Le Bloc-notes
de Jean-Claude Trutt

La Montagne magique

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J’étais encore assez confiant quand je suis parti à l’hôpital pour me faire charcuter ma hanche. Confiant, au moins, en mes capacités intellectuelles, puisque je suis parti avec un gros bouquin en anglais, Adventures of a younger son, de mon ami Edward John Trelawny, celui qui prétendait avoir vécu une vie de pirate, amoureux fou d’une jeune Malaise, et dont je parle à propos de Hugo Pratt dans mon Voyage autour de ma Bibliothèque (voir Voyage littéraire avec Hugo Pratt et Corto Maltese  au tome 5 de mon Voyage). Mais, très rapidement, une fois revenu dans ma chambre après le charcutage, fatigué par la perte de sang, par la douleur aussi, ou simplement déprimé par l’ambiance de l’hôpital, j’ai passé mon temps à dormir, à regarder la télé ou à lire les policiers que m’apportaient mes enfants. Et quand je suis rentré dix jours plus tard à la maison, j’ai continué à déprimer. Aujourd’hui encore, 5 semaines après l’opération, je déprime, toujours incapable de marcher sans mes béquilles.
Et puis j’ai vu un film à la télé qui nous parlait de Davos et nous montrait le Grand Hôtel, qui avait été un sanatorium, dans le temps, celui-là même, nous disait-on où la femme de Thomas Mann avait passé 6 mois et où l’écrivain, en visite, avait consciencieusement rassemblé toutes les  informations nécessaires pour sa Montagne magique. Alors j’ai pris une grande résolution. A la fois parce que je commençais à avoir un peu honte de mon interlude policier et aussi pour m’excuser auprès de ce vieux Thomas dont je n’avais jamais lu ni son Buddenbrooks, ni sa Montagne, alors même qu’on dit que ce sont là ses deux chefs-d’œuvre. Et que le grand critique littéraire germano-polonais Marcel Reich-Ranicki, que j’ai beaucoup estimé et qui avait été, à un moment donné, le véritable Pape de la littérature germanique outre-Rhin, disait qu’il était le plus grand virtuose de la langue allemande depuis Goethe (voir ce que j’en dis dans mon Voyage, au tome 5, au chapitre Marcel Reich-Ranicki). Alors j’ai sorti le Zauberberg de ma Bibliothèque et je me suis mis à le lire (en allemand, 870 pages) et même le lire jusqu’au bout. Bien qu’à plusieurs reprises j’ai eu envie d’abandonner. Car si Thomas Mann manie effectivement cette langue allemande avec une maîtrise absolue, je dirais même acrobatique, on a souvent l’impression, dans les dialogues, les considérations pseudo-philosophiques, que c’est tellement acrobatique que cela tourne à vide.
On connaît le thème de base du roman : le jeune hanséatique Hans Castorp vient passer trois semaines au sanatorium de Davos pour rendre visite à son cousin qui y est hospitalisé, mais découvre qu’il est lui-même malade et y reste finalement 7 ans, jusqu’au déclenchement de la première guerre mondiale, ce qui met l’histoire en perspective avec le temps réel (d’ailleurs on parle beaucoup de temps dans cette histoire, de la perception du temps, etc. Et le roman est bourré d’allusions poétiques, mythiques aussi : ainsi les 7 ans font penser au nom donné au loir en allemand : Siebenschläfer, un animal qui dort sept mois, ainsi qu’à la légende des sept dormeurs d’Ephèse, les sieben Schläfer en allemand. Or on verra que Hans Castorp passe ces sept ans au Sana comme s’il était dans un état de sommeil, en-dehors de la vraie vie, du monde réel, qui est en général désigné sous le nom de Flachland, le plat pays). Alors, pour en revenir au thème : le roman est, entre autres, une parodie du roman de formation. Ici la formation visée est celle du jeune ingénieur Castorp, garçon passablement simple d’esprit, et qui sera toujours aussi simple à la fin de sa « formation » (j’ai la nette impression que Thomas Mann considère les ingénieurs comme systématiquement simples d’esprit par nature, ce qui me chagrine un peu). D’ailleurs je me suis souvent demandé si le gros de l’œuvre de Thomas Mann n’était pas de nature parodique (peut-on dire parodique ?). Et que c’est justement ce que je n’aime pas chez lui. C’est d’ailleurs la raison qui a fait que je n’ai jamais voulu aborder son cycle sur le Joseph de la Bible. Quand j’ai parlé de Thomas Mann dans ma note sur Reich-Ranicki, j’ai cité son Felix Krull (Bekenntnisse des Hochstaplers Felix Krull) et j’avais écrit ceci : Thomas Mann, dans ses Journaux, nous apprend Reich-Ranicki, trouvait que la fin était « honteusement faible ». Elle n'est pas faible, elle est nulle ! D'ailleurs je trouve que tous les personnages manquent de psychologie. Est-ce que la fameuse ironie mannienne n'aurait pas tendance à créer des caricatures ? Mais c'est probablement voulu. Une aimable pantalonnade, puisque le père et mari des deux femmes dont Krull tombe amoureux à Lisbonne s'appelle Kukuck (cocu ?). Mais comme roman de la maturité c'est raté. Quant à la fameuse virtuosité de la langue, on la trouve bien sûr dans de nombreuses descriptions : le magasin de Delikatessen de sa ville natale, les vitrines de tous les magasins de Francfort, la représentation du cirque à Paris, le Musée d'Histoire Naturelle de Lisbonne, etc. Des descriptions qui nous lassent et qui ne nous intéressent plus. Est-ce cela qui fait que d'aucuns considèrent Thomas Mann comme un écrivain du passé ? Ou un écrivain dépassé ?
C’est exactement l’impression que j’ai eu après avoir terminé la lecture du Zauberberg. De tous les personnages qu’on nous présente dans ce roman, il n’y en a qu’un qui paraît authentique, c’est celui du cousin de Castorp, Joachim Ziemssen. Il a le caractère sérieux des familles hanséatiques de Hambourg. Il est renfermé, ne se livre guère, il est pudique (il est peut-être amoureux d’une jeune fille en cure mais ne se déclare pas). Et il est triste parce qu’il est conscient que sa maladie l’empêche d’avoir la vie militaire qu’il voudrait tellement vivre. Et, peut-être aussi, parce qu’il se sent condamné. Et puis, un beau jour il décide de s’évader de la vie d’en haut, de descendre, malgré les menaces de ses médecins, dans le « plat pays », de se réengager dans l’armée, de vivre, pendant un court moment, la vie dont il a rêvé, et puis la maladie gagne la partie, il remonte là-haut et va rencontrer la mort. Voilà. Et tous les autres personnages ne sont que des pantins. Une fois de plus.
Et d’abord les deux « maîtres » qui se disputent l’élève Hans Castorp. Settimbrini, l’Italien, humaniste, démocrate, franc-maçon, fils de carbonari, optimiste invétéré, et Naphta, le juif devenu jésuite (léger parfum d’antisémitisme chez Thomas Mann qui a pourtant épousé une juive et admire sa belle-famille), opposé en tout à Settimbrini, ennemi de la liberté, de la société moderne, adepte de l’autocratisme qu’il soit religieux ou socialiste. Leurs controverses qui passent d’ailleurs la plupart du temps au-dessus de la tête de Castorp, se déroulent sur des pages et des pages et, n’en déplaise au grand Thomas Mann, me paraissent souvent vaseuses au possible, je dirais même chiantes au plus haut point (il faut dire que Thomas Mann, avant l’arrivée de Hitler, était plutôt nul en politique, vaguement de droite, incapable de comprendre comment son frère Heinrich pouvait prendre des positions à ce point radicales !). Tout aussi caricatural, le planteur hollandais enrichi par l’exploitation coloniale, Pepperkorn, qui personnifie, peut-être, avec la belle Claudia Chauchat, aux yeux kirghizes, qu’il entretient et dont Hans Castorp est éperdument amoureux, l’hédonisme ou tout simplement la bêtise bourgeoise (je n’en sais rien) : il oscille entre un parler en onomatopées et, quelques fois, des phrases qui semblent signifier quelque chose, et Hans Castorp l’admire parce que c’est « une personnalité ». Plus caricatural, tu meurs !
Quant aux élucubrations de Hans Castorp (ou de l’auteur) sur le temps, ou sur tous ces multiples sujets pour lesquels Hans Castorp semble tout à coup se passionner, les traitements de la tuberculose, la flore de montagne, la musique, l’astronomie, etc. et qui sont censés figurer, je suppose, l’avancement de la fameuse « formation » du héros, elles sont en général aussi vaseuses que les diatribes de Settimbrini et de Naphta.
Mais là je m’arrête avec ma critique, pour en venir à ce que j’ai admiré (oui, quand même). Et d’abord ce sentiment de la proximité de la mort, de sa présence presque constante. Elle s’impose dès le premier jour, dès l’arrivée de Castorp (quand on lui explique que sa chambre vient d’être libérée – et désinfectée – après la mort du patient précédent). La mort est là, en filigrane. Et Thomas Mann la fait sentir avec beaucoup de finesse, de discrétion. Une discrétion qui est de toute façon de règle dans l’établissement. On n’en parle pas. Et les morts sont évacués la nuit. J’ai d’ailleurs admiré toute la description de l’ambiance du sanatorium, les gens gavés par la nourriture (un repas toutes les 2 heures), l’excitation continuelle (érotique ou carrément sexuelle), la vie couchée (les cures de repos couché, le matin, lors de la sieste, en fin d’après-midi encore), la présence du froid (l’air soi-disant bénéfique de l’air de la montagne).
Or, bizarrement, alors que Thomas Mann a écrit son roman dans les années 20 et qu’il est supposé se passer entre 1907 et 1914, moi, j’ai encore connu des malades tuberculeux après la deuxième guerre mondiale, des malades que l’on soignait dans des sanatoriums à la montagne. D’ailleurs même moi, le bazille de Koch m’a attaqué, c’était pendant le deuxième trimestre de ma classe de cinquième (c’était au début de 1947), le chirurgien Kessler de Haguenau (celui-là un vrai boucher) m’a coupé dans les ganglions, j’ai manqué ma classe presque tout le trimestre, on m’a gavé moi aussi (ma grand-mère : cervelles au beurre noir, soupes de flocons d’avoine avec tartines beurrés, et même le cognac aux œufs, le fameux lait de poule) et on m’a envoyé à la montagne, à Luttenbach dans la vallée de Munster où mon oncle et ma tante étaient venus s’installer, juste après la guerre, chez un paysan, loin de tout, et où j’ai descendu en luge tout le chemin du col du Kahlewase (le petit Ballon) jusqu’au village… Je me souviens aussi que la mère de mon ami Pierre Muller passait une grande partie de son temps en sanatorium, j’allais souvent jouer chez lui, elle n’était jamais là (elle a pourtant eu l’occasion de faire encore un enfant, puisque cet enfant est mort en bas âge, que ma mère a assisté à l’enterrement et que sur la tombe la mère de mon ami avait déclaré : Dieu l’a donné, Dieu l’a repris, et que ma mère à moi est revenue à la maison, en disant : ils sont secs ces protestants !). Et puis j’ai encore un autre souvenir en tête : la meilleure amie de ma tante avait deux garçons splendides (j’ai une photo d’eux dans un de mes vieux albums). Or l’aîné a été incorporé de force et n’est jamais revenu du front russe. Et l’autre – il s’appelait Roland, je m’en souviens – s’est soudain trouvé tuberculeux. C’était dans les années 48-49, mon oncle et ma tante avaient déjà acquis leur propriété de Munster, et je me souviens qu’on lui a rendu visite, au fameux Roland, car il était au sanatorium d’Altenberg, sur la route qui menait de la vallée de Munster jusqu’à la Schlucht, quelques kilomètres seulement avant d’arriver au col. Et je me souviens de lui, couché sur une chaise-longue, sur un balcon, au soleil, et les joues d’une rougeur suspecte. Et je crois bien qu’il en est mort, de la tuberculose, car on pouvait encore en mourir, même dans ces années-là…
Ce que j’admire aussi dans le roman de Thomas Mann, c’est qu’il nous amène très progressivement à concevoir que la vie que mènent tous les hôtes de ce sanatorium dans la montagne est de plus en plus virtuelle, détachée du monde et des réalités. Hermétique. C’est une vie passive. On est couchés, on mange, on rêve et on dépend entièrement des médecins (l’un d’eux est d’ailleurs comparé à Rhadamanthe, le Juge des Enfers) et la plupart des malades, et en particulier Castorp, s’y attachent, à cette vie, et n’ont plus du tout le désir de s’y soustraire et de revenir à la vraie vie, la vie active. C’est dans ce sens-là que la Montagne exerce sa magie, son enchantement, devient la Montagne magique comme dans les anciennes légendes celtiques.
Une dernière remarque encore : un peu avant la fin du roman on trouve ce que j’appellerais un coup de génie. Le rêve dans la neige. Hans Castorp a appris à skier et trouve de plus en plus de plaisir à s’aventurer dans la montagne environnante. Un jour il est surpris par une brusque tempête de neige, le ciel est obscurci, et bientôt il ne voit plus rien, skie au jugé, panique, avant de tomber par chance sur une vieille grange dont la porte est fermée mais dont l’auvent le protège un peu de la neige tourbillonnante. Il tire une bouteille de sa poche, boit un coup de porto, puis, ensommeillé, commence à rêver. Images magnifiques, retour chez lui, ses arbres à lui, puis la vue monte vers un ciel bleu, bleu du sud, plages méditerranéennes, végétation du sud, et puis des hommes et des femmes, se promenant ensemble, dansant au son d’une flûte, mère allaitant son enfant, tout est aimable, paradisiaque, jusqu’à ce qu’il voit un jeune et beau garçon, se tenant à l’écart, bras croisés, qui regarde la plage puis regarde Castrop, jusqu’à le fixer, regarder derrière lui, le regard se durcit, et Castrop, à son tour se retourne, et voit des rochers, les colonnes d’un temple, une statue de deux femmes, mère et fille, puis plus loin encore, une scène d’horreur, des sorcières aux mamelles pendantes qui cuisent sur un feu un petit enfant après l’avoir déchiqueté.
A la suite de ce rêve qui se termine en cauchemar, le jeune Castrop qui n’est encore qu’à moitié réveillé, a des réflexions censées expliquer le rêve. Ce que le jeune Hans Castrop semble en conclure c’est qu’il ne faut pas laisser la mort dominer sa pensée. C’est une affirmation de la volonté de vivre, selon certains commentaires que l’on peut trouver sur le web. Ce qui est possible puisque Castrop est probablement le seul parmi les hôtes du sanatorium de la montagne à avoir une certaine sympathie pour la mort, à rendre visite aux moribonds, leur apporter des fleurs, à s’intéresser à la façon dont les morts sont évacués, en un mot, à être attiré par la mort. Ce rêve serait donc un tournant pour lui. Notons qu’effectivement, un peu plus tard, le ciel s’éclaircit, la tempête de neige s’arrête, Castorp s’oriente à nouveau et réussit à rejoindre le sanatorium. D’autres commentateurs voient dans le rêve de Castrop des relations avec la mythologie. Le repas des sorcières figurerait le Hadès. Et le jeune garçon serait Hermès. Je me demande pourquoi. Moi il me fait plutôt penser au jeune garçon de Mort à Venise, la tentation homosexuelle de Thomas Mann, la même que l’on trouve chez Hans Castorp, qui, au moment même de s’approcher de la belle Madame Chauchat, se remémore un garçon qu’il a admiré lors de son adolescence. Et, comme par hasard, c’est au moment où Castorp admire le jeune garçon du rêve, que le regard de celui-ci l’incite à se retourner, et qu’il est soudain confronté au temple, aux statues de femmes et à l’enfer plus loin. Comme si Castorp, ou plutôt Thomas Mann, exprimait ainsi sa peur panique des conséquences qu’entraînerait son acte s’il lui arrivait un jour de succomber à ses désirs coupables d’inverti. C’est une interprétation qui en vaut une autre…
En mai 1939, quelques mois avant le début de la deuxième guerre mondiale, Thomas Mann est invité à commenter et expliquer son roman, la Montagne magique, devant des étudiants de Princeton, aux Etats-Unis. L’éditeur Fischer qui a republié le roman en 1978 a placé l’exposé que Thomas Mann avait fait à Princeton en introduction au roman. J’y lis que Mann conseille aux étudiants de lire son roman une deuxième fois, comme un morceau de musique que l’on a plus de plaisir à écouter, une fois qu’on a son leitmotiv en tête. Je ne suivrai pas son conseil. D’ailleurs Thomas Mann lui-même retire son conseil si, dit-il, on s’est ennuyé à la première lecture. L’art ne doit pas devenir une obligation, un devoir. Or moi je me suis souvent ennuyé à la lecture de ce roman, tout en reconnaissant qu’on y trouvait de nombreux passages brillamment écrits. Mais je crois que je ne dois pas être le seul. Je crois que beaucoup de lecteurs d’aujourd’hui doivent trouver comme moi que les élucubrations de Settimbrini et de Naphta sont souvent, sinon « vaseuses », du moins dépassées. Leur côté satirique ne passe plus. Dans son discours de Princeton Thomas Mann explique que ses personnages, « Joachim, Clawdia Chauchart, Peeperkorn, Settimbrini et tous les autres », sont « des exposants, des représentants et des messagers de domaines spirituels, de principes et de mondes » différents. Et pourtant, dit-il : « j’espère que malgré tout ce ne sont pas des ombres ni des allégories vivantes ». Et il semble certain que le lecteur les vit comme « des humains véritables dont il se rappellera plus tard avoir fait réellement la connaissance ». Je regrette, mais pour moi, ce sont bien des ombres, tout au plus des caricatures. Et, pour moi, cette constatation a tué le plaisir que j’aurais pu prendre à la lecture de ce roman…


Post-scriptum : Dans ma note sur Reich-Ranicki je mentionne aussi, toujours à propos de Thomas Mann, ce que je considère comme un véritable bijou, l’Elu. Reich-Ranicki, disais-je, est du même avis que moi : « L'Elu, que l'on considérait comme un objet quelque peu poussiéreux, est finalement le plus splendide et le plus raffiné de tous les romans de divertissement du 20ème siècle », dit-il dans sa petite étude : Die Liebe ist nie unnatürlich. Et j’ajoutais : Moi aussi j'ai beaucoup aimé ce roman, un roman de la maturité lui aussi, paru en 1951, mais autrement réussi que Felix Krull. On sait qu'il s'agit de la reprise d'une vieille légende, celle de Saint Grégoire, une histoire d'amour incestueux entre frère et sœur dont le produit, après avoir été exposé, survit et revient plus tard coucher avec sa mère (composante oedipienne de la légende) et finit, repenti et touché par la grâce, à devenir pape. Et je parlais aussi de ce qui me touchait dans cet amour incestueux entre frère et sœur. Se retrouver dans l’autre, identique à soi, mais dans l’autre sexe. Enivrant. Et en même temps extrêmement dangereux, non à cause de l’interdit, mais à cause de l’aspect narcissique de la chose.
Alors je l’ai relu, Der Erwählte, juste pour voir si j’y trouverai toujours autant de plaisir. Et j’ai vu que j’avais eu raison de le relire. Et j’ai eu d’autant plus de plaisir que j’avais complètement oublié que l’histoire était contée par un moine irlandais de l’abbaye de Saint Gall dans un faux mais délicieux vieil allemand (et les aristocrates y mêlent des phrases en vieux français complètement anachronique et même les pêcheurs des îles anglo-normandes parlent dans ce qui ressemble un peu à du flamand !). Je me demande comment ce roman a pu être traduit en français. Pauvre traducteur ! Mais pour ceux qui peuvent le lire en allemand, c’est vraiment jouissif. Comme Thomas Mann a dû jouir en l’écrivant !