Le Bloc-notes
de Jean-Claude Trutt

Fillon. Fion. Fuyons

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Dimanche dernier 3 millions d’électeurs de droite ont désigné le prochain Président de la République française. Des électeurs de droite dont le noyau dur était constitué de catholiques activistes qui veulent imposer leur morale à l’ensemble de la société française, de bourgeois plus aisés et plus âgés que la moyenne des Français, dont certains se sentent toujours en état de guerre civile, ont la haine de tout ce qui est socialo, arabe, immigré et pour qui la gauche est forcément caviar, les politiciens forcément pourris, les Arabes forcément voleurs et terroristes et les immigrés forcément assistés et tricheurs.
D’autres que moi n’en finissent pas de gloser sur la surprise Fillon. La libération de la parole due au Sarko, éponge de Buisson, y est certainement pour quelque chose (comme la guerre contre le politiquement correct menée par Trump a libéré la parole aux Etats-Unis, la parole mauvaise), la diabolisation de Juppé par Sarko (il est mou, il flirte avec François Bayrou, il est prêt au compromis : ce qui est contraire à l’esprit de guerre civile), la volonté de certains électeurs de gauche, largement colportée par les médias, de vouloir s’immiscer dans la primaire pour éliminer Sarko au bénéfice de Juppé, ce qui a énervé nombre d’électeurs de droite et confirmé à leurs yeux les dires de Sarko (Juppé est de gauche !). Mais il y a aussi, il faut bien le dire, et au moins d’après ce que j’en ai vu lors des quelques séquences des face-à-face que j’ai suivis à la télé, l’image donnée par Fillon de son côté : homme sérieux, sûr de lui, tranquille, apparemment honnête (on y reviendra), un timbre de voix bien agréable, et par Juppé d’autre part : homme âgé, au sourire un peu supérieur, narquois, peu convaincant, et peut-être peu convaincu lui-même de vraiment vouloir y aller.
De toute façon le résultat est là : la gauche étant en miettes comme elle ne l’a jamais été (et quand je dis en miettes c’est vraiment le cas : deux trotskistes, un Mélanchon, un Vert, une Radical-socialiste, un Macron et le survivant de la primaire du PS lui-même en miettes : que des miettes), Fillon sera Président sauf si toutes ces miettes de gauche s’abstiennent au second tour et laissent passer Marine…
Nous aurons donc d’abord un catho-conservateur. Je ne crois pas qu’il va faire marche arrière sur le mariage des homosexuels mais probablement sur leur capacité d’adopter. A eux de se faire entendre, ce n’est pas mon problème. Par contre ce qui est sûr c’est qu’il faudra encore attendre au moins six ans avant d’avoir droit au suicide assisté en France. Encore un combat perdu au cours du quinquennat à cause du manque de courage politique de Hollande.
Et ensuite un ancien souverainiste, élève de Séguin, qui a voté contre Maastricht et était opposé à l’Euro. Même s’il a mis de l’eau dans son vin à propos de l’Europe, ce n’est certainement pas avec Fillon que l’on ira plus loin dans le sens d’un approfondissement de l’Union Européenne, ce qui devrait pourtant être une priorité aujourd’hui pour tous les Européens. Après le Brexit et l’avènement de Trump et alors que la Chine est plus puissante que jamais et que Poutine est là pour longtemps (mais au fait, a-t-on parlé de l’Europe au cours de cette primaire ?).
Et, pour finir, le plus grave de tout, Fillon s’avère être un adepte d’un libéralisme économique extrême. Avec lui, dit un adjoint de Marine, c’est l’ouverture assurée au mondialisme sauvage. Je dirais plutôt au capitalisme financier sauvage. Bayrou se demandait où étaient passées les racines sociales du gaullisme et de Séguin (sur Séguin il se fait peut-être des illusions). Comment peut-on, du même coup, dit Bayrou, supprimer l’ISF et augmenter la TVA de 2% alors que tout le monde sait que la TVA est l’impôt le plus anti-social qui soit. Et les 500000 fonctionnaires il va les prendre où, demandait Bayrou, et peut-on geler l’embauche, pendant 5 ans, de tous ceux qui se préparent actuellement à la fonction judiciaire, à l’éducation, à la police ? Il aurait bien voulu continuer encore Bayrou, parler du programme de Fillon, mais le journaliste d’Antenne 2, que nous payons avec nos cotisations TV, n’avait que les questions habituelles qui intéressent les médias d’aujourd’hui : vous allez vous présenter ? Vous faites du chantage pour avoir plus de députés ? Et c’est ainsi qu’on salit nos hommes politiques. Ce qui est en tout cas évident c’est que Fillon ne pourra jamais réduire la fonction publique de 500000 personnes. Impossible dans l’état actuel : ni dans la justice, ni dans la police, ni dans la gendarmerie, ni dans le personnel pénitentiaire, ni dans l’éducation. Dans la santé on est à la bourre également et, en plus, les hôpitaux ont leur autonomie. Comme c’est le cas des fonctionnaires territoriaux qui ne dépendent pas de l’Etat mais des régions, départements et communes. Et puis comment il va faire pour imposer en même temps la retraite à 65 ans et la limite horaire du travail à 48 heures ? Je me rappelle ce qu’avait voulu faire Juppé à l’époque : mon frère Bernard était alors Directeur général des services médicaux de la Sécu pour l’Île de France et je me souviens qu’il m’avait dit : c’était très bien ce que Juppé a voulu faire pour la Sécu mais il n’aurait jamais dû faire les deux réformes, santé et retraite, en même temps. C’est pour cela que je dis que l’honnête Fillon est un menteur car il sait, et ses experts le savent, que toutes ces réformes sont impossibles à réaliser. Et puis il va encore plus loin : privatiser une partie de la Sécu : il est fou ou quoi ? C’est son ami, l’ancien PDG d’AXA qui le lui a suggéré ? Et ses réformes fiscales ne s’arrêtent pas à la suppression de l’ISF et de l’augmentation de la TVA, non il veut encore, toujours dans l’intérêt des familles, surtout les familles nombreuses aisées et catholiques, revenir sur la politique du quotient familial que Hollande avait commencé à raboter, nous ramenant à une situation un peu plus normale, plus européenne (le quotient familial n’existe qu’en France : ailleurs il y a de simples abattements). Fillon veut de nouveau élever le niveau minimum de revenu auquel le quotient s’applique. Alors que les familles avec enfants payent moins d’impôts sur le revenu, depuis toujours, que leurs équivalents allemands ou luxembourgeois. Et puis le pire de tout : il veut diminuer l’impôt sur le revenu des sociétés, le ramener à 25%. Alors que cette mesure-là n’a jamais conduit à une réduction directe ou indirecte du chômage. D’ailleurs sur ce point-là il ment encore : en 5 ans, dit-il, il va diviser le chômage par deux ! Par quel hokus-pokus ? Pour commencer il va l’augmenter de 500000, le nombre des fonctionnaires non remplacés. Et, au fait, on en a parlé sérieusement du chômage lors de cette primaire ? Je veux dire, vraiment sérieusement, en étudiant tout ce qui va encore l’influencer le chômage, dans le mauvais sens, avec la digitalisation effrénée, l’ubérisation, et toutes les révolutions techniques qui viennent encore (regardez Volkswagen, la destruction de main d’œuvre due au simple remplacement d’un moteur thermique par un moteur électrique). Ah, oui, et j'allais oublier: et, en plus il prévoit des déficits de plus de 4% aux deux prochains budgets. Il va voir ce que les autres Européens en pensent. Et nos enfants et petits-enfants. Et il a le culot de dire que c'est la faute à Hollande : son budget est faux. Et on le prend pour un homme honnête, le Fion?

Une fois que j’ai écrit tout cela j’ai appris la décision de Hollande de ne pas se représenter. Comme mon frère Pierre et mes enfants je salue bien sûr cette sage décision. Et j’espère que Valls va gagner la primaire socialiste pour qu’on ait quand même un champion qui représente et continue notre tradition sociale-démocrate, non pas libérale mais réaliste, mendésiste et rocardienne. Mais je ne crois pas que cela change beaucoup la donne. L’émiettement des candidatures subsiste. Du temps de Marchais on parlait d’alliés objectifs de la droite. C’est ce qu’ils sont tous, les trotzkistes, le tribun Mélanchon (dont l’ego est tellement haut maintenant qu’il ne veut plus être tutoyé par un Cohn-Bendit !), les frondeurs, les verts et les radico-socialos. Et même la marionnette Macron qui vient d’ailleurs de perdre son mentor et financier.
Pauvre France, pauvres de nous, que Dieu nous vienne en aide, puisque nous sommes la fille aînée de l’Eglise ! Mais non, Dieu ne nous entend guère puisque tout ce qu’il nous envoie c’est le Fion !