparé Obama à Britney Spears. Je ne sais même pas quelle est la pire de ces deux nouvelles. Que l’on va se retrouver à nouveau avec un Républicain à la Maison Blanche ou que McCain a raison avec ce qu’il dit d’Obama ? Quel besoin avait Obama de rassembler 200000 Allemands à Berlin (pas à la Porte de Brandebourg que Merckel choquée lui a refusée, mais au Mémorial de la Victoire, celle de Sadowa, qui célèbre la suprématie définitive de la Prusse sur l’Autriche et annonce la funeste guerre de 70, mais que sait Obama de tout cela ?), qu’est-ce que cela a à faire avec la campagne prési-dentielle américaine ? Pourquoi ce besoin de bain de foule ? Pourquoi cette folle Obamania ? L’admire-t-on pour ses idées ou pour son aura de star ? Il y a quelques mois (le Monde du 6 mai 2008) un professeur d’Oxford, chercheur à Stanford, Timothy Garton Ash, comparait la pré-campagne américaine au «plus long spectacle de Guignol que le monde ait jamais vu» et concluait en disant que quelque soit le vainqueur de l’élection présidentielle, le monde serait cruellement déçu. John McCain «n’a ni le tempérament, ni l’expérience, ni la mentalité, ni l’envergure internationale qu’exige notre temps», dit-il. On s’en serait douté. « Il a l’esprit de son temps », dit-il encore. «En Irak, c’est comme s’il était toujours au Vietnam.» Hillary Clinton, au contraire, a tout ce qu’il faut pour faire un bon Président : tempérament, expérience, mentalité, bonne connaissance de la machinerie de Washington, envergure internationale et participation pendant 8 ans à la vie de la Maison Blanche. Et j’ajouterai que son long combat pour une couverture médicale universelle aux Etats-Unis, bien que conclu par un échec, montre qu’elle a aussi de l’opiniâtreté et un vrai sens social. Alors pourquoi serait-on malgré tout déçu ? Parce qu’entre-temps Obama est passé par là. L’obamania est devenu un phénomène planétaire plus important encore que la dianamania, parce que, dit-il, les nouveaux médias qui sont apparus depuis la disparition de Diana, vidéos sur YouTube, blogosphère, etc., ont décuplé l’ampleur du phénomène. Et pourtant…
«Si des doutes demeurent quant à l’expérience gouvernementale de John McCain et d’Hillary Clinton, ces deux-là font figure de George Washington et d’Abraham Lincoln, comparés à Barack Obama», dit Ash. L’inexpérience est flagrante, l’homme n’a jamais dirigé de grande organisation, il ne connaît rien aux rouages de Washington. Et puis il a beau essayer de singer Kennedy, clamer : «Yes, we can», l’économie exsangue de l’Amérique le ramènera aux réalités.
Depuis la parution de l’article de Timothy Garton Ash, Hillary a été éliminée de la course à la Présidence et Obama, dans son premier grand discours de diplomatie étrangère, a promis que Jérusalem sera la capitale d’Israël (même pour s’assurer les votes juifs américains, c’est le genre de déclarations qu’il vaut mieux éviter) et indiqué qu’il préfèrait la négociation avec l’Iran aux bombardements (ce qui ravit les ayatollahs, la culture persane voulant qu’on ne cède jamais rien quand on est en position de force tout en faisant semblant de négocier le plus sérieusement et le plus longuement possible). Et depuis il se propose d’envoyer les troupes qu’il a promis de retirer d’Irak sur l’autre champ de bataille, l’Afghanistan. Ce qui aurait probablement été une bonne idée tout de suite après le nine/eleven mais qui ne l’est plus au-jourd’hui, près de 7 ans plus tard, après la malencontreuse aventure irakienne, et quand on connaît l’histoire afghane et la présence de l’autre côté de la frontière du baril de poudre qu’est le Pakistan.
Denis Kessler, PDG de Scor, économiste et ancien Vice-Président du MEDEF, invité à un déjeuner au Club des Conseillers du Commerce Extérieur français en avril dernier, après avoir fait un exposé sur la situation apocalyptique de l’économie mondiale : «la crise économique et financière et la globalisation» («il vaudrait mieux que je vous parle après le déjeuner, je risque de vous couper l’appétit», a-t-il dit aux invités), donne son idée sur l’issue de la campagne présidentielle : «Je pense que les Etats-Unis éliront John McCain. Pourquoi ? Parce que, par une sorte de ruse de l’histoire, on élit toujours des généraux pour mettre fin aux guerres». Je sais bien que le gros Kessler préfère un Républicain aux commandes qu’un Démocrate. Mais je crains qu’il ait raison. Pour ce qui est de la victoire de McCain, non pour les raisons qu’il indique. La vraie raison selon moi c’est que les Américains ne sont absolument pas prêts à voter pour un Noir…
Tout ceci me fait penser à ce que nous avons vécu il y a peu en France. En octobre, novembre, on a vu apparaître la Ségolène, la royale, on a assisté, médusés, à sa montée en puissance, acclamée par les foules de France, appuyée plus encore par d’obscurs sympathisants que par des militants du Parti socialiste, et puis en janvier, février, on l’a entendue sonner les trompettes de Jéricho pour abattre les murailles du Parti défendues par son ancien compagnon, on a vu les caciques du Parti aussi interloqués que nous, se demandant, peut-être, comme nous : «après tout cela peut peut-être marcher ?». Jack Lang a été le premier à jeter l’éponge. Et puis on a vu Fabius qui n’avait de toute façon aucune chance, après sa campagne pour le non (mais semblait l’ignorer) et Strauss-Kahn, le seul qui pouvait battre Sarkozy ou au moins faire jeu égal, accepter un combat, pas loyal du tout, aux conditions de la Ségolène, et se faire éliminer de la course présidentielle… Dans les mois qui ont suivi on est revenus à la réalité. On a vu Ségolène se muer en nouvelle Jeanne d’Arc, brandir le drapeau tricolore, continuer ses incantations sur le changement et répéter les belles formules (sur ce plan-là elle a d’ailleurs gagné. Avec son gagnant-gagnant : depuis sa campagne, tous les politiques et les journalistes utilisent la formule au moins une fois par semaine). Et puis on a vu le dernier round : l’innocente Pucelle de Lorraine face à l’avocat retors de Neuilly. Et on a vu la vérité nue. Une femme qui ne connaissait pas ses dossiers (énorme erreur sur le nucléaire), qui restait dans l’irrationnel et le flou, alors que l’autre, qui n’est pourtant pas un grand intellectuel, déroulait sa rhétorique huilée et rationnelle, une femme qui se réfugiait dans une colère feinte à propos d’un aspect mineur, une histoire de handicapé physique ou mental, une femme qui s’est fait battre lors de ce débat, comme elle allait l’être un peu plus tard à l’élection, à plate couture, par près de huit points d’écart, ce qui n’allait pas l’empêcher de sortir saluer la foule (allez, encore un petit bain de foule…) et de vouloir aujourd’hui prendre les rênes du Parti pour vivre à nouveau toute cette expérience exaltante la prochaine fois…
Je ne sais pas si McCain va gagner les élections américaines. On le saura bientôt. Je ne crois pas non plus qu’Obama soit du même acabit que notre Ségolène. Il paraît plus brillant, plus lisse aussi, il a fait Harvard (mais le fils Bush aussi, alors…) et il est probablement meilleur débatteur que McCain. Mais si McCain gagne on pourra dire avec certitude que c’est la faute à l’Obamania. Car Hillary, elle, n’aurait pas été battue, j’en suis presque certain. De même que c’est la faute à la ferveur ségolénienne si Strauss-Kahn a été éliminé prématurément. Il n’aurait peut-être pas gagné. Il avait ses défauts. On dit que ce n’est pas un bourreau de travail. Et je ne lui pardonne pas de ne pas s’être opposé de manière plus forte aux 35 heures. Mais il avait ses chances, lui l’ancien Ministre de l’Economie, avec ses fortes relations internationales, et le résultat aurait certainement été beaucoup plus serré.
Au fond tout ceci pose une fois de plus le problème de notre démocratie. La France et les Etats-Unis sont les seuls grands pays occidentaux qui ont un régime présidentiel où les Présidents sont élus au suffrage universel (ce vieux système plébiscitaire qui avait tellement réussi à Napoléon le Petit). On savait déjà l’importance qu’avait la télévision pour donner la victoire à un candidat. Et qu’elle risquait de fausser le choix, de privilégier des critères qui tenaient plus à l’aura du candidat qu’à ses idées et la solidité de son caractère. J’ai l’impression qu’avec Obama et Ségolène nous avons franchi un nouveau pas. On s’en doutait déjà un peu lors des votes aux référendums européens de France, des Pays-Bas et récemment de l’Irlande. C’est un pas qui nous conduit sur les chemins aléatoires de la psychologie des foules (il faudrait réétudier Gustave Le Bon et passer ses théories au crible de l’internet). C’est un pas, en tout cas, qui ne va pas dans la bonne direction…
Post-scriptum (addition du 6 novembre 2008) : Obama a gagné. Je me suis trompé et j’en suis bien heureux. Je me suis trompé aussi bien sur l’issue de la campagne que sur Obama lui-même. Pour réussir comme il l’a fait il faut qu’il ait une sacrée intelligence et qu’il soit une sacrée personnalité. Je continue néanmoins à penser que si la crise n’avait pas été aussi profonde il aurait eu plus de mal à se faire admettre par les Blancs. Voyons maintenant la suite. Et puis, un peu plus tard, il faudra quand même analyser les moyens mis en œuvre. L’internet, le téléphone mobile, le marketing, et tout ça. Est-ce bon pour la démocratie ou non ?
Quand à la Ségolène, je n’ai pas changé d’avis. Surtout après son exhibition au Zénith!