(Conneries françaises encore)
Chômage – désindustrialisation
Qu’est-ce qu’on a pu entendre comme conneries il y a dix ans : la délocalisation est négligeable, les statistiques le montrent, le nombre d’usines délocalisées est faible. Et puis il faut passer au tertiaire, la fabrication c’est fini chez nous, c’est bon pour les pays en développement, notre économie doit devenir une économie de services. Enormes toutes ces conneries !
Il est évident que les services ne peuvent compenser les postes de travail perdus par l’industrie. Et beaucoup de services dépendent justement de l’industrie, donc, quand l’industrie disparaît, les services qui en dépendent disparaissent également. Et les services peuvent être délocalisés également. Encore plus facilement que les usines.
Désindustrialisation et délocalisation
Quant à la délocalisation de la production, il faut qu’un patron soit drôlement gonflé pour déménager dans la nuit toutes les machines d’une usine, les transporter en Roumanie et, le lendemain, fermer la porte au nez des ouvriers (remarquez, cela s’est vu !). Ce n’est évidemment pas ainsi que cela se passe. Or la délocalisation et la désindustrialisation ont pris des proportions particulièrement inquiétantes au cours de cette dernière décennie en France. Cela passe d’abord par la sous-traitance. Si une partie de la production d’une entreprise est sous-traitée quoi de plus facile que de remplacer le fournisseur français par un Polonais, un Tchèque ou un Roumain ? Or beaucoup d’industriels ont pris l’habitude, quand les choses allaient mal, d’externaliser une partie de leur production. Moi-même, après avoir vécu deux années particulièrement difficiles en 91-92 (dévaluation de 20% des pays de nos filiales commerciales : Italie, Angleterre, USA, Espagne, et importante crise dans la construction d’immeubles-tours pour bureaux), j’ai décidé qu’au moment de lancer de nouveaux produits on sous-traiterait un maximum de composants, conservant surtout l’assemblage final et évitant ainsi le cauchemar des licenciements en cas de retournement brutal de la conjoncture. Et j’ai vu que Potain, le fameux constructeur de grues à tour, avait même organisé autour de son usine historique de La Clayette deux ou trois cercles de sous-traitants avec lesquels il pouvait jouer de façon à conserver toujours une activité satisfaisante pour sa propre usine (aujourd’hui, Potain ayant été vendu par Legris à un Américain, l’usine de La Clayette est fermée !). La délocalisation commence donc d’abord par la délocalisation des sous-traitants. Et puis il y a la délocalisation silencieuse des grands groupes qui ont des usines dans des pays à coût du travail plus faible. Et, enfin, il y a la plus grande des délocalisations, quand les produits fabriqués localement sont remplacés par les produits concurrents importés de l’étranger.
Désindustrialisation et déclin de l'export
Autre phénomène qui a accompagné la désindustrialisation française : la détérioration dramatique de notre balance commerciale due avant tout à la chute de nos exportations. J’ai travaillé à l’international pratiquement pendant toute ma vie professionnelle. A Fives-Lille j’étais responsable de l’international au Département d’équipements sidérurgiques, suivi des projets en Belgique, Espagne, Roumanie et autres pays de l’Est, Brésil, USA, Canada, etc. et ai fait la coordination entre notre société et de grands groupes français, belges, allemands et autrichiens à l’intérieur de consortiums. A Dorr-Oliver j’ai suivi des projets dans les trois pays d’Afrique du Nord, en Yougoslavie et au Chili. Et dans le groupe Secalt-Tractel que j’ai dirigé on exportait pratiquement dans le monde entier et on avait des filiales dans une quinzaine de pays en Europe, en Amérique du Nord, en Amérique du Sud, en Afrique du Sud et en Asie. Et, en plus, au Luxembourg j’ai été pendant de nombreuses années Conseiller du Commerce extérieur de la France, et même Président de la section luxembourgeoise des Conseillers jusqu’à mon départ en retraite. Et j’ai assisté, avec beaucoup de tristesse, au cours des années 90, à la lente érosion de l’export et constaté, avec stupeur, que personne ne semblait réagir à ce phénomène et qu’il a fallu trois ans avant que la Direction parisienne des Conseillers se décide à organiser un Congrès spécialement consacré au problème, un Congrès organisé dans le luxe de Monaco et qui n’a évidemment donné aucun résultat. Je rappelle aussi à ce sujet que Madame Lagarde que tout le monde semble encenser en ce moment a été à l’époque Ministre du Commerce extérieur et qu’elle n’a strictement rien apporté à ce poste pour lequel elle n’avait d’ailleurs aucune compétence (pas plus que pour celui de patron du FMI d’ailleurs).
Quelles sont les raisons de cette débandade honteuse ? Elle n’est certainement pas due à nos vendeurs export. J’ai connu énormément de Français, délégués Export, responsables de zones, absolument remarquables, compétents, dévoués (mes vendeurs partaient le vendredi, pays férié en pays musulman pour y être à pied d’œuvre dès le samedi matin et mon responsable Asie, quand il était chez lui, le week-end, gardait son téléphone portable ouvert pour que nos agents de Singapour ou Taïwan puissent l’appeler à tout moment). Je prétends même qu’ils étaient capables de plus d’empathie pour le pays où ils étaient amenés à opérer que leurs concurrents allemands. Il y avait aussi une grande solidarité des Français à l’étranger : combien de fois on rencontrait des responsables export d’autres firmes, actives dans des secteurs voisins du nôtre (Verlinde, Potain, par exemple) et avec lesquels on échangeait des tuyaux. La France a, en plus, la chance de disposer d’un réseau unique de bénévoles, les Conseillers du Commerce extérieur français, des cadres supérieurs de Groupes français installés à l’étranger qui, non seulement ne sont pas rémunérés pour ce qu’ils font mais cotisent même (ou plutôt leurs firmes) pour avoir la chance de servir la France ! Ces gens-là sont souvent des relais utiles, au moins pour les gens qui font partie du réseau (ils ne peuvent évidemment pas recevoir tout le monde), et moi-même ils m’ont souvent aidé (au Japon où mon ami Ney, patron local de Bolloré, m’a procuré d’utiles introductions auprès d’autres firmes françaises, à Hong-Kong où j’ai pu ainsi rencontrer le patron de Bouygues pour l’Asie et l’Australie, en Malaisie, où un cadre de Technip m’a introduit auprès de Petronas, au Brésil où des Conseillers m’ont aidé à trouver un Directeur pour ma filiale locale, etc.). Un réseau d’ailleurs plutôt mal utilisé au sommet : au moment où j’ai quitté mon poste Paris demandait surtout au réseau de fournir des indications mensuelles de conjoncture !
Alors à qui la faute ? Je voudrais d’abord régler mes comptes avec nos postes diplomatiques et leurs attachés commerciaux. Mon groupe avait trois usines principales et chacune spécialisée dans un domaine d’activité spécifique, en France, en Allemagne et au Luxembourg (représenté sur le plan commercial et économique par la Belgique). Nous avons donc pu comparer à loisir l’efficacité des trois nations ! Quand l’ami Alain, notre Directeur marketing groupe, a téléphoné pour la 3ème fois au poste commercial français du Caire pour avoir leur assistance pour un stand à la Foire, il a entendu très distinctement l’attaché dire à sa secrétaire : dites-lui merde, merde, merde… Quand j’ai voulu rencontrer l’attaché commercial français à Tokyo je n’ai pu le voir que cinq minutes entre deux portes, celui de Hong-Kong je n’ai pas pu le voir du tout et, à Pékin, quand j’ai demandé au Conseiller le genre d’infos types dont toute entreprise moyenne a besoin pour travailler en Chine : liste des entreprises françaises installées dans le pays, liste des avocats recommandés, dernières dispositions juridiques en vigueur pour la création d’une filiale locale ou une joint-venture, derniers règlements douaniers pour l’importation, il m’a dit que lui ne fournissait plus ce genre d’infos et qu’il fallait s’adresser à la nouvelle Chambre de Commerce créée à Pékin où un jeune VSNE m’a accueilli et fourni une partie des documents demandés contre paiement cash ! Le lendemain, parlant parfaitement l’allemand et ayant dans ma poche ma carte de visite de gérant de notre filiale allemande, j’ai contacté l’Ambassade d’Allemagne, j’ai eu un rendez-vous dans la journée avec le Conseiller commercial et obtenu tous les renseignements demandés, avocats, règlements douane et création, et liste des firmes allemandes dans l’heure, et gratuitement ! L’Allemagne avait encore un autre avantage, ce sont les bureaux locaux du VDMA (Verein deutscher Maschinen und Anlagenbau), la Fédération des constructeurs de machines et biens d’équipement allemande (qui regroupe 3000 entreprises, moyennes pour la plupart). Ainsi j’ai été impressionné par l’importance en personnel et documentation de leur bureau de Tokyo. J’y ai trouvé tout ce que je voulais concernant les normes et règlements pour les matériels de levage de personnes que nous voulions introduire sur le marché japonais et on m’offrait de traduire dans les meilleurs délais, contre une contribution modeste, ceux des normes qui n’étaient disponibles qu’en japonais. Dans le temps notre Fédération de la Manutention française avait un délégué, un homme seul mais expérimenté, à Hong-Kong, mais il y a longtemps qu’il a été supprimé ! Et le VDMA a d’autres bureaux en Chine, en Inde, en Russie et au Brésil.
Quant aux Belges, on ne peut que tirer son chapeau. Dès le début des années 70 j’ai été épaté par l’aide que m’a apportée l’attaché commercial belge de Djakarta qui, au cours d’un séjour de quinze jours en Indonésie, n’a pas cessé de m’apporter son aide, organisant des rendez-vous et m’accompagnant la plupart du temps auprès des grandes entreprises de Java. Et 20 ans plus tard c’est l’attaché commercial belge de Tokyo qui m’a accompagné pendant toute une semaine pour des visites auprès de diverses sociétés du côté d’Osaka et de Kobé, certaines complètement perdues dans la campagne (je voulais voir si je ne pouvais pas trouver une société moyenne, active dans les matériels de construction, pour nous représenter au Japon, plutôt que les éternelles maisons d’import-export géantes). En Iran l’attaché commercial belge était un Libanais qui nous a beaucoup aidés là aussi, on a sympathisé avec lui et on a été très heureux de le retrouver plus tard au poste belge au Caire. Même les Ambassadeurs s’y mettaient chez les Belges. Quand on a voulu créer une usine de Tirfors en Turquie et que l’Administration nous a opposé un refus sous le prétexte qu’il y avait déjà un fabricant de ce genre de produits en Turquie (un Arménien, c’est dire, et qui nous avait copié, en plus) l’Ambassadeur belge, ancien para, a piqué une saine colère et nous a défendu jusqu’au bout (mais finalement l’affaire ne s’est pas faite et c’est d'ailleurs heureux !). Et quand l’ami Alain s’est rendu à Bagdad, en pleine guerre Iran-Irak, pour participer à une foire, et qu’il n’a pas réussi à avoir une chambre d’hôtel, l’Ambassadeur est venu le chercher en voiture, en personne, et l’a fait coucher à la Résidence. Même que la femme de l’Ambassadeur lui a apporté le petit-déjeuner au lit, raconte-t-il. Mais là je crois qu’il galèje (Alain est un Breton né dans le midi).
Mais ce n’est évidemment pas la piètre organisation diplomatique française sur le plan économique qui peut expliquer notre chute à l’export (d’autant plus qu’elle l’a toujours été, mauvaise, et qu’au contraire, plusieurs Présidents, plus modernes, ont essayé de convertir le Quai d’Orsay au commercial). Qu’est-ce qui nous différencie donc de cette Allemagne qui n’a cessé de faire exploser sa balance commerciale ?
Une première différence de taille : le nombre d’entreprises moyennes allemandes. Je n’ai pas les chiffres en tête mais on ne parle pas d’un rapport de un à deux entre France et Allemagne, mais plutôt de 1 à 3 ou 4. C’est énorme. Car ce sont elles qui sont les grandes exportatrices allemandes. D’où vient ce déséquilibre ? Mystère. Du plus grand esprit d’entreprise des Allemands ? De la continuité de ces entreprises dont la plupart sont des entreprises familiales ? De la fiscalité (fortune, succession) ? Du fait qu’elles ont le plus souvent la forme juridique d’une SARL (même une grande entreprise comme Bosch est une GmbH) ? Je ne le sais. Et je n’ai pas à le savoir, il y a des experts pour cela. Le résultat en tout cas est là. Est-ce que notre fiscalité a longtemps incité les chefs d’entreprise à vendre leurs usines à des grands groupes ou à des étrangers ? Yvon Gattaz qui n’arrêtait pas de se battre, avec l’Association des Entreprises moyennes patrimoniales qu’il avait créée, pour que l’on supprime les droits de succession pour les entreprises familiales, en était persuadé. Et je crois qu’il a partiellement réussi (et voilà que son fils qui n’a rien fait si ce n’est hériter de l’entreprise, Radiall, créée par son Centralien de père, joue au patron dur et pur, augmentant son salaire de 30% tout en demandant le gel des salaires des autres et propose un sous-smic !).
Désindustrialisation et stratégie d'entreprise
Je crois que la réussite allemande s’explique surtout par une question de culture. De culture de l’entreprise. Dès mes débuts professionnels j’ai été frappé par le fait que les patrons des grandes boîtes allemandes (ou autrichiennes ou suisses) que j’ai été amené à connaître, ceux de Demag, Mannesmann, Vöst, Schloemann, etc. étaient pratiquement tous passés par la production et savaient de quoi ils parlaient. A Fives la Direction constituait un triumvirat composé d’un Président, X, venu de Sud-Aviation, d’un Directeur financier placé là par Paribas, l’actionnaire de référence, et de Claude Sapin, père de notre Ministre actuel Michel Sapin. Ni le Président ni le Directeur financier ne connaissaient grand-chose à l’aspect technique de nos activités. Un jour que je me trouvais avec le Président dans la voiture qui nous amenait à une réunion où nous devions créer un consortium pour suivre un projet important d’usine sidérurgique il me demande : « on sait faire ? » « Oui, Monsieur le Président », lui ai-je répondu. « On a déjà fait ? » il me demande alors. « Non Monsieur ». « Donc on ne sait pas ». Comme nous avions tous été engagés pour démarrer une activité d’engineering sidérurgique dans une société dont les principales activités jusqu’ici étaient la sucrerie et la cimenterie, je ne vois pas comment on pouvait « avoir fait » avant de commencer à faire. Quelques années après mon départ, au cours des années 70, ce fameux trio a eu l’idée saugrenue de se diversifier dans la distribution de matériel électronique ! En faisant confiance à un margoulin, ancien de Darty, en donnant une garantie sans limite pour les emprunts que le margoulin allait faire et perdre dans l’affaire des milliards d’anciens francs au point même que les administrateurs ont été eux-mêmes poursuivis par les créanciers (et on a même raconté que Claude Sapin y a perdu sa maison !). Fives s’en est sorti en vendant tout son immobilier, réduisant dramatiquement son activité et se mariant avec Babcock. Aujourd’hui ils ne font plus que des fours. Et quelques années plus tard c’est son grand rival, Creusot-Loire, pourtant gouverné par une horde de polytechniciens, qui a déposé son bilan. Monsieur Schneider s’est retourné dans sa tombe et la France n’avait plus de construction mécanique lourde.
Si le patron d’une entreprise n’a pas son produit constamment en tête, s’il ne le comprend pas, c’est qu’il n’a pas de stratégie d’entreprise car le produit est au cœur de la stratégie. J’avais inventé, à mon humble niveau, le triangle magique de la stratégie d’entreprise : aux trois sommets, marketing mondial, maîtrise des coûts et innovation technologique (l’innovation un peu pour la frime car elle ne se décrète pas) et au centre du triangle, le produit. Or s’il n’y a pas de stratégie d’entreprise il n’y a pas de survie assurée. C’est la première chose que j’ai apprise en devenant patron d’une PME. L’entreprise est une entité vivante et comme l’être humain il est essentiel de se poser les trois questions fondamentales : qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ?
Je crois sincèrement que nous avons un déficit dans ce domaine en France. Je pourrais citer de nombreux exemples, tant chez les petits que chez les grands. Voyez Moulinex par exemple. Une société exemplaire au premier abord : des ustensiles de cuisine astucieux, un domaine porteur, des acquisitions à l’extérieur (l’Allemand Krups p. ex.) et puis une erreur : on se lance dans les fours micro-ondes et on n’arrive pas à maîtriser la technologie. Une erreur qui aurait pu être corrigée sans problème si on n’avait pas fait une autre erreur : le PDG, je crois qu’il s’appelait Mantelet, peut-être le fondateur de la boîte, avait dépassé les 80 ans et n’avait aucun successeur, n’avait pas préparé sa succession, les cadres capables de lui succéder, lassés, avaient fini de quitter l’entreprise. Dépôt de bilan et reprise partielle de certaines activités par quelques concurrents, dont SEB. D’un autre côté vous avez, dans le même domaine, des gens qui ont une stratégie, Le Creuset et SEB, justement, avec sa marque Tefal, et qui réussissent. Même en Chine ! Ce manque de stratégie on peut le trouver aussi chez certains grands, on l’a vu pour Fives et Creusot-Loire, et je pense que le problème est le même pour nos deux constructeurs automobiles. L’autre jour j’ai feuilleté une revue automobile allemande : ils avaient réalisé un classement des grands constructeurs de toutes les nationalités présents sur le marché allemand, après avoir consulté utilisateurs et professionnels. Renault et Peugeot étaient classés bon derniers. La honte, quand on pense ce qu’a représenté à un moment donné notre construction automobile, l’inventivité, la traction avant, la DS (prisée en Suisse, en Allemagne, dans les pays du Benelux), la 2 Chevaux, la 4 Chevaux, la Clio, l’Espace, la réputation de robustesse et de fiabilité de Peugeot, sa présence en Afrique ! Qu’a fait Ghosn, avec son salaire mirifique pour Renault ? Remettre à flot Nissan. Et si la société survit, bien, aujourd’hui, c’est grâce à Nissan et à Dacia (qui n’est pas son idée à lui, il était même contre, c’est l’idée d’un Dirigeant modeste et humaniste qui s’appelle Schweitzer). Quelle est la politique de modèles de Renault ? Minable. Et Peugeot ? Qu’ont-ils fait de Citroën ? La DS était un vrai haut de gamme, pas la ligne DS qu’ils cherchent à développer depuis un certain temps, vrai bling-bling, et qu’ils sont même en train de séparer de la marque Citroën pour en faire une marque séparée (on prend les clients pour des cons). D’ailleurs un haut de gamme c’est une grande voiture, une routière, pas une voiture moyenne ou alors une voiture de sport, de luxe. Qu’ont-ils fait de la DS ? Ils lui ont fait suivre la CX, belle mais pas fiable, puis la XM, fiable mais pas belle. Et puis plus rien pendant 5 ans, c’est-à-dire interruption du haut de gamme pendant cinq ans ! Il faut le faire ! Mépris total du client, du fan de la marque (j'en suis un, d'où ma colère). Et puis, enfin, on sort la C6, excellente grande routière, d’une finition jamais connue auparavant chez Citroën, 10000 Euros moins chère que ses concurrentes BMW et Mercedes, et puis… on est incapable de la vendre, marketing zéro, fin du haut de gamme français ! Pour la première fois, écrivent les journaux, Peugeot, avec Tavarès, ce type à qui Ghosn, jaloux de son pouvoir n’a pas voulu céder sa place, Peugeot, dis-je, aura un dirigeant qui s’y connaît en automobile. Bonne chance (je crois que Tavarès se connaît surtout en économies).
Je ne voudrais pas faire croire que tout est parfait chez les Allemands. Eux aussi peuvent faire des erreurs incroyables. Je vais vous raconter l’histoire de Mannesmann dont j’ai eu l’occasion, à deux reprises, de rencontrer personnellement le patron suprême, un personnage super-intelligent et retors, je crois qu’il s’appelait Pedersen. Mannesmann était un sidérurgiste qui avait déjà trouvé un créneau : le tube, du plus petit, celui d’échafaudage jusqu’au plus grand, le pipe-line. Une boîte d’hydraulique et puis une invention, la coulée continue de l’acier, une invention importante et qui allait révolutionner l’industrie sidérurgique dans les années 60 au même point que celle de l’aciérie à l’oxygène inventée par les Autrichiens (acier LD, Linz-Donau). Pour la construction des installations de coulée continue Mannesmann accorde la licence à Demag. Ce qui leur donne l’idée, plus tard (ils avaient gagné beaucoup d’argent avec les pipe-lines), d’acheter tout Demag. Le groupe de mécanique le plus important d’Allemagne puisqu’il est à la fois un grand de la mécanique lourde (matériels d’aciérie, laminoirs, ingénierie) et un grand du levage (des petits palans électriques aux ponts-roulants lourds et aux énormes grues mobiles). Et puis eux aussi sont obnubilés par ce qu’ils croient sera l’avenir : l’électronique, la communication, et ils achètent le réseau téléphonique de la Bundesbahn et se mettent à fabriquer des téléphones portables. Je me rappelle avoir rencontré à Munich un membre de la Direction de Mannesmann et qui dirigeait les activités régionales, bavaroises, du groupe, dont leur activité d’installations permanentes de maintenance des façades qui était à vendre (on avait, en partant de rien, réussi à leur souffler la première place du marché mondial). Il n’arrêtait pas de m’expliquer que ce serait là la grande activité future du groupe. Et cela a effectivement tellement bien marché qu’un groupe de téléphonie anglais, je crois que c’était Vodaphone, a lancé une OPA hostile (une première en Allemagne) sur tout le groupe Mannesmann, a absorbé leur activité téléphonique et vendu tout le reste du groupe par appartements. Demag a eu la chance d’être repris (et encore, que partiellement, je crois) par Siemens. Fin de la saga Mannesmann. Bon, ce n’était pas la fin de la construction mécanique en Allemagne, Demag a plus ou moins survécu et d’autres groupes survivent plutôt bien comme Thyssen-Krupp et GHH-Schloemann-MAN, etc.
Désindustrialisation : nos élites, notre finance
Alors, revenons à la France. Si j’ai raison, s’il y a vraiment un déficit en France, sur le plan de la stratégie d’entreprise, par rapport aux Allemands, quelles en sont les raisons ? La première raison est celle que j’ai évoquée ci-dessus : si le produit est au cœur de cette stratégie il faut l’aimer, le produit. Il faut aimer la technique ou, au moins, s’y intéresser. Question de culture. A se poser la question de nos élites. Qui sont-elles ? Comment pensent-elles ? N’y a-t-il pas une véritable faillite de nos élites françaises ? Voyons le cas de l’incroyable Monsieur Messier. Quand il est placé à la tête de la CGE il n’a aucune expérience industrielle mais il est X, ENA et Inspecteur des Finances. A priori il a donc une bonne intelligence, au moins abstraite (l’X) et devrait s’y connaître en chiffres (Inspection des Finances). Que lui apporte l’ENA ? Je ne comprends pas (encore une connerie typiquement française) : on a créé l’ENA pour avoir un vivier de hauts-fonctionnaires, que font les Enarques dans la politique (Hollande puise tous ses proches non seulement à l’ENA mais dans sa propre promotion) et dans l’industrie ? La Compagnie générale des Eaux est comme la Lyonnaise des Eaux une vieille dame du XIXème siècle dont la richesse vient de la distribution des eaux, les deux se sont mariées avec des groupes de la construction, Dumez pour la Lyonnaise, la SGE pour la CGE. Et elles se sont diversifiées, logiquement, dans le traitement de l’eau et puis dans celui des ordures. Trois activités superbes, avec l’eau, croissant avec la population, il n’y avait plus qu'à croître sur le marché mondial. La Lyonnaise s’intéresse à la distribution d’électricité, fusionne avec Suez devenue GDF-Suez ? Excellent choix. Que fait Jean-Marie Messier ? Il ne s’intéresse absolument pas aux activités traditionnelles de la CGE, il veut Hollywood. Il est pris de mégalomanie maladive, c’est J4M, Jean-Marie Messier, Maître du Monde, se fait acheter par son groupe un duplex de 530 m² pour 19.4 millions de dollars au cœur de Manhattan et lui, achète des sociétés prestigieuses sans compter, sans vérifier, lui, l’Inspecteur des Finances, si son plan de financement tient la route, et puis c’est la chute, la quasi-faillite. Et il sort en pleurant de ses bureaux, saluant ses collaborateurs et envoyant un mail d’adieu à tous ses salariés dont ma fille Francine, qui travaillait alors au service publicité d’Universal-Musique. C’était J3M, Jean-Marie Messier Minable. Mais on connaît tout cela. Les journaux en étaient pleins à l’époque. Qu’est-ce qui l’a rendu si sûr de lui (et si con) à l’époque ? Ses diplômes ? Et qui est-ce qui l’a placé à ce poste ? Un petit groupe de dirigeants du CAC 40, toujours les mêmes (en plus de l’homme de l’homme de l’ombre, Alain Minc), administrateurs des mêmes sociétés, et qui continuent à s’auto-générer. Ce n’est pas seulement la faillite de nos élites mais aussi celle du Système.
Alors il ne faut pas s’étonner que ces élites fassent passer d’autres considérations avant le produit. Et d’abord la finance. Les actionnaires font-ils leur travail convenablement ? Le peuvent-ils ? Ne sont-ils pas eux-mêmes dépassés par les considérations financières? Je vais prendre l’exemple d’une société moyenne, Potain, une société que j’ai suivie de très près. Le fondateur était l’un de ces inventeurs de la région Lyon-Saint-Etienne-Centre comme ce Faure qui avait inventé notre Tirfor. Belle idée cette grue à tour, indispensable pour tous les chantiers de quelque importance. En Allemagne on a Liebknecht. Qui était le premier ? On s’en fout, là n’est pas la question. Et aux Etats-Unis la grue à tour est inconnue, remplacée par la grue mobile. On s’en fout encore. Potain vit des heures de gloire en Iran à l’heure du Shah, Téhéran, je m’en souviens, grouillait de grues Potain. Je crois qu’à un certain moment ils y envoyaient 40% de leur production. Voilà que le fondateur meurt. Je ne sais pas ce qui s’est passé dans la famille. Voilà, en tout cas, que la société est dirigée par un polytechnicien, il y a retournement de situation, le dirigeant fait une erreur, donne une licence de fabrication à une entreprise chinoise, avec l’espoir de leur vendre des composants, et voilà que bientôt ses plans sont copiés par d’autres entreprises chinoises et que Potain se voit confronté à la concurrence de trois fabricants chinois à la fois qui l’attaquent durement en Asie. Et puis Potain est endetté lourdement. Le banquier s’inquiète. Le Président siège au Conseil économique et social. Son nom commence par un L. Son voisin est Pierre Legris, un Quat’zarts qui a créé un très beau groupe multinational de PME avec des joints et raccords hydrauliques. Ah, vous êtes industriel, dit le banquier à Legris, j’ai une énorme épine dans les pieds et il lui raconte les difficultés de Potain. Pas de problème, laissez-moi voir les bilans, dit Legris. Catastrophique, dit Legris au banquier, mais je veux bien vous aider, je rachète la dette que Potain a envers vous à un prix cassé et je reprends Potain pour zéro Francs. L’histoire est véridique, elle m’a été racontée d’abord par le Polytechnicien (c'est au moment-même où j’avais réussi à rétablir la situation, me dit-il) et ensuite par le bras droit du fils Legris, un certain Jacob. Il paraît que Legris s’est même vanté d’avoir eu Potain non pour zéro mais pour un montant négatif ayant réussi à tirer un profit de la dette rachetée à la Banque. Plus tard nous sympathisons avec la nouvelle direction, comparons nos réseaux, nos produits, nos projets et je suis tenté de nous rapprocher d’eux. Beaucoup de raisons militent en ce sens. Alors je vais voir le fils Legris chez lui en Bretagne, drapeau breton de 4 mètres tombant du plafond de l’immense hall d’entrée, accueil très sympathique, très ouvert. Avant de continuer notre approche, je lui dis, j’aimerais connaître vos intentions futures, resterez-vous actionnaire à terme ? Je ne peux rien vous promettre, me dit-il. Je ne suis pas seul, j’ai une famille, c’est la majorité qui décidera. Le remerciant de sa franchise, j’arrête nos pourparlers. Et une année plus tard j’apprends que Legris a vendu Potain au groupe américain, matériel minier et levage lourd, Manitowoc. Gros avantage pour Manitowoc qui n’a aucune organisation d’export dans le monde à part l’Amérique du Sud. Avantage pour Potain : zéro. Il n’y a pas de grues à tour sur les chantiers américains et personne n’est capable de faire changer les habitudes de travail traditionnelles dans la construction américaine. J’en sais quelque chose ! Moins de dix ans plus tard, après trois plans de licenciement, l’usine historique de La Clayette est fermée. Au moment de la fermeture de l’usine je vois sur le net que le délégué syndical de La Clayette dit la même chose que moi au début de cette note : « On ne pourra pas vivre demain qu’avec les activités du secteur tertiaire… Il va falloir prendre conscience que la vie économique et sociale se structure d’abord autour de l’emploi industriel… D’ailleurs quelles activités tertiaires pourront survivre en l’absence d’industries ? Il n’y a pas besoin d’avoir fait Sciences Po pour que ça tombe sous le sens ! ».
Il est possible qu’il y ait un vrai problème d’actionnariat en France. C’est aussi un pays où la finance a eu un rôle plus important qu’en Allemagne. Alors que là, on se méfie des jeux financiers. J’ai parlé plus haut des OPA. Je pourrais aussi parler des LMBO, encore des solutions peu pratiquées en Allemagne. Chez nous elles ont fleuri à partir de la fin des années 80. A l’époque le LMBO (Leverage Management Buy-out) semblait être une solution idéale quand le propriétaire d’une entreprise n’avait pas d’héritier capable de prendre sa suite et qu’il se proposait de céder son entreprise à un cadre ou un groupe de cadres en association avec des investisseurs spécialisés et en faisant appel à un financement bancaire, la dette étant reprise d’une manière ou d’une autre par l’entreprise elle-même. Donc d’un côté on se payait sur la bête (le levier L) mais c’étaient les cadres (les managers M) qui étaient censés piloter l’opération et qui devaient savoir jusqu’où l’entreprise pouvait être raisonnablement endettée. Tant que cela se passait de cette manière la solution pouvait être viable. Je l’ai moi-même pratiquée avec d’autres dirigeants de mon groupe et un ami qui disposait de certaines ressources et, ensemble, nous étions majoritaires et nous pouvions tenir la dragée haute à nos financiers (et nous avons ainsi tenu pendant 11 ans). Mais très vite les groupes financiers spécialisés ont compris qu’il fallait réduire la part des managers à la portion congrue (maximum 10% du capital) et qu’eux-mêmes devaient sortir rapidement (moins de 5 ans) de l’affaire en réalisant une plus-value substantielle pour satisfaire les propriétaires véritables des fonds qui leur avaient été confiés et qui demandaient un retour de 20% par an. Ce qui imposait aux dirigeants, quoi que puissent raconter les uns comme les autres, de gérer l’entreprise selon une vue à court terme. Or il n’y a pas de stratégie d’entreprise concevable et compatible avec des vues à court terme !
Désindustrialisation : autres raisons encore...
Je voudrais revenir encore une fois à un aspect de la stratégie d’entreprise évoquée déjà longuement, celui du produit. Il y a une autre particularité française qui distingue la France de tous les autres pays européens, c’est la centralisation, c’est la prépondérance de Paris sur le plan politique et économique. Cette particularité a fait que de très nombreuses entreprises françaises avaient leurs usines en province et leurs têtes à Paris (et l’ont encore aujourd’hui). Ce qui n’existe évidemment pas en Allemagne, les entreprises moyennes ont leurs sièges là où se trouve leur usine principale, même les grandes entreprises ont leurs Directions générales situées dans des métropoles régionales proches de leur usine principale, Düsseldorf, Duisbourg, Cologne, Francfort, Munich, etc. On a prétendu que cette particularité est une des raisons de l’incompréhension qui règne en France entre dirigeants et syndicats. Je crois que c’est également un élément qui pourrait expliquer le fait que beaucoup de dirigeants français sont moins impliqués dans la politique produits de leur entreprise (eux se trouvant à Paris et leurs usines et bureaux d’études en province). J’ai eu l’occasion, lors d’une réunion d’anciens de HEC à Reims dont j’étais l’invité, à assister à une brillante défense de l’enracinement des entreprises (avec leurs sièges) en province par Lachmann qui dirigeait alors le groupe Strafor-Facom (succédané des Forges de Strasbourg) (Lachmann était un dirigeant remarquable qui a été nommé, plus tard, PDG de Schneider Electrique). Je ne me souviens plus en détail de tous les éléments de sa plaidoirie mais je suis à peu près certain que les avantages qu’il y voyait étaient les mêmes que les miennes. Tout ce qu’il demandait en échange aux métropoles régionales, c’est de fournir un environnement favorable pour ses cadres (culture et universités) et des connections aériennes satisfaisantes (sur ce dernier plan Strasbourg, à l’époque, était nul).
Avant de finir cette note sur ce que j’ai appelé les conneries françaises (mais, attention, c’est pas fini, il y en encore d’autres, j’y reviendrai), je voudrais dire quelque chose à la décharge des dirigeants d’entreprises françaises, et surtout à ceux des PME. Rien n’a été fait, tout reste à faire pour ce qui est de la simplification administrative, juridique, fiscale, sociale en France. Quand j’ai voulu comparer les charges patronales entre nos filiales européennes, il m’a fallu 5 pages pour expliquer le système français. Une demie-page a suffi tant pour l’Allemagne que pour le Luxembourg. Nous avions deux filiales d’importance comparable en France et en Allemagne. Le dirigeant français passait dix fois plus de temps aux tâches administratives, juridiques, fiscales et sociales que son collègue allemand. Rien que pour ce qui est du social : le gérant allemand ne voyait ses délégués que s’il y avait un problème (en général une question d’horaire de travail) et ne leur remettait même pas le bilan annuel bien qu’il y était en principe obligé par la loi. Le Français, lui, perdait pratiquement une journée entière pour présider le Comité d’Entreprise mensuel (sans compter le temps nécessaire pour s’y préparer). Plus de nombreuses séances, chaque année, pour la renégociation salariale. Et malheur s’il y a conflit, difficultés, mise en alerte, etc. Du côté allemand les négociations salariales étaient conduites au niveau patronal avec l’IG-Metall de Rhénanie du Nord – Westphalie. Une fois les accords signés il n’y avait plus qu’à les appliquer dans les entreprises. C’est toute la différence entre l’esprit de conciliation à l’allemande avec la présence d'un syndicat puissant er responsble et la situation française où un patronat, toujours très à droite, combat des syndicats faibles (7% des ouvriers syndiqués) et toujours divisés entre les trois clans communistes, socialistes et chrétiens sociaux (et, depuis un bon moment déjà, les syndicats gauchistes de Sud). Conneries françaises ! Et pendant tout ce temps perdu, eh bien on oublie de s’occuper du produit…
Mais je n’en ai pas fini avec le chômage et avec Hollande. Et avec l’Europe. Car là aussi que de conneries ! A la prochaine…